« Sauver notre maison commune et l’avenir de la vie sur la terre ». C’était le thème de la conférence internationale organisée au Vatican les 5 et 6 juillet derniers, à l’occasion du troisième anniversaire de l’encyclique Laudato Si’. Limite y était, représentée par Mahaut et Johannes Herrmann.

Après tout, nous aurions pu ne pas y aller. Limite avait reçu une invitation à participer à une conférence au Vatican, « Laudato Si’. Sauvons notre maison commune et l’avenir de la vie sur terre ». Une conférence, une de plus, pour quoi faire ? Notre époque en a tant connus, de ces raouts mondains où on invite des « décideurs » – comme on dit entre gens bien élevés –, des experts, des gens sages, prudents et raisonnés, où on concède une petite place aux témoignages avant de revenir à plus de « réalisme ». Nous aurions pu dire non. Si nous y sommes allés, c’est que, à la lecture du programme envoyé avec l’invitation, nous pressentions que cette conférence serait différente. Finies les palabres interminables conclues par une déclaration solennelle à laquelle personne ne prête attention. Cette fois-ci, honneur aux premières victimes des effondrements climatiques et place à l’action. La promesse était belle, elle a été tenue. La conférence organisée pour le troisième anniversaire de l’encyclique les 5 et 6 juillet au Vatican a été une rencontre incarnée, vivante, émouvante, un de ces moments où l’urgence nous pousse à être réellement efficaces. Que faut-il alors retenir de ces deux jours ?

Le ton a été donné d’entrée. Après la prière d’ouverture et quelques mots de bienvenue du cardinal Turkson, préfet du Dicastère pour le service du développement humain intégral (DSSUI), et du cardinal Pietro Parolin, numéro deux du Vatican, les premiers intervenants ont été cinq jeunes des cinq continents témoignant de ce qu’ils vivaient chez eux. Delio Siticonatzi, membre du Réseau ecclésial pan-amazonien (le REPAM) et appartenant au peuple shipibo-conibo, du Pérou, a souligné l’impact de l’extraction d’hydrocarbures sur les terres qui permettent aux peuples indigènes de vivre et salué le soutien apporté par le pape à leur cause. Allen Ottaro, fondateur kényan et directeur du CYNESA (Réseau catholique de la jeunesse pour l’environnement durable en Afrique), a témoigné de l’impact de la déforestation, entraînant un changement du régime des pluies et un manque d’eau chronique dans sa région, ou des graves problèmes de pollution détruisant la biodiversité des lacs. Macson Almeida, de l’Alliance verte Don Bosco, venu d’Inde, a fait part de l’inquiétude de la jeunesse asiatique. « L’Asie est un continent jeune mais ces jeunes sont inquiets car ils savent que le réchauffement et la pollution menacent particulièrement cette partie du monde. » Kathy Ketnil-Kijiner, des Îles Marshall, a ému l’assemblée avec ses vers desquels surgissent les conséquences concrètes du réchauffement climatique dans son atoll du Pacifique. La poétesse, submergée par l’émotion et la fatigue, a fait un malaise et a dû interrompre sa première lecture mais est revenue pour lire en entier le poème composé spécialement pour la conférence. Pour son pays natal, un réchauffement de 1,5°C est déjà une menace vitale. Bien que la conférence soit centrée sur l’urgence climatique (ce qui se comprend puisqu’elle ne durait que deux jours, mais ce que nous avons regretté), Yeb Saño, ancien ambassadeur des Philippines auprès des COP, a rappelé, à la suite d’Allen Ottaro, que la crise écologique n’est pas que climatique. Même si nous réglions la question de l’énergie, la déforestation et la perte de biodiversité continueraient et resteraient dévastatrices pour l’humanité et notamment les plus pauvres.

En insistant autant (…) sur la dignité des peuples indigènes et l’impact du réchauffement sur les îles coralliennes et l’Asie du Sud-Est, l’Église a montré son souci de porter la voix des oubliés, des négligés, des victimes collatérales d’un certain « développement ».

En insistant autant, dans le déroulement des travaux, sur la dignité des peuples indigènes et l’impact du réchauffement sur les îles coralliennes et l’Asie du Sud-Est, l’Église a montré son souci de porter la voix des oubliés, des négligés, des victimes collatérales d’un certain « développement ». Et, de fait, ce sont eux, et non pas les sages et les savants, qui ont été les vrais héros de cette conférence. Eux, les membres du REPAM et du Réseau ecclésial du bassin du Congo (l’autre poumon vert de la planète), qui ont décidé de travailler ensemble pour lutter ensemble contre les menaces sur leurs forêts. Eux, les Pacific Climate Warriors, membres du réseau 350.org, qui appellent à la résistance pacifique pour lutter contre les industries des combustibles fossiles et dont l’un des membres, Joe Moeonio-Kolio, a exhorté les participants à « ne pas oublier les visages du réchauffement climatique ». Eux, les écoliers indiens du réseau Tarumitra, qui reboisent les collines et entretiennent des parcelles en agro-écologie, venus parler pour les « millions d’espèces d’animaux et de plantes menacées ». Eux, les membres du Global Catholic Climate Movement, qui œuvrent pour que les catholiques occidentaux agissent en faveur de la Création. Eux aussi, les pasteurs en première ligne des combats, comme le cardinal péruvien Pedro Ricardo Barreto Jimeno, menacé de mort en raison de sa lutte contre l’industrie minière ; comme le cardinal Charles Maung Bo, dont le pays, la Birmanie, a été dévasté il y a dix ans par un ouragan ayant fait près de 140 000 morts, et qui est venu dénoncer un « holocauste écologique » et attirer l’attention sur les migrations à venir de millions de « réfugiés écologiques ». Eux qui, même si la biodiversité n’était pas le principal thème retenu par les organisateurs du colloque, pendant ces deux jours, ont rappelé qu’une biodiversité en bon état était une nécessité vitale pour la vie humaine et que l’agriculture et l’eau potable ne pouvaient pas s’en passer.

