Le 22 septembre dernier, devant les caméras, le président de la République signait cinq ordonnances réformant le droit du travail, dans une mise en scène « à l’américaine ». Le message était clair et volontariste : de l’action, de l’action, de l’action ! L’examen, début décembre, des ordonnances par l’Assemblée nationale et le Sénat nous fournit donc une bonne occasion de revenir sur leur philosophie.

 

L’exception permanente

Les cinq ordonnances contiennent 36 mesures, dont la plus commentée a sans doute été l’introduction d’un barème d’indemnités en cas de licenciement abusif. Jusqu’ici, deux situations étaient possibles : soit le licenciement était justifié, et le salarié – sauf faute grave – avait droit à des indemnités fixées par la loi, soit le licenciement était reconnu abusif, et le préjudice devait être réparé à la hauteur du dommage subi par l’employé, qui peut dépendre de sa situation personnelle.

De manière générale, en droit français, dès lors que je me soustrais à mes obligations, je peux être condamné à verser des dommages-intérêts à ceux à qui cela porte préjudice, à la hauteur du préjudice estimé (et ce, quels que soient mes moyens : on se souvient des 4,9 milliards d’euros du premier procès Kerviel). En matière pénale, si les sanctions (amende, peine de prison…) sont plafonnées en fonction de l’infraction reprochée, les dommages-intérêts dus aux parties civiles ne le sont pas : l’auteur de violences volontaires entraînant une infirmité permanente encourt par exemple 10 ans de prison et 150 000€ d’amende, mais il risque aussi de devoir assumer le coût de l’infirmité, estimé sur le reste de la vie de la victime et donc potentiellement beaucoup plus élevé.

En droit du travail, si mon licenciement est légitime, il ne caractérise aucun manquement de mon employeur à ses obligations, et il n’a donc pas à être dédommagé en référence à un quelconque « préjudice subi » mais bien en fonction d’indemnités prévues par les dispositions légales ou contractuelles. Au contraire, si le licenciement est abusif, la logique du droit général considérait jusqu’ici que les dommages consécutifs devaient donner lieu à une estimation ad-hoc. Le fait de soumettre, désormais, le licenciement abusif à une indemnisation de type forfaitaire constitue donc un changement majeur, qui consiste à dire que les obligations de l’employeur vis-à-vis de ses salariés relèvent quasiment d’un régime d’exception permanent dans le paysage juridique.

Travail liquide et société durable

Sans doute la définition du caractère abusif d’un licenciement et sa reconnaissance par les prud’hommes manquent-elles de prévisibilité, ce qui peut conduire un employeur honnête et de bonne foi à subir le coût d’indemnités disproportionnées. Mais la solution ne serait-elle pas, plutôt, d’améliorer le fonctionnement de ces tribunaux, de clarifier les définitions, voire de revenir à une autorisation administrative de licenciement qui permettrait à l’employeur de savoir à l’avance si ce dernier est légitime ? Au lieu de ça, l’introduction […]

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