Dans la paroisse catholique de Saint Mary Grand, dans le quartier de Lower East Side à New-York, le père Andrew O’Connor fait dans la contre-culture. Peintre, sculpteur et styliste – il a notamment habillé l’actrice Cameron Diaz – c’est aussi un partisan très actif des circuits courts, du homemade et du fair trade. Les associations qu’il a fondées « Sacred Art Heals » et « Goods of Conscience » oeuvrent dans ce sens. La presse locale l’a affectueusement surnommé « the New York DIY priest » ce qu’un journal français traduirait sans doute par « l’apôtre du système D… ». Rencontre et portrait d’un prêtre ouvrier dernière génération.

Par Yoen QIAN-LAURENT et Guillaume DUBACH.

Du New-York de Paul Morand, il ne reste presque rien : disparus, Ellis Island, les mafias de Chinatown, les petites frappes de Bowery. Presque disparus aussi les opiomanes, qui annonçaient les crack­houses de East Village, ces maisons à crack si nombreuses jusqu’à la fin des années 90. Et les speakeasies, ces bars clandestins. Et Hemingway. Et Dos Passos, tout a disparu. Ou presque. Au milieu de ces disparitions successives, un clocher se tient bien droit. Celui du 28 Attorney Street.

10002 : le zip code (code postal, aux États-Unis) de la paroisse Saint Mary dans le Lower East Side évoque d’ordinaire la Fashion Week plutôt que le chant grégorien. On songe aux galeries branchées plutôt qu’au vitrail baroque ; aux sweatshirts à 500 dol­lars plutôt qu’à la couture artisanale. Jusqu’au jour où l’on franchit le seuil de ce presbytère…

padrenyC’est une élégante maison de briques rouges, posée au milieu de tours qui abritent les derniers loge­ments sociaux de Manhattan. Le père Andrew O’Connor nous reçoit dans sa paroisse, devant la cheminée d’une vaste bibliothèque. Sur les étagères, on trouve de la littérature américaine, française, et même néerlandaise – une variété qui éclaire la personnalité unique du curé de Saint Mary’s. La lumière, discrète et chaude, donne au lieu une allure d’intérieur flamand. Le père Andrew aime narrer à ses invités l’histoire de son église. « La première paroisse Irlandaise, fondée en 1826 non loin d’ici, a été rapidement brûlée par les militants nativistes du Know Nothing Party. Les activistes WASP craignaient que le catholicisme ne transforme la culture américaine et n’hésitaient pas à prendre les devants, explique-t-il. De cette époque date la muraille sinueuse qui entoure l’ancienne cathédrale Old St Patrick, à quelques blocs d’ici, dans SoHo : il s’agissait d’un mur de défense… Un nouveau bâtiment fut construit sur Grand Street, auquel a été adjoint dans les années 1870 le presbytère où nous nous trouvons. Les prêtres, poursuit le curé, étaient décrits par la propa­gande raciste de l’époque comme des paysans sous-éduqués et alcooliques. Ils ont dû être d’autant plus fiers de cette somptueuse bibliothèque, que nous avons entièrement rénovée il y a deux ans. »

On avance vers le fond de la pièce, attirés par deux grands cintres sur lesquels sont suspendus des vête­ments colorés. Une chemise blanche, en coton brut, fait irrésistiblement penser à Fitzcarraldo ; un pantalon moutarde, à la coupe haute, qu’on imagine sans peine sur Jane Birkin, et tout droit sorti des années 70. Ce sont les créations de Goods of Conscience, la marque de vêtements fondée par le père Andrew après une retraite au Guatemala en 2004. « Auprès des habitants de la région de Santiago Atitlán, j’ai découvert le travail du père Stan, un missionnaire assassiné en 1981 par la junte. Beaucoup sont d’origine maya. Ils ont conservé l’héritage textile de cette civilisation, mais les paysans et les couturières vivent dans une grande pauvreté. Goods of Conscience est d’abord né du désir de préserver cet héritage et d’accompagner les petits producteurs de coton, avec l’espoir d’équilibrer la mondialisation par des partenariats à taille humaine. »

L’idée de réciprocité est au coeur du projet. Depuis plusieurs années, les revenus de Goods of Conscience permettent de financer la scolarité de nombreux enfants. Leurs uniformes sont dessinés et offerts par l’association. À l’heure où tant d’habitants d’Amérique centrale émigrent vers les États-Unis, l’objectif du père Andrew est d’aménager des conditions de développement durable pour ces populations. « Il n’y a pas d’usine, pas même d’atelier ; le rythme de la vie reste le même : les femmes travaillent chez elles, en cuisinant, les enfants jouent à côté. »

L’atelier ne se trouve pas au Gua­temala, mais à New-York, au sous-sol du presbytère. Trois personnes y transforment quotidiennement les étoffes guatémaltèques en vêtements de caractère. La vision qui anime le projet est bien plus radicale et ambi­tieuse que ce que pourraient suggérer certains clichés – le curé branché qui vend des chemises en coton fair-trade à une clientèle aisée… Le père Andrew, qu’un journal de quartier a surnommé the DIY priest (le prêtre du Do it yourself), s’est attaché à mettre en place des circuits courts…

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