Aujourd’hui sort dans les salles le nouveau Scorsese, Silence. Dans un long film tourmenté et puissant, le réalisateur américain nous plonge dans la persécution des chrétiens japonais au XVIIème siècle, et nous interroge sur l’orgueil du martyre et la rédemption des lâches.
C’est l’histoire d’une persécution oubliée, celle des chrétiens japonais au XVIIème siècle que nous invite à redécouvrir le réalisateur américain Martin Scorsese dans son dernier film, Silence. Inspiré par le roman du même nom de l’écrivain catholique japonais Shûsaku Endô, Silence est à la foi une méditation métaphysique, un itinéraire spirituel et une plongée historique dans le Japon du XVIIème siècle.
Saint François-Xavier, proche d’Ignace de Loyola, avait débarqué au Japon en 1549 et y avait baptisé un millier de personnes. Au début plutôt bien accueilli par les autorités locales, le christianisme fut à partir de 1587, date d’expulsion des missionnaires, de plus en plus réprouvé par le gouvernement japonais. Avec plus de 300.000 fidèles au début du XVIIème siècle, les Japonais représentaient la plus grande communauté chrétienne d’Asie. La persécution prend ensuite un tour particulièrement violent à partir de 1614 où le christianisme est purement et simplement interdit par un édit, les chrétiens contraints à la mort ou à l’apostasie. S’ils refusent, ils sont crucifiés, décapités, aspergés d’eau brulante, scènes d’horreur que l’on voit dans le film de Scorsese. Des primes sont octroyées à qui dénonce les chrétiens. Dès lors les « Kirishitan » vivent une foi clandestine, une piété de catacombes, sans prêtres ni symboles, répétant les maigres prières apprises des missionnaires. C’est dans ce contexte que Rodrigues (Andrew Garfield) et Garupe (Adam Driver), deux prêtres jésuites portugais, partent en l’an 1633 à la recherche d’un troisième missionnaire, disparu, dont on dit qu’il aurait apostasié. Accueillis comme des prophètes par ces chrétiens persécutés, les deux prêtres, les derniers de l’île, découvrent avec horreur l’ampleur d’une inquisition qui se donne tous les moyens pour éradiquer une religion.
Doit-on mourir pour une image ?
Les chrétiens capturés sont invités à apostasier en foulant du pied une image du Christ (fumi-e). Le geste est simple. « Ce n’est qu’une image, c’est insignifiant », « ce n’est qu’une formalité » glissent les inquisiteurs.
Doit-on mourir pour une image ? Quand la question est entre sa propre vie et le reniement de sa foi, il y a sans doute lâcheté à refuser le martyre, mais lorsque le choix est entre la vie des autres et sa propre foi, quelle est la solution la plus juste ? On est bien loin de Polyeucte de Corneille, et on se rapproche du Grand Inquisiteur de Dostoïevski, pour qui la paix des hommes est plus importante que la pureté des principes.
C’est à cet affreux dilemme que le père Rodrigues est confronté : doit-il en renonçant publiquement à sa foi, sauver des vies ? Oui bien doit-il, en s’entêtant dans l’orgueil du martyre, condamner des innocents à périr ?
