Ce samedi 8 octobre, entre 13.000 et 40.000 personnes étaient présentes dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, afin de montrer leur détermination face à la menace d’expulsion imminente promise par Manuel Valls. Alors que la lutte contre le projet d’aéroport dure depuis plus de dix ans, comment expliquer l’ampleur grandissante de ce phénomène qui semble même s’étendre à la France entière ? Reportage.

Il est 7h du matin, le jour se lève sur la ZAD (initialement Zone d’Aménagement Différé, transformée en Zone À Défendre). Les paysans historiques (nom donné aux paysans vivant et travaillant sur la zone) se dépêchent de terminer le travail qu’ils ont habituellement la journée pour effectuer. Vers 9h, alors qu’un hélicoptère et un drone de la gendarmerie commencent à survoler le secteur, les acteurs de ce rassemblement s’activent pour pouvoir accueillir les milliers de personnes qui afflueront aujourd’hui pour protester contre un projet d’aéroport vieux de cinquante ans, à nouveau à l’ordre du jour depuis octobre 2000.

Le 9 février 2008, le projet d’aéroport est déclaré d’utilité publique. C’est alors qu’arrivent sur la zone des militants venant porter main forte aux paysans historiques qui luttent juridiquement depuis plusieurs années. Au printemps 2012, quelques-uns de ces paysans lancent un premier appel fort en faisant une grève de la faim, ce qui fait émerger ce sujet au niveau national. En octobre 2012, une vaste opération policière est lancée sur la ZAD pour en expulser les occupants illégaux. L’opération César durera plusieurs semaines, et permettra de consolider fortement les liens de solidarité entre les différents collectifs et associations opposées à l’aéroport, ce qui les mène à la victoire avec le retrait des forces de l’ordre. En juin 2016, l’Etat organise une consultation citoyenne locale, permettant aux habitants de Loire-Atlantique de voter pour ou contre le transfert de l’aéroport de Nantes à Notre-Dame-des-Landes. Le « oui » l’emportant de justesse, Manuel Valls promet une évacuation de la ZAD et un départ des travaux à l’automne.

hangarCe 8 octobre à 9h30, une équipe de charpentiers et de volontaires s’active sur le chantier de l’un des deux hangars qui seront montés aujourd’hui pour accueillir des ateliers d’artisanat pour l’un, servir solution de repli en cas d’expulsion pour l’autre.

Vers 10h, trois cortèges partent de l’extérieur de la ZAD pour rejoindre le lieu de rassemblement, entre le Liminbout (lieu dit au nord-est de la ZAD) et la ferme de Bellevue, lieu emblématique de la résistance. Elle a en effet été la première ferme à être occupée en 2012, lors de l’opération César, pour éviter sa destruction. Des milliers de personnes, bâtons à la main, slogans à la bouche, forment trois cortèges ininterrompus de plusieurs kilomètres dans une ambiance déterminée mais plutôt bon enfant. S’il est difficile d’estimer leur nombre à ce moment-là, il est incontestable que c’est déjà une réussite.

Vers midi, les têtes de cortèges arrivent sur les parcelles où sont installés les stands, le chapiteau et la scène où se succèderont interventions et concerts divers jusque tard dans la nuit. Aux cris de « Vinci dégage ! Résistance et sabotage ! », « Assez de cette société qui fiche les militants et expulse les sans-papiers ! », «  Anticapitaliste ! », « Nous sommes là, nous serons là ! », chacun plante son bâton sur les buttes montées à cet effet sur le pourtour d’une des parcelles, symbolisant la détermination à revenir défendre la ZAD en cas d’intervention policière et faisant écho à l’historique bataille du Larzac, où les paysans étaient montés à pied à Paris en faisant résonner au sol le bruit de leurs bâtons. Des profils très différents se côtoient, entre les dreadeux en sarouels et les personnes plus classiques en vareuses, les familles avec enfants et les personnes âgées, les paysans traditionnels et les étudiants tatoués. Tout ce monde s’installe entre les stands et la scène, en discutant et en partageant une bière, un pétard ou une assiette. Une bonne partie de la nourriture et de la boisson, préparée et distribuée par les zadistes, est proposée à prix libre, tous les bénéfices étant redistribués pour la lutte, sur place ou sur d’autres GPII (Grands Projets Inutiles et Imposés).

batons

Chacun plante son bâton sur les buttes montées à cet effet, symbolisant la détermination à revenir défendre la ZAD en cas d’intervention policière et faisant écho à l’historique bataille du Larzac, où les paysans étaient montés à pied à Paris en faisant résonner au sol le bruit de leurs bâtons.

