Vrooooom ! Quand l’actualité nous ordonne d’accélérer, Limite ralentit. Conversation entre deux décroissantes décomplexées.

 

Eugénie Bastié : « Changer la vie », tel est le titre de ton nouveau livre. C’est selon toi, le rôle du politique. Moi j’ai plutôt l’impression que c’est bien plutôt son problème : la politique ne cesse de vouloir se mêler de nos existences, et a abandonné les grands cadres de sens. Ne lui donnes-tu pas trop d’importance ?

Natacha Polony : J’assume totalement. Cela ne signifie pas que c’est à l’Etat de décider comment chaque individu doit vivre et être heureux. Il ne s’agit pas de fixer collectivement les conditions du bonheur mais de penser une société qui favorise l’émancipation et qui permette à chacun de construire sa propre voie vers le bonheur.

E.B : Ce qui me déranger dans « changer la vie », c’est le mot « changer ». On se souvient de la phrase de Camus : « empêcher que le monde ne se défasse ». Dans le monde du bougisme contemporain, où le parti du mouvement a triomphé, où les mots « révolution » et « changement » sont dans toutes les bouches, du manager au politique, ne faut-il pas au contraire chercher à « préserver la vie » plutôt que de la changer ?

N.P : Mais ce que je refuse, c’est l’idée que l’un exclurait l’autre. Je revendique la pensée dialectique. Je défends à la fois la préservation de l’héritage et l’émancipation, la première étant une des conditions de la seconde. Il ne s’agit pas de faire table rase du passé, il s’agit de construire une espérance. En tant que vertu théologale ça doit te parler ? Il y a dans le christianisme une eschatologie !

E.B : Oui mais dans le christianisme, le salut n’est pas collectif mais individuel. Là où je suis conservatrice, c’est parce que je crois au péché originel dans le sens métaphysique : le mal est dans l’homme, et la société peut rendre l’homme bon. Quand on me dit « changer la vie », j’entends parfois « changer l’homme »…

N.P : Eh bien il faut se garder de toute réaction épidermique et systématique. Changer la vie, c’est penser une société qui articule la liberté individuelle avec l’approfondissement des liens et de l’enracinement sans lesquels l’être humain ne peut s’épanouir.

E.B : Ne serais-tu pas un peu utopiste ?

N.P : Non, je suis idéaliste. Un idéal est un horizon que l’on se fixe, que l’on n’atteindra peut être jamais, mais vers lequel on s’efforce de tendre.

E.B : Tu restes quand même progressiste alors !

N.P : Non car je ne crois pas à une lecture linéaire de l’histoire. Je pense que le citoyen romain qui vit vers 410 après JC et qui voit Alaric atteindre les murs de Rome ne pense pas forcément que l’humanité va vers le meilleur, et il n’a pas tort. Il y a des périodes de régression dans l’histoire. Cela dit, je pense que certaines idées sont apparues à un moment dans l’humanité, et dont on ne pourra plus faire qu’elles n’aient pas été énoncées.

E.B : Tu penses à la révélation du christianisme je suppose ? (smiley qui fait un clin d’œil)

N.P : Je pensais plutôt à l’humanisme, aux Lumières, en ce que ces courants portent l’idée d’une émancipation par le savoir, d’un développement des droits fondamentaux, et aboutissent à l’idée du peuple souverain. Cela dit, le christianisme a apporté une forme d’universalisme, l’idée que tout être humain a le droit au respect et à l’intégrité physique.

La religion du Progrès est une foi totalement aveugle […]

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