Cela devait arriver. L’écologie est « à la mode » depuis trop longtemps. À force que chacun tire à soi cette belle couverture, ont fleuri les redéfinitions de termes, les adjectifs, les dérivés. L’on avait déjà dû commencer à parler « d’écologues » et non d’écologistes pour désigner celui qui s’occupe d’écologie scientifique et de rien d’autre ; puis l’on vit éclater les termes d’écologie progressiste, d’écologie humaine et finalement d’écologie intégrale, tout cela valsant et sautant d’un bord à l’autre de l’échiquier comme vile superballe. Alors, un petit point sur l’écologie intégrale, de la part d’un utilisateur régulier, et, s’il plaît à Dieu, prudent, de la plupart de ces termes ?

Rappelons avant tout que l’écologie, à la base, c’est la branche des sciences de la vie qui étudie les relations des êtres vivants entre eux et avec leur milieu. C’est toujours vrai. C’est toujours une discipline scientifique et c’est par excellence la science des relations. L’affaire se corse si l’on veut bien prendre en compte que le milieu inclut les autres êtres vivants et que ceux-ci créent, dans une certaine mesure, le milieu. Songez aux multiples façons dont végétaux, vers de terre, grands et petits herbivores, modèlent le sol, le paysage et le climat.

Non seulement tout est lié, mais tous sont liés : c’est l’enseignement de cette science.

Et l’écologie intégrale ? La toute première mention du terme est incertaine, mais c’est Benoît XVI qui, le premier, popularise le terme (il arrive encore alors qu’on parle aussi « d’écologie plénière ») pour désigner un souci de l’ensemble des espèces vivantes et de leurs relations écosystémiques qui sache inclure l’homme. C’est encore dans ce sens que l’emploient encore et toujours le pape François et les catholiques soucieux d’écologie fidèles à la démarche proposée par l’encyclique Laudato Si’.

Pourquoi une écologie qui sache inclure l’homme ? Parce que d’un côté comme de l’autre, à « gauche » comme à « droite », nous avons hérité de traditions qui ont tendance à l’extraire du système pour le considérer à part, comme s’il n’était pas vraiment concerné, ou ne jouant pas le même jeu. À « gauche » donc, l’homme serait perçu principalement comme une sorte de perturbateur extérieur et d’une certaine manière illégitime, un peu comme une espèce exogène et invasive irrémédiablement inadaptée au reste de la biosphère. À « droite », au contraire, l’Homme, avec une majuscule Tour de Babel qui écorche le ciel à un bout et raie le parquet de l’autre, apparaîtrait comme une sorte de Louis XIV de la planète, maître absolu de droit divin, légitime à considérer que tout en ce monde est à lui, pour lui, et tout juste digne de ses chaudières ou de son tube digestif. Encore faut-il préciser qu’il s’agit là de deux pôles, de deux extrêmes qui en l’état ne rallient pas beaucoup de monde, mais qui sont très utiles pour jouer à se faire peur avec l’autre, qui est forcément un khmer vert/un spéciste carniste fanatique.

Pourquoi une écologie qui sache inclure l’homme ? Parce que d’un côté comme de l’autre, à « gauche » comme à « droite », nous avons hérité de traditions qui ont tendance à l’extraire du système pour le considérer à part, comme s’il n’était pas vraiment concerné, ou ne jouant pas le même jeu.

Ouvrons ici une parenthèse. On lit encore quelquefois « l’écologie intégrale, dite aussi écologie humaine ». C’est faux, il suffit de lire Laudato Si’ pour le vérifier, et source d’encore plus de malentendus, car le terme écologie humaine, lui-même, est fort polysémique, du moins en France.

Dans notre pays, « Écologie humaine » est un mouvement, qui pour l’essentiel se préoccupe des combats bioéthiques avec des positions qui recouvrent à peu près celles de l’Église. Et la pertinence du terme ne me convainc qu’à moitié, car ce qui est au cœur de ces motivations, c’est moins la vie (au sens biologique) que la dignité. La dignité est un terme assez inconnu des écosystèmes, le concept est purement anthropique, bien que l’homme puisse, naturellement, reconnaître une dignité à d’autres êtres. Mais, faisons bref : sous le vocable écologie humaine sont menés des combats et défendus des positions qui peuvent être fort légitimes en soi, mais ne relèvent pas vraiment de l’écologie, car ils ne touchent en rien aux questions de relations espèce(s)-milieux. Et ces combats gagneraient à intégrer, d’urgence, car il y a urgence, cette notion de relations avec l’ensemble du monde vivant plutôt que de ruminer la peur d’un terrorisme antispéciste. Ce dernier n’a toujours pas dépassé en violence le stade du barbouillage de murs. Les enfants morts de pollution de l’air ou de l’eau, eux, se comptent par millions.

