Linky, c’est bien-sûr un nom mignon de fée électricité, enrobé de douceur dans son joli boîtier coloré vert pomme, délicieusement high-tech comme un Itruc d’Apple. Mais ce nouveau compteur électrique lancé par EDF n’en est que plus suspect pour Philippe Franceschetti…

Comment avons-nous pu vivre sans ? Linky : c’est le petit nom du nouveau compteur électrique qu’EDF a décidé d’installer dans toute la France, entre aujourd’hui et 2021. Adieu les anciens (mais non périmés) compteurs qui ne faisaient que compter ; bienvenue aux « compteurs intelligents » ! Linky pourra enregistrer votre consommation et ses variations, faire intervenir EDF à distance, à terme piloter vos appareils, et surtout d’ors et déjà transmettre en temps réel ces données à EDF. C’est la « première brique des réseaux intelligents électriques » et vous êtes donc priés d’entrer dans la « convivialité cybernétique ». D’ailleurs, on ne vous demande pas de réfléchir, ni de décider : EDF change les compteurs sans demander d’accord ni à l’utilisateur ni aux collectivités propriétaires du réseau. C’est que le projet Linky est porté par toute la classe dirigeante. Dès 2013, le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault avait promis la pose des compteurs intelligents chez tous les Français et le Parlement a voté la « loi relative à la transition énergétique  pour une croissance verte » le 17 août dernier, ouvrant la voie légale au grand changement. Bien avant même, l’Etat avait largement subventionné les recherches scientifiques en lien avec les industriels. Pièces et Main-d’œuvre a bien montré la collusion université-industrie-pouvoir à Grenoble, où le projet a pris forme. Là, pas de temps à perdre avec la société civile. François Brottes, député de l’Isère puis désormais  président de RTE filiale d’EDF, l’annonçait fièrement : « « Ici les élus ont été vaccinés à la high-tech, cela permet d’avancer plus vite et d’éviter de se poser des questions métaphysiques. »

Bref, la population n’avait rien à dire ; les « décideurs » avaient décidé. Et puis, tous l’ont dit solennellement : Linky va permettre des économies d’énergie… c’est-à-dire sauver la planète !

Dans le déploiement de Linky lancé en décembre 2015 et prévu pour se dérouler sans souci… et sans débat, un petit caillou s’est fichu dans la botte du géant EDF : des Français refusent la petite boîte fluo intelligente !  Certains n’ouvrent pas leur porte aux agents de l’entreprise déléguée ; d’autres mettent barres de fer et cadenas devant leurs compteurs. Parfois, ils arrivent à faire voter le refus par leur commune. Face au projet de l’élite technophile, on trouve donc un mouvement spontané – seules quelques associations (Robin des toits, Priartem…) les  soutiennent, local – le plus souvent, c’est la discussion entre voisins qui lance le combat, et citoyen – loin des partis et des lobbies traditionnels. Pas d’étiquettes, ni de structures, encore moins de figures médiatiques. Seulement des hommes qui décident de ne pas accepter sans comprendre. Pour eux, Linky doit être repoussé au nom de :

  • La santé : le compteur intelligent induit pour la transmission des données l’usage du CPL et du réseau GSM, avec dans les quartiers des concentrateurs et des antennes-relais, donc une nouvelle pollution électromagnétique.
  • La protection de la vie privée : l’usage des appareils domestiques est enregistré (pour l’instant sans transmettre beaucoup de détails) en passant par une puce. Des infos sur vos faits et gestes viennent s’archiver dans le big data.
  • La défense de l’humain face à la machine : quelques 6000 postes d’agents de terrain chez EDF seraient supprimés à terme par la boîte intelligente. Il faut bien compenser le coût des 35 millions de LINKY déjà fabriqués et leur pose !

Les frondeurs ont donc voulu rechercher ce qu’on leur demandait d’accepter, et ils y ont vu un compteur plus dangereux qu’intelligent.

Bien sûr, d’aucuns y verra un mouvement insignifiant : encore peu nombreux, ils ne comptent pas dans le paysage politique français. Mais leur valeur est ailleurs. En fait, cette lutte a vraiment du sens. C’est d’abord la détermination de citoyens face au diktat d’un grand groupe économique, ce qui est assez rare pour être mis en avant. C’est aussi, sur le plan idéologique, la remise en cause chez certains de l’imposition du « Progrès » par en haut et a contrario la promotion du principe de précaution et d’autres solutions que celles promues par le « techno-totalitarisme ». Car Linky est bien la première étape pour entrer dans la smart Planet, une Terre où tout serait connecté et surveillé par la machine. Même l’argument de l’économie d’énergie passe mal : on commence à bien sentir que pour préserver notre « maison commune », il faut changer de mode de consommation plutôt que d’installer une innovation technologique participant à « l’Enfer vert ». Cette lutte est enfin celle du peuple contre la machine. La smart Planet entre chez nous par effraction, mais parmi nous des veilleurs ont guetté : on ne peut accepter l’incarcération de l’homme dans le monde-machine. Il ne faut pas sauver la planète en détruisant l’humain. Finalement, on se pose des « questions métaphysiques » encore en France, contrairement à ce qui se passe dans la techno-cité grenobloise ! On s’approche ici d’une lutte d’écologie intégrale venue de la base.

Bien sûr, cette révolte ne triomphera pas. Et ce n’est pas la révolution de structure attendue.

Mais n’y trouve-t-on pas, comme chez les luddites du XIXe siècle, le panache et un certain sens de l’honneur humain qui pourra nous sauver… demain ?