Dans une scène sublime, il est placé devant des Japonais que l’on torture sous ses yeux : pendus au-dessus d’une fosse, leur sang s’égoutte peu à peu. Il prie dans sa cellule en répétant les paroles du Christ à Gesthemani. Sur les parois de sa prison, sont gravés dans le bois des mots de louange tracés par les précédents prisonniers chrétiens. Ferreira, le prêtre apostat, vient le voir en ultime tentateur « Moi aussi j’ai prié, c’est moi qui ai gravé ces mots sur la paroi de la cellule », lui glisse-t-il. « Si le christ était là, il aurait apostasié » lui dit Ferreira, l’invitant à commettre « l’acte d’amour le plus pénible qui soit ». Alors Rodrigue entend la voix du Christ qui lui dit : « Piétine ! Piétine ! Mieux que quiconque je connais la souffrance. Piétine ! C’est pour être piétiné par les hommes que je suis venu au monde ! C’est pour partager la douleur des hommes que j’ai porté ma croix ! »
C’est par le péché que Dieu parle
Certains esprits verront dans ce film un plaidoyer pour l’apostasie. En exposant l’idée d’un reniement par charité, Scorsese n’aurait que mépris pour les milliers de chrétiens japonais qui sont morts dans d’atroces souffrances par fidélité radicale à l’évangile. Pourtant, il ne fait que rétablir la vérité du martyre chrétien : on ne meurt pas pour Dieu, c’est lui qui est mort pour nous. Pour nous racheter. C’est pourquoi, au-delà des figures magnifiques des martyrs mourant en chantant des hymnes, l’un des personnages les plus intéressants du film est sans doute Kichijiro. Homme faible, Kichijiro piétine le Christ à plusieurs reprises tandis que brûlent des frères. Parjure et traitre, ce Judas japonais vend Rodrigues pour 300 pièces d’argent. Mais sans cesse il poursuit le prêtre pour lui demander l’absolution. La conscience du péché et de sa propre faiblesse le hante, et c’est lui qui fera comprendre à Rodrigues le silence de Dieu : c’est par le péché que Dieu parle.
En arrière-plan du film, c’est toute la question du prosélytisme qui est en jeu. La vérité est-elle universelle ? « Allez dans le monde répandre la bonne nouvelle », dit Dieu. Peut-on vraiment transmettre la foi à des cultures fondamentalement étrangères à la chrétienté ? Pire : la foi enseignée est-elle vraiment la même foi qu’il existe en Europe ? Les « Kirishitan » croient-ils vraiment à la religion de Rome et au Christ de l’Evangile ? Ou bien ont-ils recyclé leur ancien panthéisme dans le « Deus » des missionnaires ? « Ils n’ont jamais cru », dit Ferreira. « Mais ils sont morts pour leur foi », répond Rodrigues. « Ils mourraient pour vous ». « Notre monde n’est pas tout l’univers. Peut-être y a-t-il un endroit où le Christ n’est pas mort » se demandait déjà le curé torturé de La Puissance et la Gloire, le chef d’œuvre de Graham Greene. L’inquisiteur fustige « le rêve égoïste d’un Japon chrétien ». « Le prix de votre gloire est leur souffrance », martèle-t-il.
Ce chef-d’œuvre n’est pas une leçon de catéchisme, mais une plongée dans les tréfonds de l’âme. Dans ce film, c’est la tension fondamentale du catholicisme qui s’exprime : le martyr et le pécheur se répondent, et la figure de celui qui chute et se relève vaut celle de la victime immolée dans la gloire. Mieux : une mystérieuse communion des saints est à l’œuvre.
Ce chef-d’œuvre n’est pas une leçon de catéchisme, mais une plongée dans les tréfonds de l’âme. Dans ce film, c’est la tension fondamentale du catholicisme qui s’exprime : le martyr et le pécheur se répondent, et la figure de celui qui chute et se relève vaut celle de la victime immolée dans la gloire. Mieux : une mystérieuse communion des saints est à l’œuvre. Et ce n’est que parce que le saint tient bon dans le martyre, que la rédemption du lâche est possible. Hanté par le souvenir du bûcher consumant sa famille, Kichijiro sait qu’il sera pardonné soixante-dix fois sept fois, et c’est dans sa soif de rémission que Rodrigues entendra la voix de Dieu.
Qu’est-ce que le christianisme ? Ce ne sont ni les images, ni le paradis, ni les arguties des Jésuites : c’est une possibilité de rachat jusqu’à la dernière minute. Dans un Japon purgé du christianisme, les braises de la grâce ne sont jamais tout à fait éteintes. Au fond du plus sali des renégats peut briller encore la flamme de la foi. Le grain de sénevé ne meurt qu’avec l’homme.
