Pour les élections présidentielles américaines de 2020, la priorité des démocrates est de battre Donald Trump. Mais derrière cet objectif qui fait l’unanimité dans le parti, une lutte politique fait rage, opposant l’establishment démocrate acquis depuis des décennies à l’économie de marché et les socialistes démocrates, porteurs d’un « new socialism » revigorant. Ses figures de proue : Bernie Sanders, Elisabeth Warren et Alexandria Ocasio-Cortez. Pour lui faire face, les démocrates mainstream ont récemment adoubé un nouveau candidat : Pete Buttigieg.

 

Dans la guerre politico-médiatique qui divise les démocrates, les tenants de la ligne Clinton ont des doutes sur leur capacité à battre Bernie Sanders dans les primaires. Doutes fondés sur les très piètres performances électorales de leur champion récemment déclaré, Joe Biden. En décembre 2018, il confiait lui-même être « une machine à gaffe » lors de la promotion de son livre. Au contraire, le sénateur du Vermont Bernie Sanders s’est révélé très efficace en campagne en 2016. Il peut compter depuis sur une large base militante, qui lui permet de se construire une légitimité en le finançant sans qu’il ait à recourir aux largesses des grandes fortunes. La panique et le manque d’imagination des centristes américains se révélaient déjà en janvier 2018, lorsque les médias se sont emballés autour d’une possible candidature de la star milliardaire de la télé Oprah Windfrey, à la suite d’un simple discours émouvant aux Golden Globes. Le vide politique américain aurait trouvé là sa caricature suprême, avec un duel entre une star milliardaire de la télé-réalité contre une animatrice de télévision milliardaire. Dans un paysage politique où la dénonciation de Wall-Street et des inégalités ont proliféré depuis Occupy Wall Street et la campagne de Bernie Sanders, il fallait bien sortir un candidat miracle du chapeau. Depuis le début de l’année 2019, il a émergé en la personne de Pete Buttigieg, rapidement présenté comme l’anti-Trump. Mais le contraire d’une mauvaise idée, n’en fait pas forcément une bonne.

Mayor Pete au secours de l’establishment démocrate

Mayor Pete, comme il aime se faire appeler, n’est pas sans rappeler un certain Emmanuel Macron. Tous deux se sont vu adopter par une affection frénétique des médias, avant même qu’ils n’annoncent leurs candidatures, les faisant sortir subitement d’un anonymat quasi universel. Et en matière d’articles élogieux, Mayor Pete n’a pas à jalouser Macron. Du New York Times au Guardian, en passant par CNN, et pour finir en une du Time aux côtés de son mari. A chaque fois, passé l’incontournable questionnement sur la manière de prononcer son patronyme, les journalistes le présentent comme un jeune prodige, parlant sept langues, dont le Norvégien qu’il aurait appris uniquement pour pouvoir lire les livres d’un auteur non traduit en anglais… Il est jeune, et le terme millenial devient dans leurs articles et émissions un argument marketing comme si l’âge seul suffisait à en faire un candidat du renouvellement politique. Par ailleurs, son homosexualité se traduit par l’injonction à faire l’histoire en élisant le premier président ouvertement gay, de la même manière que l’élection de Hillary Clinton devait être historique parce que c’est une femme. Évidemment ceux-là même qui appellent à écrire l’Histoire, se garderaient bien de le faire à propos d’une femme et d’un homosexuel communistes. Subitement, les idées, l’idéologie et les propositions redeviendraient plus importantes que le sexe et l’orientation sexuel.

Pas de programme, pas de débat ?

Mais là où la ressemblance avec le candidat d’En Marche devient troublante, c’est à l’heure d’aborder la question du programme. Chez l’un comme chez l’autre, c’est le néant. Lors d’un Town Hall organisé par CNN, le présentateur vedette Anderson Cooper lui fait remarquer que son site de campagne est uniquement dédié à sa personne et sa personnalité, sans aucune trace de détails politiques. À cela, Buttigieg lui répond qu’il considère qu’il est important de ne pas « noyer les gens avec des détails », auxquels il préfère les grandes valeurs qui elles-mêmes orienteront ses propositions politiques. Autrement dit, il veille à ne pas faire de propositions trop intelligentes, qui pourraient être mal comprises… Le matraquage médiatique semble bel et bien fonctionner pour Buttigieg, qui pointe à la troisième place des sondages derrière Biden et Sanders. Et la campagne électorale et médiatique ne fait que commencer. Mais rien n’empêchera l’affrontement idéologique avec Sanders et les nouveaux élus du Congrès qui sont acquis à sa cause. Cette nouvelle gauche s’appuie sur des figures qui font des ravages dans les talk-shows comme Alexandria Ocasio-Cortez et un solide réseau de médias dissidents comme le magazine Jacobin qui présentait récemment « A plan to win socialism in america ». Une lutte idéologique qui portera nécessairement sur la question écologique, moteur de cette nouvelle gauche qui incarne la prise de conscience des ravages d’un modèle capitaliste encore hégémonique sur le Nouveau Continent.