Dans sa chronique hebdomadaire, « La Courte Echelle » (#LCE), Gaultier Bès revient sur l’actualité à l’aune de l’écologie intégrale. Tous les mercredi à 8h, 12h45 et 19h20, retrouvez également « La Courte Echelle » sur Radio Espérance

« Il faut aller voter ! »

« Il faut aller voter ! » Cette phrase, je l’entends souvent et je la comprends. Et je serais même parfaitement d’accord avec elle, s’il n’y avait pas ce coriace malentendu autour du sens et de la portée du vote. Si on ne confondait pas « électeur » avec « supporter », ou pire avec « sectateur ». Car c’est là que le bât blesse : quand un système démocratique vicié tend à la réduction du citoyen en spectateur ou en sectateur. Spectateur passif des joutes médiatiques qui usurpent le beau nom de politique ou sectateur fanatisé d’un candidat préjugé providentiel.

A écouter les candidats, ou pire encore leurs partisans, on a l’impression que le sort du pays tout entier dépendrait d’un bulletin de vote. Que de ce choix jaillira la lumière. Que leur programme est le chemin, la vérité, la vie. Qu’enfin les yeux des aveugles et les oreilles des sourds s’ouvriront…

Ce qui me gêne le plus dans la rhétorique électorale, c’est en effet sa dimension messianique, voire eschatologique. Je m’explique. A écouter les candidats, ou pire encore leurs partisans, on a l’impression que le sort du pays tout entier dépendrait d’un bulletin de vote. Que de ce choix jaillira la lumière. Que leur programme est le chemin, la vérité, la vie. Qu’enfin les yeux des aveugles et les oreilles des sourds s’ouvriront, que le terrorisme sera vaincu, que la table de la finance sera renversée, que l’hydre du chômage sera décapitée, que l’assistanat ou les discriminations ou le communautarisme ou l’exploitation salariale, c’est selon, seront enfin renvoyés aux enfers d’où elles n’auront jamais dû sortir. Que la famille ou la nation ou l’égalité ou la liberté seront rétablies dans leurs droits. Que l’élection d’un ancien premier ministre serait la rupture attendue de toute éternité. Que les promesses, cette fois, seront tenues parce que lui, tu sais, il n’est pas comme les autres, c’est un homme de convictions. Et que celui qui ne comprend pas la gravité du moment, la nécessité vitale de voter, n’est qu’un salaud, un traître, ou un fou. Je grossis un peu le trait, mais à peine.

« Ce sont les élections de la dernières chances ! »

Combien de fois n’avons-nous pas entendu le fameux « Ce sont les élections de la dernières chances ! » Répétée à chaque fois, la formule finit forcément par perdre un peu de force.

Dans une démocratie, le vote est certes aussi bien un droit qu’un devoir civique. Mais un devoir civique n’est pas un commandement divin, et choisir un candidat n’a rien d’un acte de foi.

Si je vote pour tel ou telle, cela ne devrait en rien être interprété comme un blanc-seing. Non seulement parce que la situation électorale contraint souvent le citoyen à choisir par défaut, à éliminer sans adhérer, mais surtout parce que considérer en conscience que le programme de ce candidat est le meilleur dans cette situation pour notre pays ne veut pas dire considérer qu’une fois élu, les problèmes fondront comme neige au soleil. Et que, par grâce, par magie ou par la seule force d’une volonté toute-puissante, la France sera « sauvée » de ses démons.

Prenons, par exemple, puisque c’est d’actualité, les deux finalistes de « la primaire de la droite et du centre ». Quand l’un (c’est Juppé) déclare à ses partisans « Choisissez le chemin de la confiance, de la fierté, de l’espérance ! », l’autre (Fillon) leur dit : « foncez vers la réussite, foncez vers le progrès, foncez vers la justice, foncez vers la grandeur ! ». Je sais bien que pour atteindre les gens, et a fortiori les foules, on ne peut se contenter d’un discours technocratique, aussi aride que faussement objectif, et sans doute n’est-ce pas souhaitable. Simplement, je crains qu’à force d’user et d’abuser de cette rhétorique grandiloquente, les candidats finissent par s’auto-persuader eux-mêmes de leur pouvoir mirobolant, et plus grave, fourvoient leurs électeurs. Bref, je crains qu’en maniant si légèrement de tels mots – « espérance », « progrès » – ce soit surtout vers le mur que nous foncions. Qui sème le vent d’un enthousiasme déplacé récolte la tempête de la désillusion. Et de la désespérance, mère des pires démagogies.

