Théoricienne des « nourritures », Corine Pelluchon est universitaire et militante animaliste. Penseur de la transmission, François-Xavier Bellamy est professeur en prépa et maire-adjoint de Versailles. L’une a déjà contribué à la revue (« L’écologie à bras-le-corps », Limite n° 5), l’autre est un soutien de la première heure. En ouverture de ce dossier, nous avons voulu faire discuter ces deux philosophes sur les grands enjeux posés par la question animale. Échange approfondi et rencontre inédite.

Pour commencer, pouvez-nous nous parler de votre histoire personnelle avec les animaux ? 

Corine Pelluchon : Née à la campagne, j’ai connu l’élevage traditionnel, extensif : les vaches avaient un prénom et vivaient 12 ans. Aujourd’hui, au bout de 4 ans, elles sont envoyées à l’abattoir, épuisées… Les cochons vivent 180 jours, les poulets quelques semaines. J’ai toujours aimé les animaux. Être en lien avec eux, au niveau du sentir, me répare. La grande rupture a eu lieu en 2003 : j’ai pris conscience de l’intensité des souffrances qu’on leur inflige chaque jour. Je suis d’abord devenue végétarienne. Cela me semblait un minimum pour faire mon bien avec le moindre mal pour les animaux et les humains. Je connaissais le lien entre la demande croissante de produits animaliers, la faim dans le monde et les problèmes écologiques. J’ai rompu avec mes habitudes familiales, appris à cuisiner différemment… En 2006, je me suis installée aux États- Unis pour enseigner l’éthique médicale. J’ai lu Peter Singer et beaucoup d’autres. À mon retour en France, en 2008, pour écrire L’Autonomie brisée, j’ai visité des hôpitaux, rencontré des soignants et des malades dans plusieurs services, en réanimation-anesthésie, dans des unités de soins palliatifs, en cancérologie, dans des établissements accueillant des personnes souffrant de démence, mais aussi de handicap. La confrontation avec ces êtres en situation de vulnérabilité m’a rendue encore plus sensible aux animaux. À ce moment-là, je me documentais énormément sur la maltraitance qu’ils subissent dans les élevages, sur ce qui se passe dans les cirques, dans les laboratoires, etc. J’ai été kidnappée par la cause animale qui est devenue inséparable de mon existence. 

François-Xavier Bellamy : J’ai eu, pour ma part, une enfance de citadin ; la fréquentation de l’animalité s’y vit surtout à travers l’animal de compagnie. Un chat trouvé et recueilli, notamment ! Mais je passais mes vacances en Loire-Atlantique, dans une maison de famille, au voisinage d’agriculteurs chez qui nous passions le soir pour la traite des vaches. Cette proximité avec les bêtes a d’abord été pour moi une source d’émerveillement, d’étonnement, d’une fascination d’enfant. C’était la rencontre avec la vie dans son altérité, et sa souffrance aussi. Dès l’origine, l’animal nous oblige à une interrogation morale. Mais c’est l’enseignement qui a été ma vraie rencontre avec la question animale : en effet, j’ai été très frappé de voir à quel point l’effacement de la frontière entre l’humain et l’animal est intégré par les élèves. L’idée, par exemple chez Descartes, que seul l’homme parle et que seul l’homme pense, est devenue scandaleuse pour une immense majorité d’entre eux, quels que soient leurs milieux d’origine et leur formation intellectuelle. En tout cas, ce sont ces cours qui les mobilisent le plus ! 

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