Mayeul Jamin et Alfred Chambolle, deux anciens étudiants de l’institut Philantropos, lancent dans Limite un appel à l’engagement pour peupler la communauté Sainte-Angèle de Mérici qu’ils sont en train d’établir à Poissy. Une manière de suivre le Pape François lorsqu’il enjoint la jeunesse à « s’engager avec passion en éteignant toute inquiétude intérieure ».

 

– En deux mots, qui êtes-vous ?

Nous sommes des anciens étudiants de l’institut d’anthropologie Philanthropos en Suisse, qui propose de vivre une année pour tenter de comprendre ce qu’est l’homme, autour de trois piliers qui sont : le pilier intellectuel avec des cours de philosophie et de théologie, ainsi que des modules divers et variés ; le pilier communautaire, car les étudiants vivent ensemble toutes l’année ; le pilier spirituel avec un certain nombre de temps de prière commune.

Nous sommes actuellement deux à porter le projet : Mayeul, qui s’intéresse depuis des années aux questions écologiques et qui a fondé le site www.etsictaitpossible.com lors d’un tour de France des alternatives écologiques en 2016-2017, et qui a collaboré à la revue Limite ; et Alfred, qui est étudiant en philo à la Sorbonne. Il y a également quelques autres anciens Philanthropotes qui réfléchissent à s’intégrer pleinement au projet : deux infirmières, une prof, un étudiant ingénieur, etc…

– Pourquoi ce projet de communauté ?

Après avoir vécu une année en communauté à Philanthropos, nous nous sommes interrogés sur notre désir de poursuivre, ou plutôt de renouveler, cette expérience communautaire. La raison principale, c’est notre foi et l’appel à la sainteté qu’elle implique. Nos intuitions fondamentales, c’est que ce chemin de sainteté nécessite à la fois l’altérité et la pratique.

L’altérité, car c’est dans le regard de l’autre que l’on se découvre et que l’on peut se donner. Or il existe peu de lieux où l’on peut vivre l’altérité aussi fortement que dans une vie communautaire. Comme croyant, cette altérité se vit aussi dans le regard du Tout-Autre qu’est le Christ, et la communauté est encore ici le lieu d’une relation particulière avec le Seigneur, non seulement par la stimulation spirituelle que l’on peut ressentir dans un tel cadre, mais aussi parce que nous croyons que le Christ emprunte le visage de tous ceux que sommes amenés à côtoyer, et particulièrement nos frères et sœurs de communauté. L’expérience communautaire est à la fois le moyen et la fin de la relation, au Christ et à l’autre. Elle permet de développer ses capacités relationnelles en général, et donc de vivre mieux. En effet, l’autre nous rend heureux. Nous souhaitons donc habiter ensemble, à l’occasion de ce moment si particulier de nos vies où nous sommes entre la famille dans laquelle on a grandi et celle que l’on est appelé à faire grandir.

« Pratique », c’est notre second maître mot. Il est indissociable de l’altérité, car la relation elle-même est une pratique. Notre objectif est de créer un environnement qui favorise cette pratique. Nous ne souhaitons pas fuir le monde, au contraire ! Il est facile de fuir l’autre lorsqu’on habite seul dans son appartement. C’est beaucoup plus difficile lorsque l’on vit en communauté. Nous souhaitons nous placer librement dans un environnement où nous choisissons de ne pas fuir face à la pratique. Nous pensons également que l’amitié doit porter du fruit, et surtout porte naturellement du fruit quand elle est relation vivante. Ainsi, la sainteté ne peut pas être si elle n’est pas accompagnée de pratiques concrètes entre nous et avec d’autres. C’est pour cela que nous souhaitons prendre part à des activités manuelles et artistiques.

Le travail du jardin nous permet aussi d’allier sainteté et santé. Nous savons tous qu’il est difficile de prier si notre mode de vie est décousu. De plus, si l’on croit en l’unité de l’âme et du corps, il faut admettre que ce que l’on consomme est important pour notre vie spirituelle. La sainteté nécessite que nos corps soient les temples de l’Esprit. Nous calquer sur la temporalité dite naturelle, c’est aussi suivre les rythmes du jour et de la nuit et celui des saisons. C’est celui que Dieu a instauré pour ses créatures. Cette redécouverte de Dieu comme créateur semble également primordiale. Nous y serons confrontés en pratique par le maraîchage, une des rares entreprises de l’homme qui ne peut définitivement pas se cacher derrière une autonomie de façade pour se proclamer « sans Dieu ni maître ». Il s’agit également d’être à son image, en devenant co-créateur par la culture. Cette pratique est donc à la fois un acte de soumission et d’imitation du divin. C’est un retour au premier cadeau que Dieu fait à l’homme, puisqu’il précède Adam dans la Genèse : le jardin.

– Pourquoi avoir choisi de vous établir à trente bornes de Paris ?

Notre choix de monter ce projet en région parisienne est né du contexte concret de la majorité du groupe de départ : pour la plupart, les études ou le travail nous imposent d’être à Paris ; pour les autres, le désir de monter un projet communautaire justifie de se rapprocher de Paris, car c’est là que sont ceux avec qui nous voulons vivre.

Nous avons donc pensé à un lieu : la Foyer de Charité de la Part-Dieu à Poissy. Les Foyers de Charité sont une communauté religieuse, fondée par Marthe Robin, dont le charisme est l’accueil pour des retraites en silence. Celui de Poissy se trouve dans un parc de 24 hectares, avec de la forêt, des prairies, un verger et un potager dans lequel les habitants ont la possibilité de jardiner. Il y a dans ce parc plusieurs maisons que le Foyer loue, et c’est une de ces maisons que nous voulons occuper.