(…) Sous le vocable écologie humaine sont menés des combats et défendus des positions qui peuvent être fort légitimes en soi, mais ne relèvent pas vraiment de l’écologie, car ils ne touchent en rien aux questions de relations espèce(s)-milieux.

C’est qu’avant même d’examiner sa dignité, l’homme a des besoins très concrets d’être vivant qu’il s’agit de satisfaire. C’est un primate qui pense et prie, oui, mais un primate avant tout, en ce sens que sans air, ou sans eau, ou sans nourriture ou sans gîte, on n’aura pas le temps d’en voir grand-chose, de sa dignité. Et comme l’air, l’eau, la nourriture et le gîte de notre espèce sont présentement très fragilisés, le risque existe qu’une « écologie humaine » par trop axée « enfant à naître/fin de vie » finisse par se retrouver privée d’objet : à quoi bon naître dans un océan de déchets toxiques ?

Voilà pourquoi, pour ce qui est du terme écologie humaine, je préfère m’en tenir à la définition papale et désigner par d’autres mots les dossiers traités pour l’heure par le courant du même nom. Sans dénigrement aucun. Tout ce qui est bon ou juste ne relève pas forcément d’écologie, voilà tout. Et je crains, en revanche, qu’à force de dériver des termes, on finisse par les vider de tout sens et rendre aux citoyens un message brouillé, donc inaudible.

Quelle est-elle, cette définition papale ? C’est en fait celle de la science. C’est l’écologie de l’espèce humaine. Ses besoins en termes de milieu. C’est-à-dire un air respirable, un accès à l’eau potable, une nourriture correcte, un logement et de manière générale des conditions de vie convenables, pour s’épanouir en tant qu’être vivant, en tant qu’être vivant appartenant à une espèce qui a ses exigences propres (la sécurité, la paix, la possibilité d’une vie de famille stable, un « cadre de vie » agréable, des loisirs et un accès à la culture, par exemple, toutes choses dont on ne trouvera pas l’équivalent dans l’écologie, disons, de l’orchis pyramidal, du pic vert ou de la cétoine dorée). L’homme doit veiller à ce que ces exigences écologiques soient satisfaites pour toute son espèce, et pas seulement pour quelques privilégiés, nous dit le pape.

L’homme doit veiller à ce que ces exigences écologiques soient satisfaites pour toute son espèce, et pas seulement pour quelques privilégiés, nous dit le pape.

Mais il ne le fait qu’après avoir longuement souligné qu’il était également du devoir de l’homme de ne pas empêcher les autres espèces de s’épanouir itou. Et ce, d’autant plus que nous savons désormais que satisfaire nos exigences si le reste du vivant s’effondre est irréaliste, car, enseigne la science, tout est lié. L’homme et les petits oiseaux survivent ensemble, ou périssent ensemble : ainsi va la vie sur ce monde où nous sommes placés.

Et voici définie l’écologie intégrale. C’est l’écologie qui se préoccupe des conditions de vie de l’espèce humaine du même pas, du même élan que de celles des autres espèces, en pleine conscience et connaissance des liens biologiques et spirituels qui les unissent – services écosystémiques, communauté de destin, vocations variées, mais toutes tournées vers un même Créateur.

Mais, me direz-vous, c’est l’écologie tout court. Le terme d’écologie intégrale est redondant, pléonastique, nous sommes rendus au point de départ.

Parler d’écologie intégrale ne peut être qu’une façon transitoire de ramener, non pas l’homme dans l’écologie, car il n’en est jamais sorti, mais l’écologie dans l’homme. Ce n’est qu’un rabâchage, salutaire, mais un rabâchage.

Mais oui ! L’écologie de l’homme, l’écologie des autres espèces, c’est nécessairement tout un. Le monde vivant ? L’homme n’est ni dessus, ni dessous, ni à côté : il est dedans. Même pas au centre : de centre, il n’y en a pas. Comme la Terre n’est pas au centre de l’Univers qui n’en a de toute façon pas. Il est au cœur, au beau milieu, et l’en extraire pour y peser sa place est un non-sens, une confusion de plans. Parler d’écologie intégrale ne peut être qu’une façon transitoire de ramener, non pas l’homme dans l’écologie, car il n’en est jamais sorti, mais l’écologie dans l’homme. Ce n’est qu’un rabâchage, salutaire, mais un rabâchage. Quand nous aurons (r)appris notre leçon, nous pourrons parler d’écologie tout court. Nous pourrons entrer dans l’ère écologique, enfin consciente du réellement sublime de cette place de l’homme : à la fois être du cœur des écosystèmes et être spirituel, à la fois cellule et esprit. Genre à l’image de Dieu, divin et incarné ?