Saint-Etienne-du-Rouvray est une ville historiquement communiste. Elle l’est, presque sans interruptions, depuis 1923. Certains disent, mais je n’ai pas vérifié ce que ça voulait dire, qu’elle est la ville la plus déchristianisée de France.

A la paroisse de Saint-Etienne-du-Rouvray, on pratique un catholicisme très social. Le Secours catholique dispose d’une grande équipe locale assurant l’accueil des visiteurs, le magasin alimentaire, du soutien scolaire, et aussi le trampoline pour les enfants, après l’école. Monique, la secrétaire de l’équipe locale, s’occupe de Vesti’Amis, un lieu « pour venir discuter, boire un café et apporter des vêtements ». Liliane gère l’atelier couture. Il y a aussi une bénévole du CCFD-Terre Solidaire, l’une des plus grandes ONG luttant contre la faim dans le monde. Un autre bénévole a instauré, sous l’injonction du pape François, une pastorale des migrants.

Sur le site de la paroisse, on peut voir les albums photos des derniers évènements paroissiaux. Les enfants ont souvent les mains en l’air, il y a beaucoup de grands panneaux jaunes fluo, des catéchistes aux cheveux grisonnants, et parfois le prêtre auxiliaire de la paroisse, discret, le père Jacques Hamel.

Voilà le visage du christianisme « enfoui ». Celui dont on a tiré des caricatures rigolotes, mais c’était peut-être pour étouffer notre cynisme. C’était, peut-être, pour ne pas voir que si certaines régions de France donnent abondamment des prêtres, d’autres, plus discrètes, fournissent les laïcs qui, pêle-mêle, font les trajets en voiture d’une paroisse à l’autre, visitent les malades, écrivent des brochures qu’on ne lit pas, donnent des cours de caté, s’improvisent organiste, ou réparent l’évier du curé. D’ailleurs, au terme de « laïc », ils préfèrent celui de « bénévole ». Comme dans les ONG. Celles-là mêmes qui luttent contre les paradis fiscaux, forent des puits en Afrique, instruisent les « enfants du Mékong », alimentent des plaidoyers pour la justice sociale au Salvador, à Rio, Beyrouth, Sarcelles… Et dire que parfois, ce n’est pas même pour instruire l’humanité des racines chrétiennes de la France. Simplement pour prendre le thé avec des vieux, taper un quatre-quart avec un touriste en short.

« Priez pour ceux qui vous persécutent ». C’est le cœur de la foi chrétienne. L’ironie, bien sûr, est que les plus hostiles à cette idée sont aussi ceux qui se réclament d’un christianisme identitaire. Et voilà qu’au bout du compte, c’est l’un de ces papys et mamies dont on avait raillé les vieux carnets rouges usés sur des bancs mal cirés, qui ouvre une page immense, celle du martyrologe chrétien contemporain français. Parce que c’est bien dans cette paroisse anodine qu’ont frayé deux assassins, munis de couteaux,pour égorger le père Jacques Hamel. Ils sont entrés sans frapper, « parce que l’accueil y était toujours bon » dit-on . La ville « la plus communiste et la plus déchristianisée de France » a un martyr de la foi, il a 86 ans. Mais de notre arrogante jeunesse, pourrons-nous voir le labeur patient et fécond de ceux qui ont ouvert leur cœur et tendu la gorge plus largement que nous saurions ouvrir nos bras ?

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Photo du père Jacques Hamel

Paul Piccarreta