- Sylvain Tesson « Moi, je viens de la civilisation d’avant : celle des sourciers, les hommes qui cherchaient l’eau avant de creuser les canaux. » - 05/30/1998
- Roger Scruton : « LE PROGRÈS EST UNE SUPERSTITION PERVERSE » - 05/30/1998
- «IL N’Y A RIEN DE PLUS RINGARD QUE CE QUI EST INNOVANT» SYLVAIN TESSON - 05/30/1998
« Il ne fait que rétablir la vérité du martyre chrétien : on ne meurt pas pour Dieu, c’est lui qui est mort pour nous. Pour nous racheter. » N’ayant pas encore vu le film, je réserve mon jugement. Quant à cette phrase, il me semble qu’elle appelle le commentaire suivant. D’un certain point de vue, les martyrs meurent pour Dieu. Par exemple, dans la Lettre sur les martyrs de Lyon en 177, telle qu’elle nous est rapportée par Eusèbe de Césarée, il est dit à plusieurs reprises qu’ils donnent leur vie « pour que le Christ soit glorifié ». Par ailleurs, c’est bien évidemment Dieu qui est mort pour nous racheter, mais on ne bénéficie de ce rachat que par la foi qui sauve. D’un certain point de vue, les martyrs donnent donc leur vie pour eux-mêmes, afin de prouver la force de leur foi en Dieu, et bénéficier ainsi du salut. Les apostats, eux, se damnent (sauf retour à la foi et demande de pardon). Enfin, les martyrs donnent leur vie pour leurs frères humains, y compris leurs persécuteurs. D’abord par le témoignage qu’ils donnent ; et, plus profondément peut-être, parce qu’ils complètent ce qui manque aux souffrances du corps du Christ, selon la phrase énigmatique de saint Paul (Colossiens 1, 24-29). C’est le mystère de la communion des saints, et de la condescendance de Dieu qui permet aux prédestinés, c’est-à-dire à ceux qu’il a configurés à son Fils (Romains, 8, 29), de participer à l’œuvre du salut. En tout cas, apostasier pour sauver la vie (terrestre) de ses frères ne saurait en aucun cas être un acte de charité. Car ce serait mettre en péril, par ce contre-témoignage, leur vie éternelle, qui seule compte. Il y aurait beaucoup à dire sur un certain discours de l’Église post-conciliaire relative à la défense de la vie. C’est vrai que la vie de l’innocent doit être défendue. Mais tout un autre enseignement chrétien dit que la vie dans cette vallée de larmes ne compte pas et que c’est la souffrance et la mort qui sont belles, si elles permettent de conquérir la vie éternelle. Rappelons la réponse du bx François de Fatima à qui l’on demandait ce qu’il voulait faire plus tard. « Rien, disait-il, je veux mourir et aller au ciel ».
Quand je lis un tel discours je comprends ceux qui haïssent les religions.
Qui veut la vie éternelle pour lui-même la perdra.
Démonstration parfaite de ce que recherchait Scorsese avec ce film…! Le piège a fonctionné. La comparaison avec les djihadistes n’est pas loin. Un pas qu’a allègrement franchi France Info ce matin. Dans ce film, tout comme dans sa « dernière tentation du Christ » Scorsese nous resert son thème cher, quoique d’une façon plus subtile ici, à savoir : le Sacrifice ne sert à rien. Avec ce film, Scorsese enchaîne et piège sa proie, l’aspirant à la sainteté, en vidant de toute sa substance le martyre. Et il le fait en lui ôtant sa dimension surnaturelle, ce qui est d’ailleurs résumé dans le titre du film : le silence de Dieu… Véritablement diabolique !
La comparaison avec les djihadistes m’est venue en lisant F. Sibuet.
Il y a deux questions :
La première demande s’il y a un droit au martyr au mépris de la vie d’autrui.
La deuxième demande si le martyr a un sens.
