Les mouvements de lutte contre la publicité s’organisent : « Subvert the City » est un appel international « invitant les citoyens du monde à prendre part à une action créative contre la publicité et le consumérisme dans l’espace public ». Ce réseau interroge le rôle joué par les médias publicitaires et ses conséquences sociales, économiques et environnementales. Leur enjeu est de « ré-imaginer collectivement ce que nos villes et nos sociétés pourraient être ».

Vivaces depuis de nombreuses décennies, la critique de la société de consommation et la dénonciation de nos modes de production industrialisés nous amènent à réfléchir à la place que la publicité occupe dans tous les aspects de nos vies. Comme l’exprime justement Jacques Ellul dans Métamorphose du bourgeois : « l’idéologie du bonheur exige une croissance de consommation de bien-être en établissant le terrain favorable pour l’éclosion de nouveaux besoins. […] Mais plus la consommation augmente, plus l’idéologie du bonheur doit être puissante pour combler le vide de l’absurde du cycle engagé. » C’est en effet une promesse de bonheur que nous vend la publicité quand elle veut nous faire croire que tel produit nous rendra plus heureux, plus beau, plus intelligent, plus désirable ou plus performant. Machine à formater les esprits, la publicité est le carburant de la marchandisation du monde.

L’arrivée massive du numérique dans notre environnement social, couplée à la puissance des nouvelles techniques de marketing, ainsi qu’à l’agressivité de la promotion commerciale et des nouvelles formes d’affichage influence nos comportements. Tout usager des transports en commun aura notamment pu remarquer le remplacement progressif des affiches papier par de larges écrans animés. Dans l’espace public, les bâches, supports lumineux et écrans géants prolifèrent.

Dans un contexte moyen d’exposition médiatique (télévision, radio, affichage presse et cinéma), nous sommes quotidiennement soumis à plusieurs centaines de messages publicitaires. Si nous tenons compte de l’utilisation massive d’internet, de l’affichage omniprésent sur la voie publique et dans les transports, ainsi que des effets d’une consommation simultanée de médias, cette moyenne augmente d’autant plus. Enfin, si l’on considère la publicité dans une acception plus large comprenant le sponsoring et les logos facilement identifiés (notamment sur les habits), le placement de produits, les enseignes et devantures de magasins, les publicités sur les distributeurs et les présentoirs, nous sommes alors exposés à plusieurs milliers de stimuli commerciaux non sollicités par jour et par personne.

Ellul rappelait dans La parole humiliée, que  « l’image est maintenant l’aliment quotidien de notre sensibilité, de notre intelligence, de notre sentimentalité, de notre idéologie. »

Le budget mondial de la publicité a été estimé à plus de 530 milliards de dollars en 2016 (selon le rapport du bureau d’analyse Carat), un chiffre en hausse de 4.5 % par rapport à 2015. Et les dépenses de publicité en ligne (réseaux sociaux, sites et moteurs de recherche) sont en expansion. La croissance forte du secteur du numérique (téléphonie mobile, vidéos en ligne et réseaux) a représenté près de 27% des dépenses publicitaires en 2016 et devrait atteindre environ 30% en 2017, soit environ 161 milliards de dollars. Si la télévision demeure le média majoritaire pour la publicité, cette évolution est directement liée à la complexification du secteur qui utilise de plus en plus de datas. Si nous nous situons au niveau le plus simple de notre expérience vécue, Ellul rappelait dans La parole humiliée, que  « l’image est maintenant l’aliment quotidien de notre sensibilité, de notre intelligence, de notre sentimentalité, de notre idéologie. »

Les conséquences écologiques de la publicité sont trop peu analysées et les risques sur la santé physique et mentale sont pourtant certains : surcharge cognitive, accroissement des TCA (troubles du comportement alimentaire), souci de se conformer, rivalité ostentatoire… L’appel de Tunis en 2015 au Forum Social Mondial avait mis en place une journée mondiale d’action contre la propagande publicitaire (le 25 mars, en mémoire de l’acquittement ce même-jour en 2013 d’un groupe d’activistes français) dont  l’objectif est de rendre visible « la contestation du système publicitaire au niveau mondial et de réclamer la liberté de réception (pendant de la liberté d’expression) pour toutes et pour tous en stoppant l’envahissement publicitaire ».

Le réseau Subvertisers International comporte douze membres (issus de sept pays sur trois continents), avec notamment les Britanniques de Brandalism, les Espagnols de Consume Hasta Morir (« Consommer jusqu’à la mort »), les Français du Collectif des Déboulonneurs, de RAP (Résistance à l’agression publicitaire), du groupe Robert Johnson ; les Allemands de Dies Irae mais également des collectifs argentins, australiens…

Il est plus que nécessaire de questionner le système publicitaire en tant que moteur du consumérisme, outil de propagande industrielle et agent de la désolation du monde. La publicité est inhérente à l’organisation des structures sociales dans lesquelles nous sommes tous plus ou moins intégrés et auxquelles nous nous adaptons tant bien que mal. La remettre en cause et mettre au jour les illusions consuméristes ne signifie pas critiquer seulement ses effets mais critiquer radicalement notre modèle productiviste basé sur la croissance.

Article initialement publié le 23 mars 2017.
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