L’un des membres de la rédaction n’a pas vraiment apprécié le dernier ouvrage de Michel Onfray, Décadence. En effet, le raccourci entre christianisme et nazisme en a hérissé plus d’un. Billet d’humeur personnel que nous publions ici.

Michel Onfray n’est pas particulièrement connu dans le monde universitaire pour être un parangon de rigueur intellectuelle. On s’en convaincrait facilement en observant l’affection qu’il porte aux conférences solitaires, aux universités qui lui appartiennent et aux débats télévisés où les contradicteurs ne sont pas plus spécialistes que les spectateurs.

Avec un peu de mauvaise foi (chrétienne ?), on n’hésiterait pas à moquer, chez cet habile satiriste, les promenades de son gros esprit dans les plaines de la Béotie, où il abreuve les ignorants de ses lumières et de ses fulgurances. Hélas, nul besoin de sarcasmes pour s’effrayer de son obsession maladive et calomnieuse pour le christianisme. Car désormais, le philosophe ne prétend rien de moins qu’écrire « la décadence de la civilisation judéo-chrétienne », n’hésitant pas à faire d’Adolf Hitler un héritier de Jésus-Christ ! C’est à se demander si son éditeur le relit.

téléchargementPhénoménologie de l’idole des vieux

Reconnaissons tout d’abord au profane que l’essayiste a le charme d’une éloquence fleurie et tout le pittoresque d’un bourgeois grasseyant, populaire et périphérique. Michel Onfray, c’est un peu le Jean-Luc Mélenchon de la classe de philosophie.  Il semble maîtriser, avec un à-plomb déconcertant, tous les sujets que chacun a fait semblant de comprendre à l’école. Avec lui par exemple, la complexité des modèles théoriques de la physique quantique est tout à coup simple et  lumineuse.

Ainsi la mal-nommée théorie du « Big Bang » devient tout simplement « une étoile qui s’effondre sur elle-même » et toute l’histoire de l’univers provient de cette « longue énergie ». Et le fabuleux fabuliste Onfray est là, au coin du feu, tout proche de nous, pour se faire l’éloquent écho de cette flatulence cosmique et nous transmettre le feu sacré de l’aube primordiale.

Même si en réalité on voit bien qu’il n’a pas compris grand-chose, la foule applaudit, le chroniqueur acquiesce, l’éditeur se réjouit, l’imprimeur se frotte le goitre en riant ; les arbres qu’on abat pour ces inepties, un peu moins.

Ce mauvais disciple de Lucien Jerphagnon se produisait samedi dernier, avec des airs triomphants, sur le plateau d’On n’est pas couché. Notre homme, sympathique en diable, y a d’abord reçu les hommages des présentateurs du talk-show. La foule des descendants de Voltaire a même applaudi quand elle a appris que le chroniqueur Moix avait lu son livre en entier (657 pages, rendez-vous compte !). Oui, car  il en fallait du courage, si ce n’est une témérité morbide, pour lire en entier l’ouvrage du philosophe Onfray.

Onfray, cacographe et sexologue

N’ayons pas peur des mots, Onfray est au « judéo-christianisme » ce que Robert Faurisson est à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Un détail honteux qu’oubliera bien vite la postérité. Mais c’est aussi une grosse injure à la vérité historique pour le contemporain.

Ce  gros cathare immaculé a en effet décidé de soumettre le christianisme à son inquisition personnelle. Pour ce faire, notre comète aux cheveux blancs se contente de foncer tête baissée sur le Ciel des idées, sans s’encombrer des traditions épistémologiques, et de faire feu de tous bois, en revanche, des moyens inépuisables du complotisme le plus éculé : généralisations, suspicions paranoïaques et sans fondements, procès d’intentions, mensonges éhontés, impasses majeures, avalanche de sophismes.

Onfray n’hésite pas par exemple à nier l’existence historique du Christ, sans se soucier de citer avec honnêteté l’état des lieux du débat et les grands noms qui le dépassent. Pelikan, Brown, Balsez, Renan, Bultmann, Benoît Ratzinger, du vent tout cela ! Onfray a trouvé bien mieux. Rabelais se demandait en riant à quoi pouvaient bien servir les moines. Michel Onfray a trouvé la réponse à la question : les moines copistes servent à falsifier l’histoire et à vendre des livres aux imbéciles.

