Qu’est ce que l’identité de l’Europe? Le philosophe et spécialiste des religions Rémi Brague, signataire avec d’autres intellectuels de la déclaration de Paris qui plaide pour une Europe plus charnelle, tente de répondre à cette difficile question. Dans une Union technocratique, de plus en plus divisée entre un Ouest libéral et un Est plus autoritaire, déchiré par la crise migratoire, il nous faut retrouver et assumer notre héritage.

Divisée entre un Ouest libéral et un Est plus autoritaire, entre un Nord économe et un Sud dépensier, l’Europe semble sur le point de se désintégrer. Comment analysez-vous ce processus ? Qu’est-ce qui fait l’unité de l’Europe ?

Ce que vous décrivez ainsi est l’ensemble des pays—plus précisément des États-nations—actuellement présents sur le continent européen. Vous les identifiez par des caractères politiques ou économiques. De ce point de vue, l’unité ne peut résulter que d’un accord entre les gouvernements ou d’une convergence entre des acteurs économiques décidés à coopérer. Auquel cas, ce que l’on appelle l’unité de l’Europe est en fait une union. Elle sera le résultat de décisions qui peuvent être prises selon les intérêts des partenaires, mais qui peuvent donc également être défaites au gré des circonstances.

L’unité européenne préexiste à tout cela. Elle est ce qui fait que les diverses régions situées à l’Ouest du continent euro-asiatique peuvent toutes revendiquer et recevoir l’épithète « européen ». A savoir, une histoire commune, faite d’alliances, de commerce, d’échanges intellectuels, de guerres aussi. Des références communes à un passé classique plus ou moins bien connu, parfois même réinventé. 

L’angoisse identitaire qui grandit dans les pays européens est-elle selon vous liée à la négation de l’héritage chrétien de l’Europe ?

Il est vrai que pas mal de gens rêvent d’effacer toute trace de l’héritage chrétien. Avant de pouvoir le faire concrètement, par exemple en rasant les cathédrales—l’État Islamique a bien tenté quelque chose de ce genre, à son échelle, avec tout ce qui a précédé l’islam—certains le font symboliquement, en réécrivant l’histoire, dans des manuels scolaires, dans des musées, dans des programmes de radio ou de télévision. Mais il n’y a pas que l’héritage chrétien qui soit nié plus ou moins consciemment. C’est aussi la culture classique, dont nos élites ont vécu depuis les « renaissances » successives qui rythment l’histoire intellectuelle de l’Europe. Elles n’ont pas cessé depuis la fin de l’Empire romain d’Occident, disons depuis Boèce (m. 524) et Cassiodore fondant en 555 le couvent-bibliothèque de Vivarium jusqu’aux années 60, en passant par les renaissances carolingiennes, ovidienne au XIIe siècle, la grande Renaissance italienne, les classicismes français et allemands chez Winckelmann et les gens de Weimar, etc. Réduire les langues dites « mortes » à la portion congrue, voire les ridiculiser, les prétendre « élitistes » alors que, n’étant la langue maternelle de personne, leur apprentissage place tous les élèves dans les mêmes starting-blocks, nous avons connu cela. Et cela pourrait revenir.  Mais au fond, c’est l’idée même d’héritage qui se trouve refusée. Certains ont du mal à accepter d’avoir reçu quelque chose et voudraient ne rien devoir à personne.

Les pays de l’Est (Pologne, République Tchèque, Hongrie) semblent avoir beaucoup moins de mal que nous à assumer cet héritage. Comment l’expliquez-vous ?

Il est vrai que pas mal de gens rêvent d’effacer toute trace de l’héritage chrétien. Avant de pouvoir le faire concrètement, par exemple en rasant les cathédrales—l’État Islamique a bien tenté quelque chose de ce genre, à son échelle, avec tout ce qui a précédé l’islam—certains le font symboliquement, en réécrivant l’histoire, dans des manuels scolaires, dans des musées, dans des programmes de radio ou de télévision. Mais il n’y a pas que l’héritage chrétien qui soit nié plus ou moins consciemment. C’est aussi la culture classique, dont nos élites ont vécu depuis les « renaissances » successives qui rythment l’histoire intellectuelle de l’Europe. Elles n’ont pas cessé depuis la fin de l’Empire romain d’Occident, disons depuis Boèce (m. 524) et Cassiodore fondant en 555 le couvent-bibliothèque de Vivarium jusqu’aux années 60, en passant par les renaissances carolingiennes, ovidienne au XIIe siècle, la grande Renaissance italienne, les classicismes français et allemands chez Winckelmann et les gens de Weimar, etc. Réduire les langues dites « mortes » à la portion congrue, voire les ridiculiser, les prétendre « élitistes » alors que, n’étant la langue maternelle de personne, leur apprentissage place tous les élèves dans les mêmes starting-blocks, nous avons connu cela. Et cela pourrait revenir.  Mais au fond, c’est l’idée même d’héritage […]

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