C’était en janvier dernier, aux journées Saint Fran­çois de Sales, à Annecy, où se retrouvent chaque an­née tous les journalistes de la presse chrétienne. Yann Raison, 38 ans, sociologue, exposait son travail d’enquête sur le catholi­cisme français. Précis, détaillé, mêlant reportage et analyse, son livre Qui sont les cathos aujourd’hui ? (Desclée de Brou­wer, 2014) est une étude qui bat en brèche les poncifs sur la nouvelle tendance idéologique des catholiques français. Al­ors que les plus jeunes d’entre eux sont assimilés à la droite contestataire, Yann Raison ou­vre notre regard sur un autre catholicisme, où des jeunes, dis­crets au sein d’un mouvement massif, témoignent d’un chris­tianisme social encore en vie.

Dans son livre La France catholique (Michel Lafon, 2015), le journaliste du Figaro mag­azine Jean Sevillia oppose une génération vieillissante de catholiques à une jeunesse identitaire et affirmée. De son côté, Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef adjointe de La Croix, s’interroge sur ce constat : il s’agit pour elle d’une « vision manichéenne, qui voudrait faire du catholicisme un champ de bataille entre « cathos de gauche » vieillissants et jeunes identitaires pleins d’énergie » (La Croix, 18/11/15). Au vue de votre vaste étude sur le catholicisme en France, que pouvons-nous conclure de cette querelle?

Tout d’abord, je crois qu’il faut faire très atten­tion aux concepts qui sont mobilisés pour décrire et penser le catholicisme. Je pense par exemple que l’opposition entre catholiques d’identité et catholiques d’ouverture véhicule implicitement des idées reçues problématiques. Cette dichotomie donne en effet le monopole de l’ouverture d’esprit aux uns et le monopole de l’affirmation confessionnelle dans l’espace public aux autres. Il s’agit là d’un jugement de valeur plus que d’une description opérationnelle. L’opposition entre jeunes et vieux est-elle aussi très caricaturale. La réalité est bien sûr plus complexe. Je préfère pour ma part décrire le catholicisme à partir de quatre univers de sensibilité : les conciliaires ; les observants ; les inspirés ; les émancipés. C’est encore une simplification, mais c’est quand même une typologie un peu plus riche.

Pouvez-vous décrire ces univers ?

Les conciliaires sont le groupe aujourd’hui majori­taire parmi les pratiquants, le clergé, les évêques. Si je les qualifie de conciliaire, ce n’est pas parce qu’ils se­raient les seuls à respecter le concile Vatican II. En re­vanche, ils sont les seuls à faire du concile un élément clef de leur rapport à l’Eglise et à la foi. Il y a là un effet de génération. Ces catholiques enracinent leur foi sur la figure d’un Christ fraternel, qui transgresse les codes sociaux de la société judéenne pour inclure l’exclu. Pour eux, être fidèle à Jésus, c’est perpétuer cette dynamique fraternelle d’inclusion des exclus. Ils aiment les messes qui manifestent cette ouverture. Chacun doit y trouver sa place : hommes et femmes ; divorcés remariés ; etc. Ils aiment le geste de paix ou le fait que toute l’assemblée se tienne les mains pour dire le Notre Père. La transcendance de Dieu se manifeste par la communion fraternelle des hommes. Ces catholiques sont très engagés dans les paroisses et les structures diocésaines. Ils constituent le cœur des militants du Secours catholique, du CCFD-Terre solidaire ou de l’ACAT. On les retrouve massivement parmi les lecteurs de La Croix ou de Pèlerin, qui est l’hebdomadaire catholique au plus fort tirage.

