Depuis l’annonce de l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes par le gouvernement à la suite du conseil des ministres du mercredi 17 janvier 2018, la question de la légitimité  de la « Zone à défendre » (ZAD) est, à raison,  au centre des débats. Contre quoi « défendre » la zone si celle-ci n’est plus vouée à être bétonnée ? Certains occupants pensent partir, d’autres proclament que le combat n’est pas terminé ; l’opinion publique semble majoritairement favorable à un « nettoyage » de la zone. Alors, pourquoi rester? Cela est-il légitime? Quelques éléments de réflexion.

 

 

Aéroport abandonné, zone à dégager?

Le 17 janvier au soir, après l’annonce de l’abandon par Edouard Philippe, les opposants à l’aéroport communiquaient : « [nous réaffirmons ] le refus de toute expulsion de celles et ceux qui sont venus habiter ces dernières années dans le bocage pour le défendre et qui souhaitent continuer à y vivre ainsi qu’à en prendre en soin ; une volonté de prise en charge à long terme des terres de la ZAD par le mouvement dans toute sa diversité, paysans, naturalistes, riverains, associations, anciens et nouveaux habitants. Pour le mettre en œuvre, nous aurons besoin d’une période de gel de la redistribution institutionnelle des terres. Dans le futur, ce territoire doit pouvoir rester un espace d’expérimentation sociale, environnementale et agricole. En ce qui concerne la question de la réouverture de la route D281, fermée par les pouvoirs publics en 2013, le mouvement s’engage à y répondre lui-même. La présence ou l’intervention policières ne feraient donc qu’envenimer la situation. » Par ce communiqué est confirmée la volonté du mouvement anti-aéroport de mettre en application les mesures déjà réfléchies et formalisées depuis la fin de l’année 2015 sous l’appellation de « texte des six points ».

Car comme cela est répété en permanence depuis de nombreuses années par le slogan « Non à l’aéroport et à son monde ! », le combat est bien plus large de la seule question de cet aménagement du territoire : c’est bien le monde capitaliste dans son ensemble qui est refoulé à l’entrée de ce que le système politico-médiatique appelle « zone de non-droit ».

 

Une « zone de non-droit »?

Je dirais plutôt une « zone d’un autre droit » ! Car si les « pro » comme les « anti » parlent d’anarchie sur la ZAD, les deux parties n’y mettent le même sens : pour les premiers, le terme sera synonyme d’absence d’organisation et de règles, de violence et de crasse ; pour les seconds, cela voudra dire autogestion, partage, solidarité et discussion.

En effet, le système qui s’est mis en place sur la ZAD, s’il n’est pas sans défauts (quel système le serait ?), n’est pas amputé des lois nécessaires à toute vie collective ; simplement, ces règles ne sont pas décidées par une assemblée ou par un chef élus, ni même votées à la majorité absolue : ici, seul le consensus est maître. Des commissions thématiques ouvertes à tous réfléchissent à des problèmes précis et prennent les décisions quotidiennes qui leurs reviennent ; des assemblées générales, où se retrouvent toutes les commissions, tous les mouvements de la lutte et tous ceux qui le souhaitent (ou presque – journalistes, policiers, politiques, n’y mettez pas les pieds !), sont organisées régulièrement pour gérer les désaccords et réfléchir aux questions plus générales et importantes. Tout le monde a droit à la parole, et chaque parole est décisive : tant qu’une décision est remise en cause, par qui que ce soit, elle ne peut être appliquée. Impossible ? Cela fonctionne comme ça, tant bien que mal, depuis des années. Difficile ? Indéniablement. Applicable partout, à grande échelle ? Sûrement pas ! Mais dans une multitude de petites entités, probablement. D’où l’importance d’un retour au local et à la communauté.

Découlant de ce système de décision, ou du moins l’accompagnant, c’est une micro-société qui vit et se crée en permanence à Notre-Dame-des-Landes. Des personnes très diverses y vivent, y travaillent, s’y amusent ou s’y emmerdent, s’y aiment ou s’y détestent. Il s’y trouve des paysans, des artistes et des artisans, des animateurs de radio et des journalistes – indépendants, bien sûr ! Des nourrissons et des vieux. Des actifs indépendants et des passifs assistés. Des gens en bonne santé, d’autres malades ; des alcooliques et des drogués. Des hommes et des femmes, et même certain.e.s qui ne savent pas trop. Des gens de droite – très peu – et de gauche – un peu plus –, mais surtout des gens qui s’en foutent, pour qui ça ne veut plus dire grand-chose. Comme partout. A la différence qu’ici, tout le monde a sa place, à condition de respecter l’esprit et les règles du lieu. A la différence que tout le monde connaît et vit avec son voisin, pour de vrai. A la différence qu’ici, ce n’est pas « chacun chez soi » mais « chez soi pour chacun », non pas « chacun pour soi » mais « chacun pour tous ».

Mais surtout, dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, il n’y a pas de PV de stationnement, pas de contrôleur sanitaire, pas de distributeur Monsanto, pas d’huissier de justice, pas de contrôleur des vaccins. Personne ne viendra emmerder le paysan qui ne traite pas ses bêtes ou ses cultures à coup de produits chimiques, personne ne viendra mettre une amende à celui qui bâtit un abri à outils sans permis de construire ou qui vend ses haricots sans s’être déclaré en préfecture. Ici, nous sommes dans une « zone libre », comme il n’en existe presque plus en France et peut-être même en occident.

Paradis sur terre ? Sûrement pas. Mais cela n’existe pas pour nos pommes, il faut s’y faire.

Système idéal ? Pas complètement, mais pourquoi pas tenter l’expérience ? Cela s’est fait au Larzac, avec succès, en donnant la répartition des terres à un collectif issu des mouvements de la légendaire lutte. Cela fonctionne encore aujourd’hui. Et si cette solution était la meilleure pour tout le monde ?

Enracinons l’avenir !