Ni communiste, ni libéral Proudhon est le meilleur représentant de ce « socialisme utopique » français qui se réfère à la fois à la tradition et à la révolution, à la personne et à la communauté. Pierre-Yves Gomez fait pour nous les présentations.

Pierre-Joseph Proudhon avait le génie des formules, ce qui servit autant sa gloire que les contre-sens sur son oeuvre. L’une des plus célèbres d’entre elles, « La propriété c’est le vol », lui a valu une réputation d’anarchiste radical à laquelle le réduisent ceux qui ne l’ont pas lu. A tort, car il écrit ailleurs : « La propriété, c’est la liberté ». Contradiction ? Pour Proudhon la propriété, particulièrement celle de son toit et de ses outils, est la condition nécessaire à la liberté individuelle. Elle assure l’indépendance. Mais elle permet aussi le vol légal qui consiste à s’accaparer des moyens de production des autres. Il ne s’agit donc pas de supprimer la propriété privée mais, au contraire, d’empêcher ceux qui l’accaparent à leur profit exclusif. Proudhon qui fut ouvrier imprimeur et entrepreneur, a l’horizon social d’un artisan. S’il est anarchiste c’est parce que (une autre de ses formules célèbres) « L’anarchie, c’est l’ordre sans le pouvoir », un ordre fondé sur la liberté, sur la famille, base irréductible, selon lui, de toute société, sur le travail qui façonne cette société et sur la solidarité entre ses membres. Proudhon est par bien des plans plus proche de Chesterton que de Marx.

Il rompt d’ailleurs avec celui-ci dès 1846 après quelques mois d’échanges intellectuels. Dans Misère de la philosophie, Marx lui reproche aigrement de ne pas élaborer un système théorique systématique, celui que luimême essaiera de bâtir avec une rigueur de plus en plus dogmatique. Proudhon lui paraît naïf, « utopique », doté, certes, de belles intuitions critiques mais incapable d’en tirer une doctrine scientifique pour une action révolutionnaire efficace. Il est vrai que Proudhon est un autodidacte, sans formation universitaire, c’est un lecteur curieux, boulimique, désordonné comme son oeuvre, remplie de discours, de diatribes et de digressions. Il aime par-dessus tout démontrer à la manière d’un avocat qui plaide inlassablement la cause de la justice sociale.

Proudhon, de son côté, reproche à Marx son communisme, dont il a autant horreur que du capitalisme. C’est que, pour lui, l’appropriation des moyens de production par l’État ne vaut guère mieux que par quelques grands industriels. La domination qui s’en suit est même pire puisque le travailleur est assujetti aux représentants anonymes du corps social. Pour Proudhon, même quand le travail individuel est rémunéré à son juste prix, ceux qui se sont appropriés les moyens de production, qu’il s’agisse de l’Etat ou de grands capitalistes, ne rémunèrent pas le travail collectif, c’est-à-dire ce qui est réalisé par la force collaborative des travailleurs. De là vient l’aliénation : la solidarité nécessaire entre ceux qui travaillent est utilisée, exploitée pour enrichir certains. Autant que le bourgeois, l’État centralisateur est donc l’ennemi, d’où quelques résonances avec les libéraux qui chercheront à le récupérer.

Inutilement, car Proudhon a aussi rompu quelques lances furieuses contre ceux-ci, notamment contre Frédéric Bastiat […]

[Il vous reste 50% à lire]

couverture 8La suite est à lire dans le septième numéro de la Revue Limite, en vente en ligne et en librairie (liste des 250 points de vente).

En vous abonnant avant le 10 mars, vous pouvez également recevoir les quatre prochains numéros (à partir du n°10 à paraître en mars) directement chez vous.

Pierre-Yves Gomez
Les derniers articles par Pierre-Yves Gomez (tout voir)