 

 

À 13h30, les interventions démarrent sur la grande scène. Différents collectifs et artistes se succèdent pour expliquer

leurs combats ou exprimer leur soutien. Deux représentants de la CGT-AGO affirment « Dans un contexte d’affrontement, les ouvriers ont le droit de refuser le travail en raison d’un risque grave et immédiat. Continuez à vous vous battre ! Nous sommes là maintenant, nous serons là en cas d’expulsion ! ». Un collectif d’habitants des environs poursuit : « Les riverains sont majoritairement opposés à ce projet, il est temps que tous les élus locaux prennent leurs responsabilités par rapport aux citoyens qui les ont élus ! (…) La diabolisation des zadistes nous attriste : nous vivons avec eux au quotidien, en bonne intelligence. (…) Nous sommes déterminés à soutenir les occupants de la ZAD en cas d’expulsion. En aucun cas les forces de l’ordre ne doivent compter sur un soutien de notre part ! ». D’autres collectifs où associations « amies » prennent la parole, tantôt sur les violences policières dans les banlieues, tantôt sur le racisme ou sur le soutien aux immigrés de la jungle de Calais. Un groupe de musique composé d’anciens du Larzac fait danser la foule sur des airs traditionnels bretons, paroles militantes à l’appui.

Entre 13.000 (selon la préfecture) et plus de 40.000 personnes (selon les organisateurs).

Entre 13.000 (selon la préfecture) et plus de 40.000 personnes (selon les organisateurs).

Dans l’après-midi, les quatre candidats à la primaire écologiste, Cécile Duflot, Karima Delli, Yannick Jadot et Michèle Rivasi, arrivent sur place et se mêlent tant bien que mal à la foule, malgré les caméras qui leur boquent le passage. L’accueil est mitigé : certains les remercient d’être encore là, d’autres les raillent et chantent des slogans antipolitiques.

Vers 17h, les interventions se terminent et laissent la place aux artistes, soit sur la grande scène soit sous le chapiteau. Des navettes sont effectuées entre les parkings et lieux de camping et le rassemblement dans des bétaillères conduites par les paysans et leurs tracteurs. Spectacles et musique se succéderont jusque tard dans la nuit.

À part l’attaque d’une voiture de France 3 par quelques individus cagoulés, aucune violence n’est à déplorer.

Motivations et modes d’action

Pourquoi une telle mobilisation après tant d’années de lutte ? Les réponses sont unanimes : « Pour montrer notre détermination grandissante à défendre la zone, en prévision d’une expulsion probable dans les prochaines semaines, ainsi que pour continuer à mobiliser les militants, occuper le terrain et faire passer nos idées dans l’opinion publique ». Françoise Verchère, co-présidente du CedPa (Collectif des Elus Doutant de la Pertinence  de l’Aéroport) nous résume les principales raisons de l’opposition à l’aéroport : « Ce projet est inutile, car il existe déjà un aéroport à Nantes, qui n’est pas exploité à son maximum et qui pourrait être optimisé si besoin ; beaucoup plus coûteux en argent public qu’un réaménagement de celui existant ; destructeur d’une zone exceptionnelle en terme de biodiversité et de possibilités agricoles comme il n’y en a presque plus dans l’Ouest ». Olivier, membre des Naturalistes en lutte, développe l’aspect écologique : « Ce projet nécessite la destruction de 1400 hectares de bocage rare faisant la connexion entre plusieurs autres bocages. Cette zone est exceptionnelle de par la qualité des sols et les nombreuses espèces animales et végétales protégées qui y vivent. Il est impossible de recréer ailleurs cette biodiversité ».

beton-betailComme pour l’ensemble des aspects de la lutte, il n’y a aucune hiérarchie dans l’organisation. Les grandes orientations et décisions sont prises lors des assemblées générales réunissant l’ensemble des collectifs, et les questions d’ordre pratique et matériel sont confiées à des commissions, en fonction des compétences de chacun.