Avec Onfray, la théorie du moine malhonnête, véritable malin génie d’un Descartes d’opérette, explique tout. Un latin parle de Jésus ? C’est un moine copiste qui l’a ajouté à ses palimpsestes. Les chrétiens croient en Jésus ? C’est parce que des moines-peintres ont peint son visage sur les églises et du coup on a été conditionné à croire en Jésus. Et pourquoi a-t-on peint son visage sur les églises ? Pourquoi l’amour de Fra Angelico pour le Christ ?

La conclusion de  Michel Onfray est donc que toute la civilisation chrétienne n’a existé que parce que le fantôme du disciple d’un juif qui n’existait pas avait un pénis tout mou. Et voulait se consoler en « souillant les femmes »,  en inventant l’Inquisition, les croisades et la chasse aux sorcières.

Mais parce que les moines copistes ont inventé sa vie dans la Bible, pardi ! Et qu’ils ont tout fait, les cons, pour que Michel Onfray s’en rende compte, lui qui ne parle ni le grec, ni l’hébreu. Mais alors pourquoi des milliers d’âmes sages, bonnes et dévouées se disent disciples du Christ ? Pourquoi a-t-on inventé sa vie dans la Bible ?

Michel Onfray lit le passé dans les slips

"La Conversion de Saint Paul", Le Caravage, 1604

« La Conversion de Saint Paul », Le Caravage, 1604

A cette dernière question, l’auteur répond par une analyse ébouriffante : parce que saint Paul n’arrivait pas à bander et voulait donc se venger en inventant un juif ressuscité. On ne voit pas très bien le rapport, direz-vous, mais ce qui est important c’est de reconnaître que Michel Onfray est si érudit qu’il sait en lisant une correspondance, à 2000 ans de distance, si le corps caverneux d’un juif hellénisé était fonctionnel ou pas.

A cette dernière assertion le chroniqueur Moix ajoute que d’après certains saint Paul lui-même n’aurait pas existé. Onfray acquiesce de plus ou moins mauvaise grâce en voyant  qu’il n’est pas le seul à jouer le jeu facile des dénégateurs. La conclusion de  Michel Onfray est donc que toute la civilisation chrétienne n’a existé que parce que le fantôme du disciple d’un juif qui n’existait pas avait un pénis tout mou. Et voulait se consoler en « souillant les femmes »,  en inventant l’Inquisition, les croisades et la chasse aux sorcières. La chroniqueuse Burggraf se dit alors soulagée que cette civilisation soit sur le déclin. On la comprend.

Ce sont des explications certes très mystérieuses, mais vous êtes priés de les croire, parce que c’est Michel Onfray qui vous les dit, et s’il les a écrites dans son gros livre-sacré-qui-révèle-la-vérité-vraie, c’est que c’est la vraie vérité qui est toute vraie. La preuve, c’est un philosophe qui passe à la télévision, comme les camemberts et les présidents, qui le raconte. Et donc la civilisation chrétienne est en décadence, vous comprenez ?

La chroniqueuse ajoute cependant qu’en Afrique la foi chrétienne est fort vivace. Elle pouvait par exemple, pour appuyer ses dires, raconter le dévouement admirable de toutes les bonnes sœurs qui soignent, secourent, sauvent des gens tous les jours, sans distinction de leurs origines ou de leur confession, par pure fraternité et amour de leur prochain.

Mais de cela, de toute façon, Onfray s’en fout, il se lève trop tôt pour accueil des migrants chez lui (c’est en tout cas ce qu’il a raconté à la télé). Tout de même. Le philosophe a un tic. Il n’avait pas pensé aux Africains en écrivant son bouquin. Flûte alors. Il est en train de se rendre compte qu’il a parlé des heures d’un christianisme imaginaire.

