Ce mardi 17 octobre, un nouveau documentaire de Marie-Monique Robin sera diffusé sur Arte à 20h50. Celui-ci a pour titre Le Roundup face à ses juges et retrace la mise en place du tribunal citoyen qui s’est tenu à La Haye en 2016 contre Monsanto. En présence de véritables juges, des victimes du glyphosate ont pu être entendues et des scientifiques ont pu exposer leurs études. Cette question est d’une actualité brulante, les États membres devant en principe se prononcer le 25 octobre sur une proposition de la Commission d’interdiction ou de reconduction de l’autorisation de l’utilisation du glyphosate. Comme à son habitude, le documentaire s’accompagne d’un livre – publié aux Editions La Découverte sous le même titre – source de précieuses informations. Interview de Marie-Monique Robin, marraine du tribunal Monsanto et auteur de ce documentaire et de ce livre.

Ce n’est pas la première fois que vous dénoncez les pratiques de ce géant de l’agro-industrie. Vous aviez déjà produit un documentaire et un livre intitulés Le monde selon Monsanto. Pourquoi se concentrer essentiellement sur Monsanto et son produit phare alors que d’autres entreprises du même secteur ont aussi leurs produits dangereux pour la santé et la planète et posent aussi des problèmes de collusion avec les autorités sanitaires ?

En 2011, j’ai réalisé Notre poison quotidien, un film sur l’industrie chimique, les pesticides. Je me suis donc déjà intéressée à d’autres entreprises et ce, au-delà même du secteur agro-alimentaire. Si j’ai fait à nouveau un film sur Monsanto, c’est d’abord parce que j’ai été sollicitée pour être la marraine du tribunal international Monsanto. J’ai accepté, il a fallu trouver les témoins, les experts… La polémique sur le glyphosate, herbicide le plus vendu au monde, remonte à 2015. Il fallait donc réunir toutes les nouvelles informations disponibles depuis la réalisation du Monde selon Monsanto en 2008. C’est donc l’actualité qui s’est imposée à moi : le tribunal Monsanto et l’actualité autour du glyphosate. De plus, c’est aussi en 2015 que le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer, qui dépend de l’OMS) classifie le glyphosate comme « cancérigène probable ». Information très importante.

Au-delà du coup médiatique, quel était l’intérêt d’organiser un tribunal citoyen ?

Cela s’est avéré nécessaire face aux défaillances des pouvoirs publics et de la justice sur ce sujet. Il est très difficile pour les victimes du glyphosate, présentes partout dans le monde, de faire un procès contre Monsanto. L’objectif était donc de leur permettre d’être entendues par de vrais juges, que ces juges puissent émettre une opinion d’autorité qui peut désormais servir de base partout dans le monde aux victimes et à leurs avocats pour lancer une procédure contre Monsanto. C’est donc à la fois symbolique et en même temps très concret car tout le corpus juridique ainsi rassemblé et qui a permis aux juges d’émettre leur avis va permettre de gagner beaucoup temps à tous ces avocats. Au-delà de ça, on souhaitait que ce tribunal permette de reconnaître le crime d’écocide afin d’entraîner une évolution du droit international prenant en compte les crimes contre l’environnement.

Que craindre du rachat de Monsanto par Bayer ?

La commissaire européenne en charge de la concurrence est actuellement en train d’examiner cette possible fusion afin de vérifier que cela ne constitue pas un monopole. Corinne Lepage qui faisait partie du comité juridique, Renate Künast, ancienne ministre de l’agriculture du gouvernement fédéral allemand et ambassadrice du tribunal Monsanto, et moi-même qui en étais la marraine, nous lui avons adressé une lettre. Car nous craignons fort que l’absorption de Monsanto par Bayer soit en fait une manœuvre afin d’échapper à toutes les procédures judiciaires qui sont en cours, dont notamment celles aux États-Unis où 3500 agriculteurs, maraîchers ou paysagistes sont aujourd’hui atteints d’un lymphome non hodgkinien (une forme de leucémie) après avoir utilisé de manière régulière du Roundup ou des pesticides à base de glyphosate. Nous souhaiterions que, si la fusion est actée, une clause soit prévue, garantissant que toutes les procédures contre Monsanto pourront se poursuivre. Des précédents nous font craindre que la disparition de Monsanto rende impossible les poursuites judiciaires. Ce fut par exemple le cas après la catastrophe de Bhopal en 1984 : Union Carbide, la firme propriétaire de l’usine qui a explosé, n’a jamais indemnisé les victimes et une fois rachetée par Dow Chemical, cette dernière a rejeté toute responsabilité. Il est donc pensable que Monsanto soit en train d’organiser sa propre disparition dans le but d’échapper à la justice.

Des agriculteurs ont manifesté contre la possible interdiction du glyphosate arguant qu’il n’existe pas de produit de substitution. La solution que vous défendez est celle de l’abandon de l’agriculture industrielle pour une agriculture durable et biologique. Pensez-vous que les agriculteurs peuvent réellement changer de mode de production s’ils le souhaitent ? Le carcan économique ne leur rend-t-il pas la conversion impossible ?

Il est évident qu’il faut interdire le glyphosate du fait de sa dangerosité et en même temps il est impératif de proposer des alternatives et de dégager des moyens pour la conversion vers une agriculture durable et biologique. S’il y avait un vrai projet d’accompagnement, les inquiétudes de ces agriculteurs seraient réduites. Il ne s’agit pas de trouver un autre produit chimique. Il faut sortir de cette logique chimique.