Cheminots, profs, pompiers, soignants, postiers, policiers, avocats, personnels de compagnie aérienne… la grève est là. Pour l’occasion, Limite vous propose plusieurs courts entretiens qui éclairent l’enjeu de cette mobilisation de masse. On commence avec l’essayiste Aurélien Bernier auteur de « La démondialisation ou le chaos ».

Que vous inspire le projet de réforme des retraites du gouvernement ?

Une énième réforme des retraites… L’objectif est toujours le même : faire travailler les gens plus longtemps ou réduire les pensions. Avec l’abaissement des plafonds de cotisation, on retrouve l’idée d’un système de retraite par capitalisation que Nicolas Sarkozy voulait déjà imposer en 2008, juste avant la crise des subprimes. On n’appelle pas officiellement à la capitalisation mais en réduisant la base des cotisations, on incite les gens à aller vers la capitalisation. C’est toujours le même objectif de faire payer les salariés plutôt que le capital.

Mais le basculement vers un régime universel et la fin des régimes spéciaux, n’est-ce pas une bonne idée ?

C’est avant tout un prétexte ! Stratégiquement les gouvernements qui se succèdent essayent toujours de mettre en avant les régimes spéciaux pour diviser et monter les salariés les uns contre les autres. Pour les libéraux, c’est une façon de justifier une réforme qui pénalise les classes moyennes et populaires.

Il y a certainement des choses à revoir, un système à remettre à plat mais le risque, c’est le nivellement des standards de protection vers le bas. Des métiers différents et des niveaux de pénibilité différents justifient de pouvoir partir à la retraite plus tôt.

On se souvient des « ordonnances Macron », de l’été 2017, les dernières mobilisations syndicales se sont soldées par un échec. A l’heure des gilets jaunes et d’Extinction Rébellion, la grève et la manifestation restent-elles encore un moyen efficace de lutte sociale ?

Ça reste un moyen efficace et sans doute le plus efficace. Le fait de faire grève rappelle à tous que l’entreprise et les services publics ne fonctionnent que parce que des salariés et des agents y travaillent au quotidien. Un service ou une entreprise, ce n’est pas seulement un élu ou un conseil d’administration. La grève permet de montrer que les salariés et les agents sont le moteur de l’économie. Ils en sont la valeur ajoutée.

Ralentir l’économie est également efficace car le gouvernement ne comprend aujourd’hui que le rapport de force.

Après, il ne s’agit pas de faire grève n’importe comment. On l’a vu ces derniers temps, les grèves et les revendications sectorielles ne fonctionnent pas. Vouloir séparer les mouvements entre eux pour leur donner plus de visibilité est inefficace. Le 5 décembre, on aura affaire à une mobilisation générale. Cette convergence est aussi le fruit du mouvement des gilets jaunes et des marches pour le climat. Ils ont apporté de la globalité et ont obligé les syndicats à s’interroger sur les modalités de leur action.

Les syndicats ont perdu leur centralité dans la lutte sociale ?

Ils ont toujours une place centrale à condition d’avoir une bonne stratégie. Le mouvement syndical s’est marginalisé tout seul au moment des gilets jaunes et a vu sa stratégie de mobilisations sectorielles se solder par un échec.

Les syndicats sont efficaces à partir du moment où ils reprennent les choses en main au niveau des entreprises et essayent de coordonner des actions collectives à cette échelle. Leur rôle est aussi de montrer qu’il y a une cohérence dans l’action gouvernementale, que la casse du service public ferroviaire comme la réforme des régimes de retraite proviennent de la même logique idéologique.

Les syndicats n’ont certainement plus le monopole de l’action sociale mais ils garderont une place prépondérante s’ils arrivent à s’adapter aux nouvelles modalités de mobilisation.

Peut-on faire un parallèle avec les grandes grèves de 1995 ?

Ce genre de parallèle a toujours ses limites. Certes, les situations sociales se ressemblent par certains aspects : une réforme des retraites en préparation, une mobilisation large… Mais le mouvement des gilets jaunes change aussi la donne. En 1995, la mobilisation était large mais restait le fait d’organisations traditionnelles. Avec le mouvement des gilets jaunes, des gens qui n’avaient jamais manifesté de leur vie ont décidé de sortir sur les ronds-points. Si ces gens-là descendent dans la rue le 5 décembre et les jours qui suivent, alors il y aura une capacité d’action encore plus importante qu’en 1995.

Propos recueillis par Brieuc Havy

Limite vous offre de lire ou relire son dossier sur la grève.

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