#PèreNoël2017

Pardon d’enfoncer des portes ouvertes. Mais quand j’entends : « Merci à tous ceux qui ont cru en moi » ou « je suis le candidat qui a le souci de dire la Vérité » (avec un grand V), je me demande si ces politiciens ne finissent pas un peu par se prendre pour le Christ. De même, le slogan choisi par Marine Le Pen, « Au nom du Peuple », renvoie assez clairement à la formule du signe de croix « Au nom du Père ». Quand le fou promet la lune, le sage regarde la terre. Mystifier la politique, c’est mystifier ceux qui vous accordent, le temps d’un vote, leur confiance.

Récemment, quelqu’un me parlait ainsi des « milliers de Français qui attendent un emploi que pourrait leur offrir un candidat compétent ». Je lui ai répondu justement que le meilleur candidat du monde n’avait aucun emploi à « offrir » parce qu’il n’était pas le Père Noël. Tout au plus, et c’est tout le mal qu’on lui souhaite, fera-t-il en sorte que l’économie permette à chacun de subvenir à ses besoins grâce à un travail digne et utile à la collectivité. Si voter, c’est croire au père Noël, très peu pour moi. Un seul Messie me suffit, merci. Ce genre de confusions n’est pas nouveau, mais il convient de s’en méfier, de le mettre à distance, et même de le dénoncer comme un dangereuse dérive, qui mystifie le discours politique en lui conférant un pouvoir quasi-surnaturel qu’il n’a évidemment pas.

Voter, oui, mais sans passion

Comme l’immense majorité d’entre nous, j’espère que lors des prochaines échéances électorales, présidentielles et législatives, le peuple français saura se choisir des élus dignes de ce nom, c’est-à-dire soucieux de servir sans se servir, et de travailler, de leur mieux, au bien de la nation, à faire en sorte, entre autre, que les équilibres écologiques et les droits des plus fragiles soient mieux respectés, que la souveraineté de la France soit garantie, que l’économie permette à chacun de vivre de son travail, que la fraternité l’emporte sur la rivalité de tous contre tous, etc. Mais « espérer que » n’est pas « espérer en », et la nuance est de taille. Le meilleur candidat possible ne « sauvera » pas la France, de même que le meilleur accord sur le climat ne « sauvera » pas le monde. Il ou elle fera en sorte que le pays se porte mieux, sans prétendre que tout dépende de lui.

Je crois que les chrétiens ont un rôle particulier à l’égard de la démocratie, dont Bergson, d’accord avec Maritain, disait qu’elle était d’« essence évangélique ». Et ce rôle, c’est de se faire les garants de la laïcité, c’est-à-dire, précisément, de « rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César ».

Libérons la politique de ses caricatures messianiques. Dépassionnons-la pour ne pas prendre des vessies pour des lanternes. Votons, oui, sans doute, mais sans confondre politique et providence. Rappelons qu’un suffrage n’est pas un acte de foi.

Libérons la politique de ses caricatures messianiques. Dépassionnons-la pour ne pas prendre des vessies pour des lanternes. Votons, oui, sans doute, mais sans confondre politique et providence. Rappelons qu’un suffrage n’est pas un acte de foi. Réaffirmons que la politique ne se réduit pas à des promesses et à des programmes, mais qu’elle est un effort quotidien pour favoriser, ici et maintenant, la coexistence pacifique et la prospérité des personnes et des familles. Faisons de la politique non pas tous les cinq ans, sur les écrans ou sur les marchés, mais tous les jours, là où nous sommes, vivons, travaillons. Autrement dit, dénonçons, même en votant, l’idolâtrie électorale qui transforme le citoyen en amoureux transi ou, pire, en bigot fanatisé, et rendons à la politique ses lettres de noblesse, celles d’un bien qui est commun parce qu’il n’est d’aucun camp.