Limite s’associe au groupe de travail Laudato Si fondé en 2016 et qui réunit une trentaine de jeunes professionnels et un prêtre du diocèse de Paris pour réfléchir à l’écologie intégrale. Tout au long de cet été, Limite publie le résultat de leurs réflexions ainsi que leurs propositions. Aujourd’hui, une réflexion transversale sur le(s) temps.

Au fil des 4 cycles abordés est apparue une double blessure dans notre rapport au temps : notre incapacité grandissante, d’une part, à nous placer dans un temps long et, d’autre part, à habiter le moment présent. Cette double déficience, inhérente à l’homogénéisation d’un temps de plus en plus rythmé par les seules pulsations de la sphère économique, signe la détérioration de notre sensibilité – éminemment humaine – aux différentes « qualités » du temps.

Agriculture, énergies & ressources

Semer et observer une plante pousser me place face à un mécanisme que je comprends, mais aussi face à une sorte de mystère qui m’échappe. « Un arbre produit des fruits parce que c’est un arbre magique » écrit Chesterton. Dans le même sens, certains éleveurs expliquent que le temps de l’élevage puis de l’abattage des animaux pour nourrir l’homme est une occasion de réflexion sur le passage du temps et sur la mort. Cette perception du temps long de la nature et de ses cycles perpétuels semble avoir disparu des modèles actuels d’élevage et d’agriculture. Et où la contemplation du créé et de ses rythmes profonds trouve-t-elle encore sa place dans nos quotidiens citadins ? Cette perte de vue – au sens littéral – de la nature contribue à une homogénéisation du temps, que le triste effacement du « repos dominical » parachève sans bruit.

Simultanément, l’explosion de la mobilité, permise par notre surexploitation des ressources, donne lieu à un bilan carbone qui réclame de toute urgence le ralentissement de nos rythmes de vie. Pour tenir l’objectif des accords de Paris, il faudrait diminuer la demande de mobilité d’un quart d’ici 2050. Plus profondément, il nous faut questionner la manière dont nous occupons notre temps, souvent dans un zapping frénétique de déplacements et d’activités, nous empêchant d’habiter les temps et les lieux où nous nous trouvons.

Économie & finance

Notre système économique semble aujourd’hui incapable de prendre en compte le moyen et long terme, et donc d’intégrer pleinement le risque écologique. Certes, les gestionnaires d’actifs commencent à être attentifs aux investissements « verts » et l’idée d’une responsabilité sociale de l’entreprise progresse. Cependant, le capitalisme libéral est principalement basé sur la recherche de taux de rentabilité élevés. Cette dernière passe généralement par la quête d’un profit à court terme, faisant souvent fi des externalités négatives environnementales (pollution, CO2) ou humaines (chômage, stress au travail). Et même si celles-ci étaient prises en compte, elles deviennent tellement importantes qu’on ne pourra finalement plus les intégrer au modèle économique actuel. En effet, pour la détérioration d’un océan – par exemple – aucune compensation n’est imaginable. Dès lors se dessine une discordance entre la résolution de la crise écologique, inscrite dans le long terme, et les objectifs court-termistes de recherche de profits de l’actionnaire.

Écologie humaine, médecine & transhumanisme

La crise écologique se dessine comme une crise de la limite. Cela vaut en particulier des limites temporelles de la vie humaine. De manière assez révélatrice, notre époque vient ainsi interroger les extrémités de la vie, avec les débats sur l’avortement et l’euthanasie. Le récit transhumaniste propose de mettre fin à la mort. Dans ces réflexions est totalement évacuée la pensée des fins dernières et de l’éternité. Or celles-ci offrent à notre temps sur terre un perspective et une qualité nouvelles.

Parallèlement, alors que l’homme est de plus en plus entouré de machines et comparé à celles-ci, la capacité proprement humaine d’être présent à soi est un trésor à valoriser. Scrutons nos vies intérieures et notre expérience du temps : non pas un temps lisse qui passe indifféremment, mais un temps fait de variations, du temps étiré de l’ennui au temps condensé des moments intenses. Éprouver ces divers temps. Habiter le temps.

Intégration sociale & vivre ensemble

Corollaire de la crise économique, la crise sociale relève d’une difficulté à se penser comme appartenant à un collectif – présent, passé et futur – plus grand que soi. Or « par sa durée, la collectivité pénètre déjà dans l’avenir. Elle contient de la nourriture non seulement pour les âmes des vivants mais aussi pour celles d’êtres qui viendront au monde » explique Simone Weil dans L’Enracinement. « De par la même durée, la collectivité a ses racines dans le passé. Elle constitue l’unique organe de conservation et de transmission pour les trésors spirituels amassés par les morts ». En nous émancipant progressivement du primat du collectif, nous nous sommes aussi largement privés d’une inscription dans le temps long, et peinons, par exemple sur le sujet environnemental, à nous sentir responsables des conditions de vie des générations futures.

La mise à mal de notre corps social tient également à une disparition du temps gratuit. Un agenda « rentabilisé », saturé, ne laisse plus réellement d’espace à l’imprévu, aux autres et à Dieu. C’est une autre fonction du shabbat, chez les juifs, et du dimanche chômé, chez les chrétiens : suspendre le temps du labeur pour se souvenir que c’est Dieu, le premier, qui est à l’œuvre. Un temps ouvert à la libre initiative de l’Autre.

Si vous souhaitez vous joindre au groupe de travail Laudato Si : gt.laudatosi@gmail.com

Le groupe de travail Laudato Si réunit au cours d’une vingtaine de rencontres une trentaine de jeunes professionnels catholiques et un prêtre de Paris avec l’objectif d’enclencher une conversion à l’écologie intégrale. L’année se divise en quatre thèmes : médecine & transhumanisme, agriculture & ressources, économie & finance, et lien social & vie dans la cité. Chacun des thème est abordé en suivant une méthode en quatre temps : (1) s’informer et se constituer des repères de réflexion (2) rencontrer au cours d’un week-end des personnes travaillant dans ce secteur (agriculteur, médecin…), pour certains déjà convertis à l’écologie intégrale (3) identifier les leviers spirituels à la conversion personnelle (4) prendre des « résolutions » concrètes.