Petite revue d’un excellent livre, Frère des Astres, où il est question de la simplicité et l’errance salutaire du « vagabond de Dieu », Saint Benoît Labre.

« Frères des astres, vous, les poux

Qu’il laissait paître sur sa tête,

bon pour vous et dur pour sa bête,

Dites, par la voix du poète,

A quel point ce pauvre était doux ! »

Ces vers de Germain Nouveau consacrés à saint Benoît Labre, que nous avons fêté il y a quelques jours, ont inspiré à Julien Delmaire sinon le sujet, du moins le titre de son deuxième roman, Frère des astres, auquel ils servent d’épigraphe.

Frère des astres, au singulier : ce titre ambivalent résume bien la vie et l’œuvre de ce saint venu du nord, vie entièrement ratée, désastreuse même, selon les valeurs du monde ; mais sublime, céleste même, selon celles de l’évangile.

Récemment publié par Grasset, Frère des astres nous fait la courte échelle vers cette improbable figure de sainteté. Après Verlaine, après Nouveau, le jeune poète Julien Delmaire célèbre à son tour celui que l’Église a nommé « saint patron protecteur des célibataires, des sans-abris, des itinérants et des personnes inadaptées ». Julien Delmaire actualise la vie de ce saint du XVIIIe siècle, qu’il transpose de nos jours. Mais c’est toujours de son village d’Amettes qu’il part, à l’extrême Nord de la France, dans cet Artois de précarité, frappé par la désindustrialisation après des décennies de prolétarisation.

Et le voilà, ce mystique inadapté, amoureux de la sainte Vierge, qui s’en va sur les routes, après la mort de son père, pour vivre la providence au grand vent et à la belle étoile. « Dieu existe, maman, il bêche pour nous », écrit avant de la quitter le jeune ouvrier à sa mère chérie, qui noie son deuil dans l’alcool. Ce récit de voyage spirituel est aussi l’occasion d’un hommage rendu aux petites gens des provinces oubliées, aux anonymes cabossés des régions délaissées. Roman évangélique, roman écologique aussi où la sobriété côtoie la charité, où l’amour de la Création embrasse l’amour des marginaux des villes comme des campagnes. « Rosaire des ruines. Bénies soit la terre d’Artois, la terre gluante du Hainaut, la terre sucrée du Cambrésis. Bénies les cieux de Flandres. Bénies la Côte d’Opale, les falaises sculptées par le vent. Bénie la Picardie mentale qui recueille les lueurs orphelines. Bénis soient les houillères, les pétales silicosés, les cokeries muettes, les fosses à purin, les cages à lapins. Bénies les femmes et les hommes d’ici, leurs bonheurs et leurs peines. »

Si « Benoît tourne en rond », c’est qu’il « cherche la nature intacte » et qu’il ne trouve partout qu’une humanité tordue et qu’une campagne balafrée. Qu’importe ! Ses pérégrinations ont le goût de la grâce et de l’aventure des « fous de Dieu » et le message qu’il porte de squats en hôpital psychiatrique, c’est celui de la Miséricorde divine qui vient à bout de toutes nos vanités, de toutes nos désespérances. Saurons-nous la reconnaître et l’accueillir ? Laisserons-nous la compassion convertir nos cœurs de pierre en cœur de chair ? Ne sommes-nous pas trop persuadés de notre propre normalité ? Telles sont les questions que le Benoît Labre de Julien Delmaire pose au lecteur. D’où nous viendra le salut en ces temps d’illusoire satiété ? « Il paraît que Jésus est passé près de nous, à la pause de midi, et que nous l’avons confondu avec un homme-sandwich. Il paraît qu’à la gare de l’Est, alors qu’il multipliait les miettes de pain, les vigiles lui ont fait passer le goût du miracle. On dit qu’au mitard de Fresnes, des matons lui ont défoncé la mâchoire. Plus personne ne vient le voir, le dimanche, derrière la vitre du parloir. On dit qu’il a été interné, qu’il bouffe des cachets de toutes les couleurs et que les aides-soignants ont arrêté de le laver. Dans un charter aux ailes déployés, la bouche close par du sparadrap, on dit qu’il nous a pardonné à tous. Il paraît qu’il est mort de froid à Bordeaux, sur un banc public. Il paraît. »

Après la jungle parisienne, après les interminables terrains vagues du périurbain, Benoît parviendra à trouver cette nature vivante où l’homme a toute sa place. Énième rencontre, énième étape de ce voyage au bout de la grâce : Julien Delmaire fait de son héros un berger et nous offre des pages superbes sur le Gévaudan. « Au matin, la montagne est bleue. Les pentes secouent leurs parements d’ombre. Le bleu s’écrase tendrement sur la chair des pierres, chair granuleuse, chair amoureuse. Les pierres remuent, mais cela ne se voit pas. Rien de ce qui est essentiel ne se voit, la lente montée des sèves, le rouge aux joues des amants, les états d’âme de la montagne ». La brebis perdue qu’il rattrape, c’est vous et moi, et c’est lui-même. A l’image du Christ, Benoît devient « un pasteur épanoui et silencieux », mais l’appel des périphéries le reprend, quelques saisons plus tard, pèlerin de l’infini. Saint Benoît-Joseph Labre était allé d’Amiens à Lyon et de Compostelle à Rome, le Benoît de Julien Delmaire ne sera allé que du Nord au Sud du pays, jusqu’aux calanques de Marseille. Mais il reste, dans un temps sans transcendance, l’apôtre de l’au-delà, le saint d’une joie qui déborde parce qu’elle sait que l’ici-bas n’est qu’une étape, parce que l’Éternel nous espère.

Merci, donc, à Julien Delmaire pour ce roman inspiré. Loin des hagiographies pontifiantes, Frère des astres nous montre la profondeur de cette joie pauvre et pèlerine, la vivacité et l’actualité du témoignage de ce « vagabond de Dieu » qui nous rappelle que le christianisme n’est pas un fortin où s’abriter du monde, mais un chemin pour l’évangéliser.

Julien Delmaire, Frère des astres (Grasset, mars 2016).

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