Les militants anti-aéroport défendent-ils un système politique particulier ? Si les réponses divergent sur la vision d’un système idéal, tous sont d’accord pour affirmer que le système actuel ne fonctionne pas. « Les professionnels de la politique ne pensent plus qu’en terme de carrière, ils font des promesses qui ne les engagent pas et n’ont aucun compte à rendre ! » s’écrient Sylvie et Marcel, paysans historiques de la zone, alors qu’Olivier affirme que le pouvoir ne peut qu’engendrer la violence. Vincent, membre du DAL (Droit Au Logement), résume les choses ainsi : « Il n’y a

aucune affiliation officielle à un quelconque mouvement politique, ni de ligne générale, mais dans l’ensemble je crois qu’on peut dire qu’on est quasiment tous d’extrême-gauche. Personnellement, je me considère plutôt comme anarchiste. J’ai de sérieux doutes sur la possibilité de monter un système anarchiste à grande échelle, mais plutôt une multitude d’initiatives locales. D’où l’intérêt de l’expérience de la ZAD, qui essaime petit à petit ». Olivier ajoute : « La démocratie semble s’approcher d’un système idéal, mais elle est aujourd’hui dévoyée, notamment à cause de la désinformation d’Etat, passant par les médias officiels. (…) À un autre niveau, la croissance économique est une illusion dans l’état actuel des choses, il faut changer de paradigme ». « Il y a de nombreuses possibilités, nous ne pouvons dire laquelle serait la meilleure. Quoiqu’il en soit, il est essentiel que les dirigeants soient plus à l’écoute et au service des citoyens et qu’ils aient des comptes à rendre. Un non-cumul des mandats, y compris dans la durée, ou le tirage au sort pour l’accession au pouvoir seraient peut-être aussi des options à étudier » réfléchissent Sylvie et Marcel.

Vincent, membre du DAL (Droit au logement)

Vincent, membre du DAL (Droit au logement)

Malgré cela, tous sont d’accords pour rejeter le résultat du référendum récent. « Nous n’avons pas demandé ce vote, on a voulu nous forcer à jouer à un jeu dont les dés étaient pipés d’avance ! La vraie question serait plutôt : comment peut-on se dire démocrate et pervertir autant la démocratie ? » s’insurgent Sylvie et Marcel. Tous dénoncent un périmètre biaisé, une question malhonnête et des moyens attribués aux deux parties complètement déséquilibrés. Il apparaît malgré tout que les deux zones concernées directement ont majoritairement voté contre le transfert. Un certain nombre affirme également que la majorité ne fait pas toujours les bons choix et que le résultat du vote ne fait pas du projet un bon projet. « Nous ne nous disons pas tous démocrates, une réflexion sur la démocratie est d’ailleurs très présente sur la ZAD » rajoute l’une des membres du service presse des zadistes.

Lorsque l’on pose la question de la légitimité de la violence, la réponse est unanime : la non-violence serait l’idéal, mais face à la violence d’État par l’intermédiaire de la police, les réponses sur le terrain sont multiples et complémentaires. Olivier, malgré son approche gandhienne de la non-violence, affirme que « la violence ne peut être que défensive. Quand la police est là, on ne peut que réagir. Mais il faut toujours se rappeler que chaque vie mérite d’être vécue, celle d’un CRS comme celle d’un zadiste». « Nous sommes majoritairement réticents devant l’usage de la violence, (…) mais la victoire par la non-violence absolue n’est possible qu’avec le nombre. Il faudrait que nous soyions cent fois plus nombreux » analyse Françoise. Vincent ajoute : « Par l’action totalement non-violente, ce serait l’idéal, mais je n’y crois pas. Il y a trop de colère rentrée, je comprends que ça pète. Attaquer la police ne sert effectivement pas à grand-chose, mais comment réussir à attaquer le pouvoir en place autrement ? Par la résistance et le sabotage, dans la durée. Il faut s’attaquer également à Vinci, car le vrai pouvoir est là ». Tous sont d’accord sur le fait que la police n’est pas la cible, mais qu’étant directement sur le terrain, c’est forcément à elle qu’il faut résister en premier. « Il y a eu des occupations de préfecture et autres actions de ce type, toujours-non-violentes » affirment Sylvie et Marcel. Un membre de l’ACIPA nous précise que de nombreux recours juridiques sont encore en cours.