Les observants sont un groupe minoritaire mais organisé et dynamique. Les observants sont constitués de familles qui se pensent comme une élite à la fois sociale et religieuse. Ces catholiques enracinent leur foi dans le sacrifice du Christ pour le salut de l’humanité. Pour eux, être catholique impose de se montrer digne de ce salut en cherchant à se conformer à la voie de la sainteté recommandée par l’Eglise. Ils aiment tous les exercices ascétiques qui mettent à distance la so­ciété pour mieux se rapprocher de Dieu : adoration, retraite, pélerinage. La plupart des observants ont ce que j’appelle leur “quatre quartiers de noblesse de bons catholiques” : ils sont issus de familles souvent (relativement) nombreuses où la foi catholique est as­sumée intensivement et dans lesquelles des vocations religieuses se recrutent ; leur scolarité se passe dans des établissements catholiques réputés ; ils sont passés par les Scouts d’Europe ou les Scouts Unitaires de France ; ils fréquentent le clergé des communautés nouvelles qu’elles soient de tendance traditionaliste (Fraternité saint Pierre), néo-classique (Communauté Saint Martin ; Frères de Saint-Jean) ou charismatique (Communauté de l’Emmanuel). Ils aiment les messes solennelles. C’est pour eux, le profond silence au mo­ment de la consécration, la beauté de la liturgie ou de l’église, l’intransigeance doctrinale du prêtre, qui manifestent la transcendance de Dieu.

Ces deux groupes sont au coeur du con­flit que décrivent avec d’autres termes Jean Sévilla et Isabelle de Gaulmyn.

Oui, il existe un rapport de force entre ces deux groupes. Les observants disent que leurs aînés conciliaires n’ont rien transmis, que leur foi s’est diluée dans un humanisme mou et dans l’enfouissement ; les conciliaires pensent que les jeunes observants font un retour en arrière, que ce sont des bourgeois qui sont en position de repli en raison de la peur du monde et de l’étranger. Entre ces deux catholicismes, il y a un dialogue de sourds parce qu’ils s’inscrivent dans des problématisations historique du rapport Eglise/ société très différentes.

Le catholicisme conciliaire s’est construit sur la re­cherche d’une réconciliation entre l’Eglise et la so­ciété. Les jeunes prêtres des années 1960 ont voulu rompre avec l’image d’une Eglise dominante et compromise avec l’ordre établi. Revendiquant l’héritage du prophétisme biblique, ils ont voulu par leurs engagements dans les luttes sociales et politiques contre les injustices, montrer que Dieu n’est pas indifférent au sort des hommes et qu’il prend parti pour les exclus. Si ce clergé rompt avec le vêtement religieux, ce n’est pas du tout par renoncement à l’identité catholique, c’est au contraire pour transformer cette identité, montrer que l’Eglise n’est pas un univers à part et les prêtres des notables, mais qu’elle embrasse tout de la condition humaine ordinaire. Ils tentent de résorber par leur action le fossé qui s’est creusé entre l’Eglise et les aspirations des pauvres. Quel té­moignage de l’Evangile peut donner une Eglise où les pauvres, les ouvriers, les exclus, ne se sentent pas chez eux ? C’est l’interrogation qui les taraude. Ils pensent aussi qu’une nouvelle société est en train de naître, et que l’Eglise doit par conséquent quitter ses formes surannées et en adopter de nouvelles pour rendre l’évangile recevable dans ce monde nouveau. Pour ces deux raisons, ce clergé a souvent publique­ment critiqué le magistère, trop en retard selon eux sur les évolutions nécessaires. Il a également dénié toute légitimité aux catholiques rétifs à l’égard de ces évolutions et s’est montré très autoritaire. Le dominic­ain Serge Bonnet a fait une critique très fine de ce néo cléricalisme dans son pamphlet A hue et à dia que je viens de rééditer. Encore aujourd’hui, bien des con­ciliaires ont plus d’ouverture à l’égard des musulmans du coin qu’à l’égard d’un groupe de paroissiens qui demanderait une messe en rite extraordinaire.

 

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14570676_10210200036215575_1263103504872960464_oLa suite est à lire dans le quatrième numéro de la Revue Limite, en vente en ligne et en librairie (liste des 250 points de vente). 

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Paul Piccarreta