Dans sa chronique hebdomadaire, « La Courte Echelle », Gaultier Bès nous fait découvrir Comment les économistes réchauffent la planète d’Antonin Pottier, tout juste publié dans la collection Anthropocène des éditions du Seuil. L’auteur dévoile l’aveuglement de l’économisme ambiant sur la question climatique.

On a beaucoup parlé climat l’an passé, à la faveur de la COP21 organisée à Paris en décembre 2015. Mais on a du mal à voir venir les grandes réorientations économiques annoncées, comme si l’ambition des objectifs servaient à mieux masquer l’inertie des structures nationales et internationales. En France, du moins, on ne voit pas bien la cohérence entre le volontarisme des discours sur l’environnement et l’obstination du gouvernement sur un projet aussi controversé que l’aéroport de Notre-Dame des Landes. Limiter les émissions de CO², prendre en compte l’évolution du climat, pourquoi pas, tant qu’on peut continuer à bétonner, à polluer, à saccager ! J’ai bien peur que cette schizophrénie permanente de nos gouvernants se poursuive tant que ne sera pas remis en cause l’amalgame entre bien-être et PIB, c’est-à-dire le culte de la croissance à tout prix.

A ce sujet, au début du mois de septembre, l’excellente collection Anthropocène des éditions du Seuil a publié le premier essai d’un jeune chercheur en économie du climat. Dans Comment les économistes réchauffent la planète, Antonin Pottier décortique les impensés du discours économique dominant sur les enjeux écologiques, et plus précisément sur le dérèglement climatique en cours.

« Vous craignez le réchauffement climatique ? Les vagues de chaleur à répétition, les sécheresses interminables, la fonte de la banquise ? « Vous avez tort ! Le changement climatique, c’est 1 % de pouvoir d’achat en moins dans un siècle, alors que le marché le multipliera par sept : ayez confiance ! » C’est du moins ce que disent les économistes.
Antonin Pottier dévoile les présupposés de ce discours économique : marchés parfaits qui orientent les investissements, individus qui optimisent leurs décisions dans un univers complètement connu, nature infiniment généreuse. Cette vision du monde est logée au cœur des modèles et des méthodes des économistes. Elle déforme la réalité et fait prendre des décisions surprenantes, comme celle de créer un marché mondial du carbone pour sauver le climat. Elle aboutit surtout à entraver toute action effective contre le changement climatique », résument les éditeurs.

Comment les économistes réchauffent la planète, éd. Seuil coll. Anthropocène, 08/09/2016, 18 €, 336 p.

Antonin Pottier, ancien élève de l’École normale supérieure, est chercheur au Cerna, le Centre d’économie industrielle de l’École des mines de Paris. Ses travaux portent sur les aspects socio-économiques du changement climatique et l’intégration de l’environnement dans la discipline économique.

Dans la préface de cet essai parfois assez technique, Gaël Giraud, économiste en chef de l’Agence française de développement, et membre de la Compagnie de Jésus, rappelle que notre prospérité ne dépend pas seulement d’institutions comme le marché, mais de déterminations biophysiques souvent délaissées par la recherche et le discours économiques. Après avoir évoqué quelques conséquences immédiates du dérèglement climatique, Gaël Giraud s’interroge : « Pourquoi cette alliance implicite des économistes et des bureaucraties nous conduit-elle à négliger les signes avant-coureurs des catastrophes à venir ? Peut-être les uns comme les autres refusent-ils d’admettre qu’ils contribuent à l’expropriation d’une rente, d’un surplus économique qui provient en grande partie des ressources naturelles. [Car] la nature ne se fait pas payer pour les services qu’elle nous rend. »

Antonin Pottier montre ainsi le lien entre ce qu’il appelle le « fondamentalisme du marché » et l’absence de prise en compte des risques climatiques : « En ne cessant de proclamer la perfection des marchés, l’Économiste favorise indirectement la prolifération du climato-scepticisme. » Sans compter que « sur la décennie 2000, plus de 120 millions de dollars ont été consacrés au financement des travaux climato-sceptiques » (p. 71) par de grands groupes industriels, comme la compagnie pétrolière Exxon Mobil. Pour disqualifier ceux qui appellent à réorienter radicalement le système économique pour préserver les écosystèmes dont nous dépendons, les tenants du business as usual sont toujours prompts à présenter leurs adversaires écologistes comme des « pastèques », verts au-dehors, rouges au-dedans.

Loin de voir les désastres que causerait un réchauffement climatique accéléré et globalement supérieur à deux degrés, notamment sur les populations les plus pauvres, les économistes dominants préfèrent s’en remettre à des mesures d’optimisation et à des solutions peu réalistes comme un prix mondial du carbone. Mais Antonin Pottier montre que la modélisation d’un marché autorégulateur, fondée sur le comportement rationnel des agents, est une illusion : l’homo œconomicus n’existe pas. Ainsi, souligne l’auteur, « tant qu’il ne sera pas socialement réprouvé de passer une semaine d’hiver à l’autre bout de la planète, il sera très difficile de réduire les émissions du transport aérien » (p. 223).

En somme, la leçon de ce livre, c’est que moins que jamais, nous ne pouvons nous permettre de penser une économie hors-sol, abstraite, détachée de toute détermination biophysique : le climat n’est pas un problème parmi les autres, il est la condition même de notre survie. Chassez la nature, elle revient au galop…

Chaque mercredi à 8h, 12h45 et 19h20, retrouvez La Courte Echelle, la chronique hebdomadaire de Gaultier Bès sur Radio Espérance.