Car ce que nous savions avant d’arriver à Rome mais dont nous n’avions pas pris toute la mesure (…), c’est à quel point le rôle de l’Église, des églises, est vital en Afrique ou en Amérique du Sud lorsque l’État défaille et manque à ses obligations de protection des hommes et des terres, et à quel point les croyants sont présents aux côtés de la planète et de la lutte des oubliés du « progrès ».

La place dévolue aux témoignages et aux actions concrètes au cœur des changements de modes de vie  a préparé les deux sessions de travail en groupes. L’objectif était de formuler des propositions et des éléments de plaidoyer pour la rencontre du FMI et de la banque mondiale à Bali (12-14 octobre 2018), le sommet Global Climate Action à San Francisco (12-14 septembre 2018), et la COP 24 de Katowice (3-14 décembre 2018). En ce qui concerne les rendez-vous ecclésiaux, toute l’attention s’est portée sur le Synode des jeunes en octobre 2018, le Synode spécial sur l’Amazonie en octobre 2019 et le Temps de la Création, temps liturgique allant du 1er septembre au 4 octobre. Que sortira-t-il de ce plaidoyer ? Nul ne peut le dire. Mais ceux qui le porteront ont pu nouer des liens et des réseaux pour continuer à œuvrer localement, à apprendre des pratiques de ceux qui sont face aux mêmes problématiques, à se renforcer mutuellement dans leurs luttes. Le hall de la salle Paul VI accueillait des stands mettant en valeur les réseaux écologiques chrétiens du monde entier et a permis à chacun de découvrir des organisations et des combats qu’il ne connaissait pas. Les Espagnols de la revue Landscare, qui veut observer et soutenir la vie rurale dans une perspective environnementale, ont croisé les Français de l’Académie pour une écologie intégrale de Notre-Dame-du-Chêne et les Italiens de la communauté de Nomadelfia, dont la sobriété heureuse et le respect de la Création sont des principes fondamentaux. Même si le plaidoyer n’est pas suivi d’effets, ce lien ecclésial qui s’est renforcé pendant deux jours au Vatican subsistera et nourrira l’action de chacun. Car ce que nous savions avant d’arriver à Rome mais dont nous n’avions pas pris toute la mesure, nous, catholiques d’un continent où la foi catholique décline et où l’Église n’est plus écoutée, c’est à quel point le rôle de l’Église, des églises, est vital en Afrique ou en Amérique du Sud lorsque l’État défaille et manque à ses obligations de protection des hommes et des terres, et à quel point les croyants sont présents aux côtés de la planète et de la lutte des oubliés du « progrès ». Cette conférence au Vatican a été pour eux une reconnaissance ecclésiale de l’importance de leur action.

Le moment le plus fort, celui qui montrait le plus cette reconnaissance, a été, sans nul doute, l’audience de plus d’une heure que nous a accordée le pape François le vendredi matin. Dans son adresse aux participants, le pape a, de nouveau, appelé la communauté internationale à l’action contre le réchauffement climatique et la crise écologique et exhorté chacun à adopter, individuellement et collectivement, de nouveaux modes de vie radicalement écologiques. Mais ce que nous retenons surtout, ce sont les paroles d’encouragement à l’assemblée réunie dans la salle Clémentine. « Votre présence ici est le signe de votre engagement à mettre en œuvre des mesures concrètes pour sauver la planète et la vie qu’elle supporte », a-t-il déclaré. « J’exprime ma gratitude sincère pour vos efforts au service de la création et d’un avenir meilleur pour nos enfants et nos petits-enfants. » Nous étions plus de quatre cents, et le Pape a tenu à prendre le temps nécessaire pour que chaque participant vienne le saluer et lui offre ce qui représentait sa propre action. La joie de la rencontre se lisait sur les visages de François, mais aussi de Delio Siticonatzi, de Joe Moeono-Kolio et de tous les écologistes rassemblés pour se fortifier dans leurs actions. C’est avec le souvenir du bonheur de ceux qui sont trop souvent oubliés que nous repartons de Rome, prêts à continuer à agir pour la conversion écologique et la sauvegarde de la Création.