Répondre non à la première n’implique pas de répondre non à la deuxième.
Corriger « martyr » par « martyre » dans mon commentaire ci-dessus.
Je partage cet avis!
Que les choses soient claires, mourir pour le Christ au prix de la vie d’autrui n’est pas chrétien.
Ce serait une perversité que de laisser la question ouverte.
Jésus ne veut pas que sa mort soit la cause celle de Pierre et il lui fait cette prophétie auto-réalisatrice : « avant que le coq chante, tu me renieras trois fois ».
En ce qui concerne le martyr pour la foi qui ne menace pas directement la vie d’autrui, s’il ne reste pas un scandale alors il sombre dans un fanatisme glauque.
Choisir d’être assassiné plutôt que de renier sa foi ne peut pas être une obligation morale, la question doit rester ouverte et seul Dieu juge et non pas nous de la légitimité du martyr.
La sainteté des martyrs chrétiens est une vérité révélée et non une vérité accessible à l’individu.
C’est offrir sa vie pour en sauver une autre qui est accessible à l’entendement et n’a rien d’un scandale, quoique le courage pour le faire relève de la grâce.
Eugénie Bastié : vous auriez pu prolonger votre réflexion au delà du film en évoquant les petites communautés clandestines japonaises au XVIIIe siècle et au delà : peut-on parler de « catholiques » à leur propos ? Vous auriez pu aussi prendre position sur cette « évangélisation » du monde romain en Asie et sur le sort de cette forme d’acculturation « européenne » qu’on verra partout à l’oeuvre au XIXe siècle. Pour ma part, c’est ce que j’attends d’une critique publiée dans une revue comme la vôtre. (Aujourd’hui, le Japon résiste toujours au Christianisme avec seulement 1% de sa population qui est baptisée).
magnifique critique….. manque juste une petite invitation à relire » le dialogue des carmélites » dans lequel Bernanos trouve des mots si justes sur le renoncement, la peur, l’héroïsme ou l’orgueil qui peuvent y rattachés. « ne pensez qu’a un autre regard auquel vous devez fixer le vôtre »
Ce commentaire est malheureusement bien peu chrétien. Une phrase condamnant « l’orgueil du martyre » recevrait une note théologique qui serait celle de l’hérésie, ou proche de l’hérésie. Les conditions extérieures (ici le supplice d’autrui) ne font rien quant au jugement de l’âme droite : c’est elle, et elle seule, qui sera jugée, pour sa fidélité ou sa trahison.
Poser des questions rhétoriques comme « La vérité est-elle universelle ? Pire : la foi enseignée est-elle vraiment la même foi qu’il existe en Europe ? » sont tristement le signe d’un affadissement complet et dramatique de l’idée de vérité, et partant, de l’idée de dogme. Bien sûr que la foi est la vérité, est qu’elle est universelle. La double vérité, ou toute doctrine assimilée, est fausse, et étrangère au christianisme…
Vous dites : « Les conditions extérieures (ici le supplice d’autrui) ne font rien quant au jugement de l’âme droite : c’est elle, et elle seule, qui sera jugée, pour sa fidélité ou sa trahison. »
Dire que les conditions extérieures ne font rien pour vous c’est adopter en fraude le point de vue divin.
Une foi qui se veut pure et indépendante de toute contingence se transforme immanquablement en fanatisme religieux, en dogme pétrifié, en formalisme irresponsable.
Vous préférez une affirmation formelle de votre foi au soulagement du supplice d’autrui.
cette foi abstraite déconnectée du réel se transforme en relativisme moral, chez vous comme dans le commentaire de F. Sibuet.
C’est la même foi abstraite que celle dans le Progrès divinisé ou toute autre projection, c’est l’idolâtrie.
Ce que vous dénoncez comme double vérité n’est que la distinction entre ce que nous pouvons en saisir et la vérité en elle-même qui est une, cela n’opère une division que dans la pensée.
