Ce qui caractérise la société actuelle c’est qu’elle fait primer ce qui dépend du domaine de l’économie sur le reste. Ce qui n’a pas de finalité économique est inutile et tout ce qui peut avoir une valeur marchande doit être mis sur le marché pour produire de la richesse. Le critère de réussite de toute activité est devenu la capacité à dégager du profit, c’est d’ailleurs l’unique finalité de toute entreprise. La croissance du PIB est, quant à elle, l’indicateur de la bien-portance d’une société.

Notre société recherche en priorité la croissance du PIB, c’est l’objectif de chaque gouvernement et de quasiment tout programme politique. Pour rendre cette croissance possible, il faut soit que les entreprises augmentent le nombre de biens ou de services vendus, soit qu’elles augmentent le prix de ceux-ci sans que cela n’entraine une baisse de la demande. La stratégie la plus sûre est donc d’essayer de vendre plus au même prix (voire plus à un prix moindre grâce à des économies d’échelle ou à la délocalisation de la production). Pour que l’économie moderne fonctionne, il est donc nécessaire que les acteurs économiques gardent un rythme de consommation important et évitent certains comportements comme épargner. Pour maintenir le système, les acteurs économiques doivent devenir des machines à consommer, que leur instinct de consommateur prenne le dessus sur leur capacité de discernement, sur le bon sens qui les pousseraient à attendre plus tard au lieu de consommer aujourd’hui. Pour cela, les publicitaires lancent des campagnes de publicité pour nous laver le cerveau et nous inciter à consommer plus. À la maison, dans la rue, dans le métro, etc., peu d’endroits sont épargnés par cette invasion. L’ancien PDG de TF1, Patrick Le Lay, avoua cet objectif de la publicité sans aucune gène dans un livre (1) : « Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. » Le but derrière tout cela est de désactiver ce qui peut être un frein à la consommation impulsive dont ce système à besoin, c’est-à-dire la capacité de raisonner, de choisir d’acheter ou de ne pas acheter, d’attendre le bon moment, de faire réparer plutôt que remplacer, etc.

Le but derrière tout cela est de désactiver ce qui peut être un frein à la consommation impulsive dont ce système à besoin, c’est-à-dire la capacité de raisonner, de choisir d’acheter ou de ne pas acheter, d’attendre le bon moment, de faire réparer plutôt que remplacer, etc.

L’ennemi de la société marchande est la liberté, ou pour être plus précis, le libre arbitre de l’homme, c’est à dire sa capacité à prendre des décisions, faire des choix en conscience. Notre société cherche en permanence à réduire notre liberté. La société moderne est une « conspiration contre toute forme de vie intérieure » nous prévenait déjà Bernanos. Cette liberté est une des caractéristiques propres à l’homme qui fonde sa valeur et qui révèle sa dignité ; elle est « une nourriture indispensable à l’âme humaine » nous rappelle Simone Weil. Ainsi, la société moderne déteste la liberté humaine, elle veut la détruire pour n’avoir que des consommateurs guidés par leurs pulsions. La question de la liberté se pose de manière encore plus forte concernant les nouveaux appareils connectés. Si, par exemple, tout le monde utilise WhatsApp pour communiquer, il est difficile pour moi de ne pas avoir de smartphone et de ne pas utiliser cette même application sans me retrouver exclu. Ainsi, si nous voulons rester dans le coup, nous sommes obligés de continuer à suivre une modèle que nous n’avons pas choisi, que nous ne maîtrisons pas et qui risque de nous emmener là où nous ne voulons pas aller. Sachons dire « stop ! » avant qu’il ne soit trop tard. Or nous ne pouvons pas le dire seul, au risque de passer pour marginal ; la résistance doit être collective et rassembler largement.

Ainsi, si nous voulons rester dans le coup, nous sommes obligés de continuer à suivre une modèle que nous n’avons pas choisi, que nous ne maîtrisons pas et qui risque de nous emmener là où nous ne voulons pas aller.

Aujourd’hui, il y a urgence de préserver notre liberté des attaques qu’elle subit de la publicité, de toutes les injonctions à consommer, de la mode, etc. Comme le disait Bernanos : « Je voudrais avoir le contrôle de tous les postes radio de la planète pour dire aux hommes:  » Attention! Prenez garde ! La liberté est là, sur le bord de la route, mais vous passez devant elle sans tourner la tête.  » » Il est nécessaire de retrouver notre capacité de jugement, de discernement, en particulier dans le domaine de la consommation pour ne pas subir la fuite en avant à laquelle nous incite le modèle économique actuel. Pour cela, nous avons besoin de remettre à l’avant plan les vertus platoniciennes de prudence et de tempérance. La prudence est la capacité de discernement, c’est-à-dire de décider ce qu’il convient de faire dans une situation donnée. La prudence ne signifie pas forcément de se retenir d’agir, mais de choisir l’acte qui est le plus adéquat pour obtenir le plus grand bien ou le moindre mal. La tempérance est la vertu de la modération. C’est utiliser sa volonté pour contenir ses passions, ses instincts. La tempérance vise à empêcher la démesure. La tempérance n’est pas la privation ; elle est savoir se contenter de ce dont nous avons besoin et refuser ce qui est de trop. C’est le refus de l’excès. Notre société a complètement délaissé la tempérance ; elle la fait passer pour de la tiédeur ou de l’austérité. Au contraire, la tempérance, c’est vivre mieux avec moins. C’est savoir apprécier ce que j’utilise, ce que je possède à sa juste valeur et selon mes besoins. La vraie question est donc de savoir ce qui constitue nos réels besoins ?

Il est nécessaire de retrouver notre capacité de jugement, de discernement, en particulier dans le domaine de la consommation pour ne pas subir la fuite en avant à laquelle nous incite le modèle économique actuel. Pour cela, nous avons besoin de remettre à en avant les vertus platoniciennes de prudence et de tempérance.

Pour pouvoir vivre de ces deux vertus, il est nécessaire de se protéger des attaques du monde marchand et de lutter contre l’invasion publicitaire. Débrancher la télévision (et éteindre tous nos objets connectés) est sans doute l’acte le plus facile à faire. L’envahisseur n’aura ainsi plus accès à notre salon ni aux cerveaux de nos enfants. Protéger nos données personnelles sur internet, veillez à nous « dégoogliser » autant que possible, car Google et autres GAFA (Google, Appel, Facebook, Amazon) traquent toutes les informations possibles sur nous dans le but de les utiliser à des fins commerciales et publicitaires. Enfin, rejoindre des groupes de militantisme antipub (Casseur de pub, Résistance à l’agression publicitaire, etc.). Ne nous laissons pas voler notre liberté !

(1) Les Associés d’EIM (Executive Interim Management), Les dirigeants face au changement, Éditions du Huitième jour, 2004.