Dans sa chronique hebdomadaire, « La Courte Echelle » (#LCE), Gaultier Bès revient sur l’actualité à l’aune de l’écologie intégrale. Tous les mercredi à 8h, 12h45 et 19h20, retrouvez également « La Courte Echelle » sur Radio Espérance.

« Pendant qu’on nous amuse avec des guerres et des révolutions qui s’engendrent les unes les autres en répétant toujours la même chose, l’homme est en train, à force d’exploitation technologique incontrôlée, de rendre la terre inhabitable, non seulement pour lui mais pour toutes les formes de vie supérieure qui s’étaient jusqu’alors accommodées de sa présence. Le paradis concentrationnaire qui s’esquisse et que nous promettent les technocrates ne verra jamais le jour parce que leur ignorance et leur mépris des contingences biologiques le tueront dans l’œuf. La seule vraie question qui se pose n’est pas de savoir s’il sera supportable une fois né mais si, oui ou non, son avortement provoquera notre mort. »

Ainsi parlait, en 1973, Pierre Fournier, fondateur du premier journal écologiste français, La Gueule ouverte. Où en sommes-nous quarante ans après ?

Nous sommes encore vivants, grâce à Dieu, mais d’une vie de plus en plus incertaine, suspendue. Suspendue au prochain cyclone, au prochain attentat islamiste, au prochain accident nucléaire, au prochain bombardement téléguidé. Suspendue, comme hier et aujourd’hui, à un pic de pollution. Suspendue aux équilibres climatiques que notre frénésie productive dérègle. Suspendue à la survie des abeilles et autres insectes pollinisateurs décimés par nos pesticides, alors que nous n’aurons sans eux tout simplement rien à manger. Suspendue au nombre de places disponibles au SAMU social, ou dans le parc HLM. Suspendue à une délocalisation, à un licenciement boursier, à un plan de restructuration. Suspendue à une panne de transports qui suffirait à paralyser notre économie, quand on voit que, par exemple, 900 000 personnes dépendent pour travailler du bon fonctionnement d’une seule et même ligne de train de banlieue. Suspendue à l’arbitraire des déjà-nés qui décident, si oui ou non, votre vie vaut la peine d’être vécue au-delà du sein maternel et qui s’arrogent le pouvoir de l’interrompre au nom du sacro-saint « projet ». Suspendue à l’arbitraire des bien-portants qui estiment que votre handicap, votre indifférence, vous éliminent d’office de ceux qui seraient capables d’être heureux, d’avoir simplement une vie bonne. Suspendue à la pression d’un manque de lits dans les hôpitaux qui peut conduire à ce qu’on décide, pour votre bien naturellement, de débrancher ce fil qui vous tenait en vie.

On pourrait continuer indéfiniment la liste. On pourrait aussi faire remarquer que la vie est toujours, par définition, suspendue. Que nous ne sommes que de passage, « morts à crédit », comme dirait l’autre (L.-F. Céline). Que la vie est certes une formalité désagréable, mais qu’au moins tous les candidats y sont reçus (Paul Claudel). Et qu’après tout, la précarité, c’est la vie ! (Laurence Parisot).

C’est vrai, bien sûr, mais il n’empêche qu’on peut préférer favoriser des modes de vie les plus durables, justes et robustes possibles plutôt que d’en aggraver la fragilité. Et qu’au lieu de scier la branche sur laquelle nous sommes assis – je veux parler de la nature – on fasse en sorte que croisse harmonieusement l’arbre auquel elle appartient.

Notre époque qu’on dit hyperconnectée est débranchée – elle oublie à vitesse grand V qu’elle dépend de cet arbre, des ses branches généreuses. Elle se connecte à l’artificiel pour mieux se déraciner du naturel. Et à force de se vouloir débrancher, elle risque de finir branchée bien malgré elle – je veux dire suspendue comme un pendard, asphyxiée, pendue tout court. Pendue haut et court.

Intoxication universelle

C’est l’occasion pour moi d’interpeller les défenseurs de la famille et de la vie, mes camarades de La Manif pour tous et de la Marche pour la vie, sur une part qui me semble trop négligée de leur engagement.

Je suis de vos combats, pour le respect de l’enfant à naître comme de la personne en fin de vie, et pour le droit de chaque enfant à ne pas faire l’objet de manipulations génétiques, de bricolages symboliques, et de grandir, tant que faire se peut, avec son père et sa mère, sans en être délibérément privés par l’arbitraire des adultes, fussent-ils apparemment bien intentionnés.

Mais qu’en est-il du droit de chaque enfant à vivre dans un environnement sain, à respirer un air respirable, à boire une eau potable, à manger des aliments comestibles ? Et qu’en est-il, quand on sait que de plus en plus de mères célibataires se retrouvent à la rue avec leurs enfants, du droit de chaque enfant à bénéficier non seulement d’une famille, mais d’un foyer, d’une maison, d’un toit ?

On ne peut distinguer les précarités entre elles : elles sont tellement entremêlées qu’en négliger une, c’est les négliger toutes.

Un seul exemple : on sait que le tabac comme l’alcool est dangereux pour l’enfant à naître. Mais on sait aussi, de mieux en mieux, les dégâts commis sur sa santé par la pollution atmosphérique ou les perturbateurs endocriniens, ces molécules chimiques qu’on manipule au quotidien (cosmétiques, alimentation, eau, médicaments, textile, ustensiles de cuisine…) et qui ont le pouvoir de détraquer le fonctionnement et les communications de notre système hormonal. Marine Jobert, co-auteure de Perturbateurs endocriniens, la menace invisible (Buchet Chastel) raconte ainsi dans un entretien : « en 2005, le sang du cordon ombilical de dix bébés américains a été analysé. Les résultats sont effarants : ils avaient 237 substances chimiques dans leur corps ! Nous voilà bien loin du mythe d’un bébé « tout neuf »… In utero, ils baignent dans une atmosphère chimique, et ce sans qu’on s’en aperçoive. » Je crains que dix ans après la situation ne se soit aggravé.

Lutter contre ce « drame » qu’est l’avortement, c’est aussi lutter contre l’empoisonnement chimique universel qui commence dès avant la naissance.

Lier les combats, sortir de la schizophrénie

De même, promouvoir le mariage homme/femme comme cadre le plus favorable de l’épanouissement des enfants, lutter contre les techniques de reproduction artificielle qui transforme parents et enfants en matériau de labo et de marché, doit s’accompagner d’un discours économique et social.

Car la précarité professionnelle, le surmenage, le travail dominical ou les temps de transport démentiels à cause des prix de l’immobilier ne sont pas des menaces moindres sur l’équilibre familial que la PMA ou la GPA.

Le jour où le droit de chaque enfant à pouvoir vivre avec son père et sa mère sera réaffirmé par la loi, si ces mêmes enfants doivent porter des masques à gaz pour aller jouer au square ou avaler des compléments alimentaires en lieu et place de légumes verts, nous ne serons guère avancés.

Grandir avec ses parents, c’est bien, sous un toit, et dans une maison à la température décente et sans avoir à cracher ses poumons faute d’avoir les moyens de payer le docteur, c’est mieux.

Autrement dit, pour être audible et pour porter du fruit, il me semble que l’engagement en faveur de la famille comme cellule de base de la société, et du droit à la vie de la conception à la mort naturelle, doit être en même temps, indissolublement, un combat pour la justice sociale et environnementale.

C’est du moins la conviction qui anime l’écologie intégrale de votre revue.