Incroyable que l’on puisse supprimer un commentaire sans polémique aucune de cette façon …..je conçois que vous n’y trouviez pas un intérêt majeur mais…… une explication?
Si vous postez un commentaire celui-ci apparait tout d’abord avec la mention « en attente de modération ». Ensuite si vous vous déconnectez puis reconnectez votre commentaire a disparu. S’il est accepté par la modération il réapparait au bout d’un temps variable, parfois quelques jours, ou alors il ne n’apparait jamais s’il est rejeté. C’est ce que j’ai constaté en postant ici.
Tres beau commentaire qui remet ce film dans une perspective chretienne meme s’il s’adresse a un monde post-moderne qui questionne tout sans trouver de reponses satisfaisantes. Il est tres interessant et salutaire de parler du martyr chretien qui est la fois consequence mais aussi source de charite a l’heure ou les societes occidentales font l’experience d’autres types de martyr.
N’ayant pas vu le film mon jugement est incomplet mais le titre du film revele ce qui manque surement a son auteur c’est a dire l’experience concrete du Dieu vivant.
Dans la litterature autour du goulag sovietique il y a beaucoup d’exemples de pretres ou de religieuses partis au fin fond de la Siberie pour ammener l’Amour du Christ – dans le silence apparent de leur vie ils avaient en eux l’essentiel: comme le disait Sainte Therese « Dieu seul suffit » ce qui n’est pas une construction intelectuelle mais un retour d’experience.
En tout cas merci a Eugenie Bastie pour sa mise en perspective et sa culture rafraichissante.
« La Supercherie dévoilée » a été écrite en 1636 au Japon par Cristovao Ferreira, ancien jésuite portugais qui avait abjuré sous la torture de la « fosse ». Le texte court est mis en perspective par l’historien Jacques Proust (+ 2005) dans son livre : La supercherie dévoilée. Une réfutation du catholicisme au Japon au XVIIe siècle, aux éditions Chandeigne. L’hypothèse argumentée de Proust est que Ferreira, un homme de grande culture philosophique et théologique, avait perdu la foi de sa jeunesse, sous l’influence de la science biblique et de l’érasmisme notamment. Témoignage original donc, d’une apostasie qui était plus raisonnée que l’institution cléricale veut bien le dire. Les doutes de Ferreira (qui sont ceux des européens à la même époque) lui auraient de toute façon valu une mise en accusation et les tortures de l’inquisition catholique de Goa… Ce témoignage de l’ancien missionnaire contre la « foi » chrétienne est en même temps de facto un plaidoyer contre une forme raffinée de l’impérialisme culturel qui devance toujours l’arrivée d’une armée étrangère et la mise sous tutelle du pays concerné. O.M. lecteur indépendant.
Merci beaucoup à Eugénie Bastié pour cet article qui permet d’approfondir la réflexion et les questions soulevées par le film de Martin Scorsese ( que j’invite véritablement à voir celles et ceux qui ne l’ont pas encore vu et encore plus si ils ont lu cet article ) et, plus encore et avant tout, par le roman de Shûzaku Endô 🙂 .
À propos de ce dernier, j’aimerais si vous le voulez bien revenir sur la notion de faiblesse de faiblesse et sur la question soulevée quant à une éventuelle impossibilité à transmettre la foi à des cultures fondamentalement étrangères à la chrétienté ( ou du moins à une partie de la chrétienté ). Avant tout, je tiens à signaler que je n’ai ( du moins pour l’instant peut-être ) découvert de l’œuvre d’Endô que quelques passages de « Silence » donc il se peut que cette analyse ne soit pas des plus objectives et je m’en excuse. Néanmoins, j’ai pu faire des recherches sur sa vie et son œuvre et du coup je vais m’appuyer sur elle.
