Il y a quelques années, nous découvrions William Cavanaugh par la lecture de son fracassant Etre consommé. Quand nos amis lyonnais des Altercathos ont appris que l’américain venait en France, l’occasion était trop belle : un détour par la capitale des Gaules s’imposait. Alors que le concept de nation refait surface, le Professeur de théologie politique à l’université Depaul de Chicago s’est entretenu avec nous sur l’Etat-Nation, ici, au local du Simone. Entretien iconoclaste garanti.

En tant que citoyen américain, comment avez-vous réagi à l’élection de Donald Trump ?

J’étais triste et inquiet pour mon pays. Pour moi, on ne peut pas raisonnablement faire confiance à un candidat qui manque à ce point de décence.

Comment expliquez-vous le succès de Donald Trump et la surprise qui l’accompagne ?

Devant la grossièreté objective du personnage, nous étions nombreux à penser que n’importe quel candi­dat – et même une chèvre, pour tout vous dire – pou­vait tranquillement l’emporter contre lui. C’est dire la faiblesse de la candidature Clinton, qui a chèrement payé la trajectoire élitiste de son parti. En abandonnant progressivement la défense des travailleurs pour défen­dre un « progressisme des mœurs » avec beaucoup d’intransigeance, le parti démocrate a perdu sa base. Les gens ordinaires, déjà fragilisés sur le plan social, ont été déstabilisés moralement par la surenchère démocrate concernant le droit des minorités sexuelles et la sacrali­sation du droit à l’avortement. Paradoxalement, Trump a représenté pour beaucoup d’Américains un recours crédible contre l’indécence des élites, trop déconnec­tées de la morale commune. Sa victoire ne s’explique pas uniquement par la montée d’un sentiment nation­aliste, dû à la peur de l’islam et de l’immigration, mais aussi par un fort sentiment d’insécurité morale.

Les médias français parlent d’une « vic­toire du populisme ». Est-ce juste ?

Si le populisme désigne un style démagogique, fondé sur l’outrance anti-etablishment et anti-immigrés, sans aucun doute : Trump est même le candidat qui aura accompli le miracle du « populisme milliardaire », ou plutôt il est celui qui aura montré que cette contradic­tion n’est qu’apparente. Le populisme, au fond, ne fait que conclure la logique de l’individualisme. Malgré la référence au peuple, c’est le symptôme d’un corps so­cial déchiré, atomisé. Un leader populiste ne s’adresse jamais à un peuple mais aux passions des individus isolés du reste de la société. Et son succès vient précisément du sentiment qu’il n’y a plus de peuple, plus de communauté politique vécue. Dans une société individualiste, où l’expérience collective du politique n’est plus possible, le populisme devient de plus en plus la règle : la volonté de l’individu exaspéré et isolé rejoint, sans médiation, la volonté du leader charismatique, c’est-à-dire de l’individu qui a réussi.

Les catholiques ont voté en majori­té pour Donald Trump. Comment l’expliquez-vous ?

L’électorat catholique s’est surtout mobilisé sur la question de l’avortement. C’est ce qui a poussé ma propre mère à voter Trump. Les évêques américains ont une responsabilité importante dans cette réduction du choix politique à un choix éthique, et du choix éthique à la morale sexuelle. Pourtant ce chantage à la morale des candidats pro-life est un jeu de dupes. En 1992, la révision de l’arrêt Roe vs Wade par la Cour Suprême a renforcé la dynamique de sanctuarisation du droit à l’avortement alors qu’elle était composée de huit juges républicains et d’un démocrate pro-life. Je suis déses­péré de voir les catholiques tomber éternellement dans ce panneau et réduire la moralité de leur vote à la seule morale sexuelle… Comme si l’économie était morale­ment neutre du point de vue de l’Église !

téléchargementEntretien réalisé par Propos recueillis par Camille RHONAT, Myriam ARDOIN, Paul COLRAT et Foucauld GIULIANI des Alternatives Catholiques.
Illustration de Maylis MAURIN.

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