Après les grands raouts politiques pleins d’espoir ou de désillusion, le retour au terrain, par Vincent You, adjoint au maire d’Angoulême.

A force de laisser penser que la solution aux problèmes écologiques viendra seulement de réunions de chefs d’État, on induit un message problématique. On continue à valoriser l’idée que le citoyen n’est qu’un individu qui peut vivre sans souci puisqu’une main invisible s’occupe de tout.

Ce mélange entre citoyen et consommateur isolé et aveugle est ce qui nous tue à petit feu.

Pour tourner le dos à cette erreur, on peut imaginer des lois, faire peur et communiquer, trouver des incitations fiscales. Mais si l’on veut aller au cœur du problème, il faut agir pour que les citoyens retrouvent le sens de la nature et découvrent qu’ils sont unis à une chaine qui les nourrit.

A l’échelle d’une ville, c’est possible car les élus peuvent actionner des leviers peut être plus puissants que d’autres. Encore faut-il le vouloir. A Angoulême, nous considérons qu’Hippocrate n’avait pas tort de dire : « Que ton alimentation soit ta première médecine ». Nourrir des enfants, c’est donc les faire grandir en bonne santé ; ce qui mérite une attention particulière et justifie notre volonté d’être constants et créatifs.

Servir des repas de qualité doit donc être une priorité politique. Après tout, il s’agit de construire des citoyens !

Notre méthode est assez simple, son caractère innovant venant surtout d’une décision de changer de regard pour aller au fond des choses.

Dans notre dernier appel d’offres pour les produits fermiers ou bio, nous associons trois choses :

1/ des achats de qualité, avec un critère prix qui ne pèse que 30% du choix ;

2/ un achat dont on connait le producteur. Le choix local est garanti par une subtilité : on n’achète pas un produit, mais un produit ET une prestation pédagogique (1). Les enfants doivent pouvoir aller visiter la ferme du fournisseur. Celui qui produit trop loin de chez nous ne peut pas accueillir la classe en visite le temps d’une demi-journée : son offre n’est même pas analysée car elle ne répond pas au cahier des charges.

3/ un travail de lutte contre le gaspillage qui prend tout son sens après la visite de la ferme. Ce qui nous est servi, c’est le travail de celui dont on connait le visage. Ce que l’on goûte avec attention, c’est l’animal que l’on a vu grandir ; le légume que l’on a vu planter.

Ces trois étapes permettent une vraie politique écologique. Les enfants découvrent une vie nouvelle. Et il y a urgence à le faire !

J’ai accompagné deux classes la semaine dernière. Tout d’abord, dans un GAEC , situé à 7 km de la ville, qui nous fournit les porcs (1.8 € par kg quand le gouvernement peine à faire respecter son prix plancher de 1.40€/kg). Puis dans une exploitation, située à 15 km de la ville, qui nous fournit les bovins. Les mêmes classes avaient visité l’année dernière un producteur de tomme fermière, à quelques kilomètres de là. Dans les trois cas, la réaction est similaire : les cochons puent ; les vaches pissent, les tommes sont sales et les enfants crient leur rejet et leur surprise.

Nous sommes loin du jambon sous cellophane, de la saucisse rectiligne et du fromage calibré.

Il faut donc toute l’ardeur des enseignants et le talent des paysans pour faire découvrir ce qui nous est donné. Pour ouvrir les yeux à cette petite fille qui montrait un brin de blé en posant une question révélatrice « comment ça se fabrique ça ? ».

Une vraie  politique écologique se doit donc d’associer la découverte des saveurs et l’émerveillement devant la nature. En ayant la conviction que, dans ce double cadre, la qualité est économiquement rentable. Car Angoulême n’est pas une ville hors du monde. Nous devons faire face aux baisses drastiques de dotations. Nous ne jouons pas à acheter cher par militantisme. Nous faisons le choix suivant : le lapin chinois perd 30 à 40% de son poids à la cuisson contre 5 à 10% pour son cousin charentais. Autant acheter un lapin qui garde sa viande sur les os lorsqu’il termine sa cuisson ! Il y a aussi une logique de gestion mais elle ne nous empêche pas de voir la globalité.

Tout découle d’un choix, celui de vouloir remettre les enfants dans la vie réelle et celui de leur faire aimer la nature. Il faudra un jour quitter les logiques de libre-échange qui n’aboutissent qu’à nous couper des territoires sur lesquels nous vivons. Mais on peut agir d’ores et déjà et cesser de crier que la règlementation nous empêche d’avancer ou qu’il faut attendre la prochaine COP. Il faut sortir du cadre et retrouver le sens des enjeux de fond ; ceux que les technocrates n’arriveront jamais à bloquer parce que leur regard ne va pas assez haut. C’est une magnifique ambition politique.

(1) Je salue ici le travail effectué par ma collègue Stéphanie GARCIA et plus globalement la dynamique portée par le Maire d’Angoulême Xavier BONNEFONT

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