La convivialité commence en bas de l’échelle, dans les foyers, car les racines de cette joie de vivre ensemble sont à chercher dans la douce intimité de la famille.
Dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Rousseau écrivait : « Les premiers développements du cœur furent l’effet d’une situation nouvelle qui réunissait dans une habitation commune les maris et les femmes, les pères et les enfants ; l‘habitude de vivre ensemble fit naître les plus doux sentiments qui soient parmi les hommes, l’amour conjugal et l’amour fraternel ».
« Vivre-ensemble » : le groupe verbal est devenu groupe nominal, et cette expression l’un des mantras de notre temps. Le mot est à la mode, invoqué comme une valeur, brandi comme une programme, soulignant combien la chose est difficile, plus que jamais peut-être. Glissement sémantique intéressant, on parle d’autant plus volontiers du « vivre-ensemble » qu’on n’ose plus dire « fraternité », ce mot désuet qui nous rappelle trop peut-être que la république a largement puisé son vocabulaire dans la culture chrétienne. « Vivre-ensemble », au moins, c’est objectif, c’est neutre, c’est lisse, il n’y a pas de sous-entendus. D’ailleurs, quand ce n’est pas le « vivre-ensemble », c’est la « laïcité » qui tend à remplacer dans les discours le troisième terme de la devise républicaine. Liberté, égalité, laïcité : comme s’il était clair que la nation était de moins en moins une famille et de plus en plus un agrégat, comme si le citoyen n’était plus d’abord un frère, une sœur, ni même un cousin, mais un simple et pur individu, présumé neutre. A cet égard, si rien de concret, de charnel, de familial, ne relie les membres d’un même pays, le « vivre-ensemble » ne risque-t-il pas de se réduire à un triste « vivre-chacun-de-son-côté », où les gens seraient moins les uns avec les autres que les uns à côté des autres ? Là où le « vivre-ensemble » se contente de juxtaposer, la fraternité s’efforce, tant bien que mal, de coordonner, créant un réseau complexe d’interdépendances.
Il existe un autre mot, que je préfère de loin à ce néologisme et qui désigne tout aussi bien la nécessité de vivre ensemble : la convivialité. Ce terme vient du latin convivium qui désigne un repas pris en commun, et qui a lui-même pour origine le verbe convivere, c’est-à-dire « vivre avec ». Mais précisément, en latin, vivre et manger, c’est tout un ! Le verbe vivere signifie aussi bien vivre que se nourrir, et le français s’en souvient quand il parle des vivres au sens de denrées alimentaires. Vivre, étymologiquement, c’est partager des vivres.
Rien d’étonnant dès lors à ce que l’inventeur du mot « convivialité » soit le plus célèbre de nos gastronomes : Jean Anthelme Brillat-Savarin, qui après avoir été député du Tiers-Etat aux Etats-Généraux de 1789, et premier violon au théâtre de New York, publia un petit livre fameux : Physiologie du Goût, sous-titré Méditations de Gastronomie Transcendante. Soit dit en passant et l’orgueil national dût-il en souffrir, notons que « convivialité » est un calque de l’anglais conviviality… Quoi qu’il en soit, dans son traité d’art culinaire publié en 1825 et salué par Balzac, Brillat-Savarin définit la convivialité comme le « goût des réunions joyeuses et des festins », avant de préciser : « La gourmandise est un des principaux liens de la société ; c’est elle qui étend graduellement cet esprit de convivialité qui réunit chaque jour les divers états, les fond en un seul tout, anime la conversation, et adoucit les angles de l’inégalité conventionnelle ». Est « convivial », dès lors, ce qui est susceptible de créer des relations favorables ou ag
Il se trouve justement qu’un mouvement de pensée, inspiré des travaux d’Ivan Illich sur la convivialité dont je vous parlerai la semaine prochaine, s’est développé récemment en reprenant ce concept : le convivialisme, défini comme un « art de vivre ensemble qui permette aux humains de prendre soin les uns des autres et de la Nature, sans dénier la légitimité du conflit mais en en faisant un facteur de dynamisme et de créativité ». Voici quelques extraits de la très belle « déclaration d’interdépendance » du manifeste convivialiste que vous trouverez facilement sur internet :
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« Le constat est donc là : l’humanité a su accomplir des progrès techniques et scientifiques foudroyants, mais elle reste toujours aussi impuissante à résoudre son problème essentiel : comment gérer la rivalité et la violence entre les êtres humains ? Comment faire obstacle à l’accumulation de la puissance, désormais illimitée et potentiellement auto-destructrice, sur les hommes et sur la nature ? Si elle ne sait pas répondre rapidement à cette question, l’humanité disparaîtra. Alors que toutes les conditions matérielles sont réunies pour qu’elle prospère, pour autant qu’on prenne définitivement conscience de leur finitude. »
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« Toute politique convivialiste concrète et appliquée devra nécessairement prendre en compte :
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1) l’impératif de la justice et de la commune socialité, qui implique la résorption des inégalités vertigineuses qui ont explosé partout dans le monde entre les plus riches et le reste de la population depuis les années 1970 ;
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2) Le souci de donner vie aux territoires et aux localités, et donc de reterritorialiser et de relocaliser ce que la mondialisation a trop externalisé ;
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3) L’absolue nécessité de préserver l’environnement et les ressources naturelles ;
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et 4) L’obligation impérieuse d’offrir à chacun une fonction et un rôle reconnus dans des activités utiles à la société. »
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« La traduction du convivialisme en réponses concrètes doit articuler l’urgence d’améliorer les conditions de vie des couches populaires, et celle de bâtir une alternative au mode d’existence actuel, si lourd de menaces multiples. Une alternative qui cessera de vouloir faire croire que la croissance économique à l’infini pourrait être encore la réponse à tous nos maux. »
La notion de convivialité est peut-être davantage organique que celle de vivre ensemble mais le fondement oublié de la morale est l’unité de la vie en soi.
L’unité de la vie en soi n’est pas l’unité de la vie tout court qui dans ce cas est seulement une abstraction et éventuellement le principe d’une écologie totalitaire.
C’est par l’éclatement de la vie en soi en une multitude de vies individuelles qu’est survenue la vie artificielle, l’artifice comme seule réalité et à sa suite la procréation artificielle qui fabrique l’enfant comme un artefact et viole ainsi son humanité.
Nous sommes en Occident à l’aboutissement de la déshumanisation d’une société sans transcendance, purement culturelle où tout se vaut et tout est permis car tout est factice.
Les deux mouvements criminels de ce début de 21e siècle, lobby LGBT et djihadisme, ne sont pas à l’origine du mal, ils ne sont que les reflets de la dépravation de l’anthropologie occidentale. Le lobby LGBT exprime la folie d’une humanité sans transcendance et le djihadisme exprime la folie de la transcendance sans humanité.
Ce n’est pas seulement en combattant ses reflets que nous pourrons combattre efficacement le mal, c’est surtout en regardant en nous-mêmes ce que nous sommes devenus.