The Limits to Growth, littéralement Les limites à la croissance, est le titre d’un rapport publié en 1972 par des chercheurs du MIT et du Club de Rome. Il prédisait un effondrement économique au cours du vingt-et-unième siècle. Quarante ans plus tard, l’économiste Graham Turner reprend les prévisions et relève leur concordance avec les dernières données. Les limites sont-elles atteintes? Les économistes travaillent le sujet. 

Connu aussi sous le nom de rapport Meadows, celui des époux Denis et Donella Meadows qui menèrent la recherche, The Limits to Growth fut un ambitieux projet d’économétrie et d’analyse de données. Commandé par le Club de Rome, réuni autour de l’industriel italien Aurelio Peccei, l’objectif du projet était de construire informatiquement un modèle mathématique prédisant l’évolution dans le temps de variables telles que la population, la pollution, l’utilisation de ressources, ou encore la croissance économique. Appelé World3, le modèle agrégeait des données mondiales allant jusqu’en 1970 et émettait des prévisions pour l’avenir selon différents scénarios. Si les populations n’engageaient pas d’actions sérieuses sur l’utilisation des ressources, le scénario business as usual (l’économie « comme si de rien n’était » ou statu quo en français) prévoyait avant 2070 un effondrement environnemental, économique et, in fine, démographique.

Le pilier central et controversé de l’étude est la prise en compte de la quantité limitée de ressources naturelles présentes sur Terre. Les ressources sont limitées donc la croissance, selon le train d’exploitation actuel, est limitée. Habituellement, cette affirmation se voit répondre le contre-argument traditionnel d’une capacité créatrice de l’humanité qui, notamment grâce à la technologie, pourrait trouver des substituts aux matières premières non renouvelables et poursuivre ainsi la vie as usual. Un second pilier de l’étude est l’idée selon laquelle, à la fin de vie des produits, la pollution et les déchets affectent en retour les ressources primaires. Les ressources sont non seulement limitées mais elles sont également affectées par la pollution.

Jusqu’en 2010, les données concordent. Pour quel message ?

Graham Turner, de l’Université de Melbourne, entreprit en 2014 de comparer, 40 ans plus tard, les prédictions avec la réalité. S’appuyant sur des données de l’ONU jusqu’en 2010, il fit tourner les modèles établis précédemment. Selon son étude, il apparaît alors que le schéma actuel correspond au fameux scénario business as usual et non aux autres.

quand les économistes parlent de la croissance

Graphiques tirés de The Guardian, Limits to Growth was right. New research shows we’re nearing collapse,

2 Septembre 2014

Sur les graphiques, la ligne pointillée représente la prédiction et la ligne continue les données recueillies par Graham Turner. La proximité des deux courbes révèle une concordance entre les prévisions du rapport Meadows et la réalité observée depuis.

En analyse de données, le plus important est l’histoire racontée à partir des résultats. Quelle histoire selon le Club de Rome ? Puisque les ressources sont surexploitées pour nourrir la croissance, leur rareté a un prix. Un prix de plus en plus fort. Selon The Limits to Growth, ce prix croissant affecterait la production industrielle par tête à partir de 2015. Cette turbulence économique, de pair avec la turbulence environnementale liée à la pollution, affecterait en retour la nourriture disponible et in fine le taux de mortalité.

Peut-on qualifier ce raisonnement de catastrophiste ? De nombreux travaux scientifiques alertent sur l’évolution préoccupante de la situation environnementale, comme par exemple l’appel de 15 000 chercheurs publié en novembre 2017 dans la revue Bio Science. Pour suivre l’hypothétique réalisation des prédictions de The Limits to Growth, le point d’attention est probablement de suivre l’évolution du pétrole, élément clé de l’économie. Selon certains experts, là aussi controversés, la production de pétrole conventionnel, c’est à dire facile d’accès, aurait atteint son point haut. C’est la théorie du peak oil. Le débat est ouvert.

Quelle que soit la perspective, on peut retenir de ces recherches que des économistes, ici le Club de Rome, travaillent la notion édifiante de limite. Associée à d’autres concepts économiques comme ceux d’externalités (impact d’une action sur une tierce personne), biens publics, économie circulaire, etc., la limite ouvre une matière à explorer. Pour le dire avec un autre économiste, le britannique Schumacher, dans son livre Small Is Beautiful. Une société à la mesure de l’homme (1973), l’économie se doit de travailler à taille humaine. Schumacher écrivait notamment : « Je ne doute pas qu’il soit possible de donner une nouvelle direction au développement technologique, une direction qui le ramènera aux besoins réels de l’homme, et cela signifie aussi : à la taille réelle de l’homme. L’homme est petit et, par conséquent, small is beautiful. »

Jean-Baptiste Caridroit
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