À Fécamp, si le tourisme est neuf, la mer, elle, est usée. Les mythiques Terre-Neuvas, qui traquaient la morue dans les eaux glacées de l’Atlantique, sont retournés à terre pour y rester chômeurs. Promenade dans un port défraîchi du pays de Caux.

Christophe Colomb découvre l’Amérique, et il ne faut pas vingt ans aux marins bretons et normands pour en ramener de la morue salée. Il n’en faudra pas beaucoup plus à la surpêche moderne pour fait mourir l’un des plus grands ports français, Fécamp. Quatre cents ans de pêche au grand large, qui ont construit une ville, une industrie, un artisanat et une culture locale. Tout un écosystème autour du hareng et du « grand métier », celui des Terre-Neuvas, qui partaient pendant des mois pêcher la morue au large du Canada.

Aujourd’hui qu’en reste-t-il ? « Il ne reste que les fidèles et les purs, ceux dans les veines desquels circulent de l’eau de mer, peut-être additionnée d’un peu d’alcool… », déplore Jean Recher dans son Journal d’un capitaine de pêche. Ce marin normand a vu l’apogée et le déclin de sa ville et sa tradition morutière. Au début du siècle, il a envié les trois-mâts qui partaient neuf ou dix mois puis, le moteur remplaçant la voile, il a embarqué comme mousse sur un chalutier. Parti à 15 ans, comme la plupart des marins, il ne s’arrê- tera de pêcher qu’en 1976, lorsque le dernier chalutier français, dont il est capitaine, sera vendu aux Norvégiens. Fouillant ses souvenirs comme il fouillait la mer, il a longuement raconté le travail à bord de ces navires, les dangers du vent et de la banquise, et la vie commune des soixante pêcheurs qui constituent un équipage. Ses récits font découvrir le quotidien passionnant de ces hommes en quête d’aventure, de risque et de profit, et c’est avec une curiosité pleine de respect qu’on organise une visite dans leur ville natale.

« Marée de cochon, marée de guignon »

Nous sommes au cœur de l’été, et seul le vent froid rappelle les glorieuses années fécampoises. « Il n’y a plus l’odeur. Avant, ça sentait la morue et le hareng dans toute la ville. Impensable de faire sécher son linge dehors! », raconte Adrienne, qui tient un des plus vieux restaurants du port. Elle se souvient de l’activité des boucanes où fumait le poisson, des enfants qui déchargeaient les cales, et des femmes qui travaillaient sur les quais, les mains dans le sel et le froid. « C’était pas du sucre, elles avaient du caractère. De grandes gouailles! ». Et blâme les normes européennes qui ont provoqué la fermeture des dernières boucanes. Avant, le poisson saurissait avec de la sciure de hêtre, mais, la méthode n’étant plus conforme, il a fallu passer au four au gaz. « Ça n’a pas le même goût ». Et ça oblige surtout à se déplacer en zone industrielle, ou à fermer dans la plupart des cas. Les deux dernières saurisseries sont maintenant un hôtel de luxe et un musée. Des nombreux bars qui jalonnaient les rues, il n’en reste qu’un sur dix. Adrienne et son mari ont transformé le leur en restaurant pour accueillir les touristes, mais ont gardé son nom qui sonne un peu faux, Le Progrès. Un autre bar au nom tout aussi curieux de Tout va bien, accueille encore aujourd’hui les vieux Fécampois en regrettant la joyeuse ambiance des retours de pêche. « Les pêcheurs, ils boivent plus, c’est fini.» Les journées commencent à deux heures du matin et finissent dans l’après-midi, alors ils ne traînent pas en rentrant. Un habitué du Progrès, Francis se souvient de tout le travail que fournissait la pêche au grand large. Pour un pêcheur, cinq personnes étaient employées à terre. Lui-même avait un petit atelier artisanal dans la campagne alentour, et réparait les pales. « La ville ne vivait presque que de ça. Sinon, il y avait la distillerie et la couture, mais le gros c’était la pêche ». Aujourd’hui, le port de Fécamp fournit de l’emploi à cent cinquante personnes environ, estime le directeur de la criée. Et encore, ça ne fait que diminuer. Le patron d’un des coquillards restants n’est pas plus optimiste : « on est les derniers ». Les quotas diminuent chaque année, et ne permettent qu’à la pêche industrielle ou à la toute petite pêche d’être rentables. Les bateaux- usines raclent le fond des mers en permanence, ne laissant aux bateaux de taille moyenne que les épluchures. Certains se rabattent alors sur des espèces encore peu exploitées, comme le bulot.

[La suite de cet article est à lire dans le 16ème numéro]


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