On entend parler ici et là de convergence des luttes. Après la tentative de discussion effectuée par les Veilleurs en 2013, se pose la question de la limite de cette convergence. Olivier répond : « Quand on voit la diversité des personnes et mouvements présents aujourd’hui, on se dit que tout le monde a sa place ! Mais sans afficher ouvertement d’appartenance à un mouvement politiques ou religieux ». Tous considèrent que la convergence est déjà là, avec le soutien des luttes similaires contre les GPII telles que Bure, Flamanville, la ligne Lyon-Turin ou diverses constructions d’hypermarchés, ou sur d’autres problématiques comme celle des migrants. Cependant, sur des mouvements en particulier considérés comme appartenant à l’extrême-droite, les réponses divergent quelques peu. « Le FN, par exemple, est opposé à l’aéroport, mais également à la ZAD. S’il n’était pas opposé à ce qui se passe ici, pourquoi pas, mais la question ne se pose pas. Si le FN dit qu’il pleut quand il pleut, je ne dirai pas le contraire » explique Françoise, quand Sylvie et Marcel précisent : « Nous sommes plutôt ouverts, mais il faut qu’il y ait un minimum de convictions importantes en commun. L’opposition à l’aéroport ne suffit pas ». Une des membres du service presse des zadistes définit les luttes libertaires comme faisant partie de ces convictions importantes. Malgré cela, certaines personnes mentionnent l’existence de différents groupes catholiques de réflexion sur l’écologie, notamment depuis la publication de l’encyclique Laudato’ Si du pape François, avec qui la discussion est sereine et intéressante.

Convergence des luttes ?

Convergence des luttes ?

Tous sont sur la même longueur d’onde sur le fait que l’écologie ne s’arrête pas aux questions environnementales, et touche profondément la question de la vie humaine au même titre que la vie des autres espèces. Vincent, rejoint par Sylvie et Marcel, lie l’écologie à la notion de décroissance ou de la sobriété heureuse de Pierre Rabhi : « Il faut arrêter de vouloir toujours plus de tout, il faut individuellement et collectivement viser une certaine sobriété en ressources, en loisirs, en fantasmes. (…) Il est trente ans trop tard pour qu’on se réveille. On a une petite minorité de la population humaine qui pompe toutes les ressources sans se soucier du lendemain, ça va nous péter au nez sévèrement ». Dans l’esprit de Françoise, « l’écologie est un combat contre l’exploitation déraisonnable du vivant – terre et hommes – au profit d’un petit nombre ». Le service presse de la ZAD précise tout de même que l’écologie n’est pas la porte d’entrée de l’ensemble des zadistes, même si c’est assez majoritaire.

En cas d’abandon du projet, « un autre projet se montera, qui concerne plus directement le monde agricole et les zadistes. Une réflexion sur la suite a été résumée par les « six points » qui donnent les grands principes de la vie sur zone en cas de victoire, dans le même état d’esprit que ce qu’il s’est fait au Larzac » explique l’ACIPA. Olivier espère que « l’expérimentation alternative continuera. Il se crée ici un modèle de société nouveau, qui a ses problèmes mais aussi énormément de solutions très positives. Ça prouve qu’un autre monde est possible, que ça marche ! La cohésion s’est créée grâce à la lutte, tout le monde a conscience aujourd’hui du trésor qui est entre nos mains et veut le faire perdurer. Le fonctionnement est maintenant bien rodé et viable dans la durée. Même sans aéroport, un mode de vie respectueux de la nature et des hommes doit être préservé ».

En cas d’expulsion, il est évident pour tout le monde que la lutte continuera. « On ne peut pas dire quelle forme la résistance prendra, ça dépendra du contexte. Mais elle se prépare dès aujourd’hui et continuera coûte que coûte ! » affirme la représentante des zadistes. Vincent pense que « les occupants opteront pour le sabotage systématique. Si le chantier commence, il va y avoir du sport, et le chantier sera probablement beaucoup plus long et plus cher que prévu ! ». Françoise, quant à elle, affirme que la lutte « se propagera au niveau national, grâce aux comités de soutien qui pourront également envisager des actions là où ils sont ». Un membre de l’ACIPA explique que « les politiques ont la pression des élections, pas nous ! (…) Aujourd’hui, un aéroport ici n’est pas envisageable, et vous en avez la raison sous les yeux ! ».

Crédits photos : Mayeul Jamin
Sur son blog, retrouvez les autres reportages de Mayeul Jamin sur Notre-Dame-des-Landes :
- sur les paysans Marcel et Sylvie Thébault,
- sur Micka, paysan-boulanger.