Mais, peu importe, notre Don Quichotte se relèvera bien vite de l’estocade. Il est nourri à la haine d’un christianisme qu’il a inventé lui-même, et cela lui donne une énergie invincible. Et beaucoup d’argent, de respectabilité et de droit de parole sur l’autel sacré de la télévision. Onfray parle des chrétiens comme Drumont parlait des Juifs (les chrétiens sont en gros responsables de tous les malheurs du monde), et des gens l’applaudissent pour cela. C’est merveilleux.

S’il y a eu les croisades, peu importe que 140 millions de chrétiens soient persécutés à travers le monde, n’est-ce pas ? Et ce saint Paul, qui n’existait pas. Tout cela est bien vrai, que depuis 2000 ans, tout est faux ?  Et les milliards de chrétiens et leur foi bien vivante qui ont vécu hier et qui vivent aujourd’hui, ils n’existent pas non plus, hein ? Puisque l’individu Michel Onfray, qui pèse bien plus lourd que tout ce tiers-monde de la pensée,  ne les a pas vus dans sa chambre tandis qu’il écrivait.

Ces corbeaux qui crient après la couleur noire

Ce qui est magnifique avec les imposteurs, c’est qu’une fois qu’on a découvert leur truc, toute la machine s’effondre. L’imposteur est précisément ce qu’il dénonce, et c’est toute la folie hystérique de la société du spectacle de ne pas s’en rendre compte. Gustave Thibon disait ainsi qu’à la haine que voue un triste personnage, on peut deviner qui il est. Le philosophe citait ainsi, à propos de Nietzsche, cette phrase de Shakespeare à propos de ces « corbeaux qui criaient après la couleur noire », projetant chez l’autre ce qu’ils haïssent en eux-mêmes.

Gustave Thibon

Gustave Thibon

Et c’est ainsi qu’on peut aisément observer que tout ce que raconte Onfray, est vrai, si l’on comprend qu’il parle de lui-même et des gens qui lui ressemblent. Onfray fustige par exemple le dogmatisme des clercs. Or, qu’est-ce que Michel Onfray, si ce n’est un moine copiste malhonnête qui agite avec une autorité furieuse, devant une foule muette, inculte et obéissante, un gros livre qu’il a écrit lui-même ? Qu’est-ce que l’autorité d’Onfray, si ce n’est celle des affiches dans le métro, des Une de journaux, et des milles ruses  du secteur de l’édition ?

Onfray lit l’Évangile comme un atrabilaire impuissant,  méchant et  intransigeant, et puis le dénonce à grands cris d’orfraie. Thibon a ce mot, dans Nietzsche ou le déclin de l’esprit : « La haine a besoin de déformer, de calomnier l’objet haï, elle vit de cette déformation ». Le saint Paul d’Onfray, c’est Onfray. Le Jésus symbolique d’Onfray, c’est le dieu imaginaire d’Onfray, prophète nietzschéen de l’éternel retour de l’imposture qui vit au crédit des saints et des sages.

Onfray est un âne, généreux de son fourrage de crâne, qui vocifère ses passions tristes avec un cœur froid. Onfray incarne précisément la décadence qu’il dénonce à longueur de talk-show. Il a toute l’entropie d’une soucoupe. Les heurts, les clics et le déclin de Michel Onfray s’écrivent patiemment à mesure que s’étalent ses tristes œuvres et sa pauvre argutie. Le philosophe va jusqu’à conclure son ouvrage par ce lapsus : «  le néant est la seule chose dont on soit certain ». Le christianisme de Michel Onfray, c’est son inconscient qui se regarde parler à la télévision.

Il est presque pathétique de voir ce malheureux couler sous le poids de son narcissisme intellectuel, le tout avec des airs de divas de Titanic. Mais ce chant du cygne est aussi coupable, car en répandant sa décadence performative, Onfray ne fait pas seulement injure au passé, il veut aussi condamner le présent et l’avenir. Si Michel Onfray veut courir à l’abîme, qu’il y aille seul. Notre génération n’a pas besoin de son « évangile » de la mauvaise nouvelle ni de la haine de soi de ce triste prophète.