La notion de faiblesse et la question soulevée quant à la place du christianisme au Japon sont ancrées au sein de l’œuvre du romancier chrétien. En effet, Endô a toujours une attention particulière aux faibles et aux lâches dans ses romans. Certaines sources disent que cela serait notamment dû à sa santé fragile mais également à un complexe d’infériorité qu’Endô aurait développé vis-à-vis de son frère aîné. Il a donc toujours donné au sein de son œuvre une place importante aux faibles ou du moins aux personnes que le monde déclare comme étant faibles. Et pas seulement les personnes les plus vulnérables physiquement comme il le fut lui-même ou psychologiquement mais également les personnes faibles face aux épreuves ou aux tentations. C’est ce que l’on trouve dans « Silence » à travers les personnages de Cristóvão Ferreira et de Kichijiro et c’est que l’on trouve dans toute l’œuvre du romancier japonais.
Pour ce qui est de la question de la transmission de la foi en terre japonaise, elle reflète un cas particulièrement sensible de la personnalité d’Endô puisque le romancier s’est senti toute sa vie comme partagé en deux entre son identité japonaise profondément ancrée en lui et sa foi chrétienne. Cette dernière lui donnait l’impression d’être un étranger au sein de sa propre culture et bien qu’il admire plusieurs romanciers français, il ne s’est pas moins senti étranger quand il vint à Lyon pour poursuivre ses études et qu’il découvrit la place que tenait le Christianisme en Occident. On trouve donc dans l’œuvre d’Endô une sorte de quête quant à la place et la transmission du Christianisme au Japon. Ainsi, en étudiant sa propre culture ainsi que les divinités vénérés par les Japonais au sein du Shintoïsme et de certaines branches du Bouddhisme, Endô en a conclu que, dans leurs divinités, les Japonais cherchaient des figures quasi-maternelles qui comprennent leurs faiblesses et qui les aident avec tendresse et non des figures autoritaires jugeant leurs actes. Pour Endô, les Japonais pourront recevoir le Christianisme si Dieu est montré comme un « Dieu-mère » qui « souffre avec nous » et comprend les faiblesses des hommes car ils pourront s’identifier à lui. Cette conclusion rejoint une certaine christologie mise en place au cours de la seconde moitié du XXème siècle par des théologiens japonais aussi bien catholiques que protestants ainsi que certaines paroles du pape François qui parle de Dieu comme « un Père qui nous aime avec un cœur de Mère ». D’ailleurs le Saint-Père a lui-même reconnu au cours de l’entretien qu’il a accordé à Martin Scorsese et sa famille avoir lu le roman d’Endô.
Si cela vous dit, je vous invite vraiment à lire le dernier numéro de la revue « Études » dans lequel on peut trouver un excellent article sur la vie et l’œuvre de Shûzaku Endô ainsi qu’une critique du film de Scorsese elle aussi intéressante. Je vous invite aussi à lire le dossier de presse français du film Silence dont le lien se trouve ci-dessous et qui permet d’approfondir davantage la réflexion et les questions soulevées par le film et le roman ainsi que de découvrir un peu plus l’histoire de l’Église du Japon.
Pour conclure, l’une des démarche de Shûzaku Endô au sein de son œuvre peut se résumer ainsi : « J’ai essayé, non pas tellement de raconter un Dieu-Père, image qui a tendance à caractériser le christianisme, mais plutôt de représenter l’aspect maternel et bienveillant de Dieu révélé dans la personne de Jésus ».
http://www.jesuites.com/2017/02/silence-de-martin-scorsese-notre-dossier-de-presse/
https://www.revue-etudes.com/article/francois-euve-nous-parle-du-film-silence-de-martin-scorsese-18338
Autant dire que les martyrs chrétiens n’étaient en fait que des fanatiques. C’était déjà l’idée des persécuteurs romains et c’est ce qui triomphe en notre époque relativiste. Réduire la vie au confort, qui devient plus important que la foi ou la Vérité, faire peser la faute des bourreaux sur les victimes, prôner la lâcheté et la servilité, c’est tout ce que le Christ est venu combattre. A-t-il encore des disciples aujourd’hui ?