Au bout de quelques semaines de réflexion, la question de ce lieu s’est posée très concrètement lorsque certains ont dit qu’il était difficile pour eux de faire tous les jours le trajet entre Poissy et Paris. C’est alors qu’il a été envisagé de séparer ce projet en plusieurs maisons, dont certaines à l’intérieur même de Paris. Cette option est toujours possible, bien que non mise en œuvre pour le moment. Nous avons alors décidé de poursuivre tout de même la création de cette maison pisciacaise pour différentes raisons. La première est que certains ont une activité à Paris et acceptent de faire le trajet régulièrement. En effet, si passer autant de temps dans les transports est quelque chose qui pose question, nous pensons que cela peut être un compromis pour mener un mode de vie plus sain par ailleurs. Et ce temps « perdu » dans les transports est probablement compensé en qualité de vie.La deuxième est que toute la dimension écologique de ce projet est possible et souhaitable en ce lieu, alors qu’elle serait difficile voire impossible à Paris intra-muros. La troisième est que nous pensons que cette contrainte de temps de trajet peut devenir positive, car elle permet de promouvoir une dimension communautaire forte : en effet, la vie parisienne, par ses interpellations permanentes, ne facilite pas l’engagement communautaire alors qu’au contraire, la distance entre Poissy et Paris fait qu’on limite naturellement les allers et venues. La quatrième est que nous voulons que la maison de Poissy puisse être un lieu ressource pour ceux qui habitent ou travaillent à Paris par nécessité et non par réel choix. La dernière enfin est que nous sommes convaincus que le mode de vie que nous mettrons en place à Poissy est une formidable occasion de témoignage, autant au niveau spirituel qu’écologique et communautaire, pour la région parisienne. Et donc qu’au-delà du caractère d’abord contextuel du choix de ce lieu de vie, cette maison communautaire a une raison d’être en soi !

– A qui s’adresse ce projet ?

Il y a eu plusieurs phases dans la réflexion autour de ce projet. Au départ, nous étions une dizaine d’anciens de l’institut Philanthropos, de la même promotion. Ensuite, pour diverses raisons, un certain nombre a dû se retirer, ce qui fait que nous sommes aujourd’hui deux sur les dix de départ à être toujours pleinement engagés dans le processus, plus cinq en suspens.

Nous envisagions initialement de privilégier les anciens de Philanthropos, non pour être exclusivement entre nous mais parce que nous pensions qu’il était probablement plus simple d’avoir une expérience commune pour lancer un projet comme celui-là. Maintenant, notre position a quelque peu évolué : nous avons à disposition un appartement avec onze chambres, et nous devons normalement donner notre réponse au propriétaire avant fin juin. Nous élargissons donc le recrutement dans l’objectif d’être au grand minimum sept ou huit à la mi-juin.

Nous n’avons pas défini de profil-type. Nous enverrons normalement à ceux qui souhaitent nous rejoindre un petit questionnaire pour cerner à peu près à qui nous avons à faire, nous essaierons de rencontrer chacun et puis nous verrons ! Nous voulons restreindre au minimum au départ et étudier les demandes au cas par cas, car nous pensons qu’accepter les éventuelles surprises peut donner quelque-chose de plus riche que ce que nous pouvons imaginer au départ.

– Comment organiserez-vous la vie commune ?

Nous avons rédigé une charte qui se décline en quatre grandes parties : vie communautaire, vie spirituelle, vie pratique (où est expliquée la dimension écologique) et ouverture sur le monde (qui correspond à la dimension sociale). Cette charte aborde un certain nombre de points, de grands principes, mais reste aussi volontairement ouverte pour que les détails pratico-pratiques s’inscrivent dans la réalité vécue sur place.

L’un des points très importants, qui détermine le reste, est que nous voulons essayer d’avoir un mode de décision au consensus : lorsqu’une question est débattue, tout le monde doit être d’accord pour qu’elle s’applique. Cela engage la communauté, mais aussi chacun de ses membres, qui n’applique son droit de veto que lorsqu’il veut exprimer un désaccord de fond. Cela veut également dire que la communauté sera très différente en fonction des membres qu’elle accueillera, et pourra évoluer énormément en fonction de son renouvellement. Malgré tout, les principes de base établis au départ dans la charte devraient assurer une certaine stabilité.

– Comment vivrez-vous l’écologie intégrale au quotidien ?

L’écologie intégrale, comme son nom l’indique, ne s’applique pas qu’aux questions environnementales. Nous voulons avoir une vision globale, prendre toujours plus conscience que tout est lié ! Nous cherchons donc la plus grande cohérence possible dans chacun de nos choix, personnels et communautaires. C’est ce qu’on appelle l’unité de vie. Les différents aspects de notre charte montrent bien cela, nous semble-t-il.

Maintenant, pour répondre à la question en axant un peu sur la dimension environnementale : nous aurons un potager (déjà lancé par Mayeul), peut-être quelques bêtes, et entamerons dès le départ une réflexion communautaire sur nos modes de consommation.

Ajoutons un point sur la dimension sociale de notre projet, qui a priori se développera de manière concrète dans un service à la paroisse (animation probablement, le chant choral fait partie des objectifs que nous nous fixons) et aux quartiers populaires voisins dans la création, toujours avec la paroisse, d’un patronage.

– Si votre présentation a piqué ma curiosité, je peux venir visiter ?

Bien sûr ! Nous allons organiser un week-end de visites, probablement le week-end de mi-juin. Au préalable, si quelqu’un est intéressé, il faut qu’il envoie un mail à la communauté afin de recevoir les documents présentant le projet en profondeur. Ensuite, si ces documents ne le dégoutent pas, nous lui enverrons le fameux questionnaire, et hop !

Mail de la communauté : communaute.sainte.angele@gmail.com