Le mardi 12 janvier 2016, la loi du Grand Capital a encore frappé. Huit salariés du site Goodyear d’Amiens qui avaient participé à la grève ainsi qu’à la séquestration des directeurs des ressources humaines et de la production ont été condamnés à de la prison ferme. Les avis divergent à propos de cette sanction inédite. Tentative de compréhension.

 

Un petit rappel des faits s’impose. Ce qu’on peut désormais appeler « l’affaire Goodyear » commence en 2007. A l’époque, c’est la déesse compétitivité qui demande au site Goodyear d’Amiens une « réorganisation ». Refus des syndicats, bras de fer avec la direction, l’affaire traîne en longueur. Ce qui nous intéresse remonte à la nuit du 6 au 7 janvier 2014. Pour protester contre la fermeture du site et les licenciements (qui concernent tout de même 1173 personnes), 8 salariés du site séquestrent le directeur des ressources humaines, Bernard Glesser, ainsi que le directeur de la production, Michel Dheilly, pendant une trentaine d’heures. Plainte déposée par Goodyear et les cadres en question, 24 mois de prison réclamés par le parquet lors d’une première audience[1]. Puis la plainte est retirée, les deux cadres n’ayant subi aucune violence physique. Rien n’y fait, mardi 12 janvier, les 8 désormais ex-salariés de Goodyear écopent de 24 mois de prison dont 15 avec sursis[2].

Rien ne justifie la violence envers les dirigeants de l’entreprise, d’autant plus qu’ils ne sont pas les premiers responsables de la fermeture du site. Pour autant, la situation des ex-salariés est aujourd’hui misérable. Un an après la fermeture du site, seulement 10% des salariés ont une solution pérenne[3]. Plus de la moitié des anciens salariés du site n’ont absolument aucune solution. Les faits sont là, le site intégralement fermé et les salariés sacrifiés sur l’autel de la compétitivité. Mais alors quoi ? Goodyear ferme à Amiens pour délocaliser ? Le groupe dément, mais les explications ne sont guère convaincantes[4]. Quelques centaines de milliers de pneus fabriqués à Sao Paulo et hop, la compétitivité reprend des forces. Et si Goodyear ne délocalise pas, Goodyear sous-traite, en Israël et en Turquie. Dans cette affaire, Goodyear n’est qu’un grand groupe parmi d’autres, ceux qui vivent d’un libéralisme fou et aliénant.

Les syndicats ont également leur part de responsabilité. Ayant refusé tous les plans d’aménagement du temps de travail, la direction a du choisir le pire. Le site voisin de Dunlop, appartenant pourtant au même groupe, s’en est très bien sorti. Ayant pesé le pour et le contre, les syndicats ont accepté l’accord de compétitivité[5]. Mais là n’est pas le plus important.

Quelle leçon en tirer ? En dernier recours, la séquestration des 6 et 7 janvier peut être vue comme une façon de «redonner un corps aux responsables, sinon aux décisionnaires, souvent lointain et avec lesquels aucun dialogue n’a été possible[6] ». Que proposer ? Une révolution, à la Simone Weil : « Ce n’est pas par son rapport avec ce qu’il produit que le travail manuel doit devenir la valeur la plus haute, mais par son rapport avec l’homme qui l’exécute[7] ». Collectivité, coopération, et responsabilité. Bref, une économie à hauteur d’homme.

[1] http://www.liberation.fr/france/2016/01/12/neuf-mois-de-prison-ferme-contre-d-anciens-salaries-de-goodyear_1425851

[2] http://www.latribune.fr/economie/france/prison-ferme-pour-des-salaries-retour-sur-l-affaire-goodyear-542345.html

[3] http://france3-regions.francetvinfo.fr/picardie/somme/amiens/goodyear-amiens-1-apres-la-fermeture-des-salaries-depites-et-une-usine-morte-635844.html

[4] http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/05/17/goodyear-dement-toute-delocalisation-de-production-au-bresil-chez-titan_3296283_3234.html

[5] http://www.20minutes.fr/economie/1092143-20130201-fermeture-usine-amiens-nord-pourquoi-dunlop-sort-goodyear

[6] http://www.liberation.fr/debats/2016/01/18/goodyear-d-une-violence-l-autre_1427247

[7] Simone Weil, L’Expérience de la vie et le travail de la pensée, Charles Jacquier, Éditions Sulliver, 1998

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