Tiphaine a 20 ans. Il y a un peu plus d’un mois, cette jeune étudiante est venue toquer à notre porte pour découvrir le quotidien de la revue. Après un mois de stage, elle s’est retrouvée au « week-end plein d’alternatives » organisé par Gaultier Bès et Marianne Durano chez eux à Dreux. Pas habituée à vivre ne serait-ce que cinq minutes la simplicité volontaire, on lui a demandé d’écrire, sans tricher, ce qu’elle a ressenti. Verdict, l’écologie c’est long, mais comme c’est bon !

Samedi 23 juin

Il est onze heures, porte Maillot. J’attrape un covoiturage qui file vers Dreux, sous-préfecture de l’Eure-et-Loir. Dans la voiture, mes compagnons de route discutent plan de carrière, développement de la fibre dans le Gard.  Une bonne heure après, la conductrice me lâche devant le McDo de Dreux, et je pars à la recherche de la rue Lucien Dupuis. Gaultier Bès est devant chez lui avec Geoffroy Saillard (le permaculteur du week-end, et chroniqueur dans les colonnes de Limite). Tous deux affairés à transporter de la terre, des pelles, des râteaux, alors que Félix, 3 ans, s’échine à tirer un seau pour les toilettes sèches. Moi, la citadine endurcie en études de droit/sciences po, qui passe ma vie aux terrasses de café, je me demande dans quoi j’ai mis les pieds.

Première leçon : grosse taloche sur mes joues poudrées

Il est midi. Le soleil, la verdure, les arbres fruitiers, les poules et le potager nous attendent. On commence ce week-end « plein d’alternatives » par un pique-nique écolo végétarien. Certains (pas moi), sont venus avec des chips industrielles et des tranches de jambon rose Barbie. Marianne Durano nous explique que tout ce qu’on avalera sera sous la bienveillante protection de sainte Hildegarde, critique culinaire old fashion. Nos hôtes plantent le décor : non, le shampoing et les tomates d’Espagne ne sont pas indispensables à l’épanouissement de notre civilisation. Et oui, on peut se laver les cheveux avec du bicarbonate de soude (je suis choquée !) et du savon de Marseille ! On peut manger équilibré en plein hiver avec des blettes et des poireaux. Bye bye les salades de concombres – je n’ai plus besoin d’en acheter pour me convaincre de manger équilibré l’hiver – exit les fraises sous une neige de sucre.

Nos hôtes plantent le décor : non, le shampoing et les tomates d’Espagne ne sont pas indispensables à l’épanouissement de notre civilisation.

14h : visite du jardin d’Éden. Il y a des fleurs et des bourdons partout, des petits passages entre les arbres, des voûtes de verdure et des bancs en pierre sous les pommiers. Les ateliers commencent. Objectif du week-end : permettre à chacun de trouver les alternatives qui changent son quotidien pour atteindre au plus vite le « zéro déchet ». Je m’imagine une vie sans coton-tige, sans démaquillant, sans mouchoir jetable. Que vont-ils dire à la fac en me voyant me moucher dans un vieux torchon ?

Objectif du week-end : permettre à chacun de trouver les alternatives qui changent son quotidien pour atteindre au plus vite le « zéro déchet ».

Geoffroy nous annonce qu’on va fabriquer « un jardin en trou de serrure ». Stupéfaction dans les rangs, c’est quoi un jardin en trou de serrure ?  « C’est un système qui rend possible un petit potager presque autonome ».  Je découvre qu’on peut faire des trucs étranges avec du compost : quand on en met au milieu d’une culture, il alimente et irrigue les salades et les groseilles (je l’avais déjà entendu, mais là c’est réel !). Problème : ça sent pas bon, et je préfère presque l’odeur du métro. En même temps, si je comprends bien, c’est soit ça, soit les feuilles vertes en plastique du supermarché.

J’ai des piqûres de moustique partout et mes jambes sont ruinées à tout jamais

Dans l’après-midi, je me fais complètement avoir. Le changement de groupe n’a pas lieu et je reste au jardin pendant que Marianne mène un atelier sur les crèmes hydratantes et les couches recyclables. Je rate la leçon de cuisine, celle sur le ménage et les cosmétiques naturels. Et l’atelier « faire son pain » à la farine d’épeautre (je me rattrape au petit-déjeuner le lendemain en me gavant de confiture de groseille maison). En fin d’après-midi Marianne donne la recette : plus besoin désormais de quinze flacons de lotions toniques, apaisantes, démaquillantes, rafraîchissantes qui traînent dans la salle de bain. Un savon d’Alep et de la crème au miel suffisent.

À 18h, j’épluche des courgettes, je coupe des poires pour la compote, pendant que d’autres se lancent dans les galettes de légumes. Les filles préparent une espèce de vin à la cannelle qu’on descendra pendant l’apéro. Au dîner, chacun refait le monde avec son voisin de table. La soirée s’étire autour d’un bouquin sur les expressions lyonnaises que Marianne a sorti de sa bibliothèque. La nuit est tombée, les poules dorment depuis longtemps, la journée se termine. J’ai des piqûres de moustique partout et mes jambes sont ruinées à tout jamais. Mais j’ai découvert la vie de deux décroissants chrétiens. Loin du métro, des camions et de la pollution parisienne.

Dimanche : la conversion commence  

Le soleil est levé depuis plusieurs heures, je me jette sur un grand café et une tartine de pain d’épeautre. Je lis une histoire à Félix qui veut apprendre à compter. Tout le monde bulle devant son café sauf Gaultier et Geoffroy, levés depuis deux heures, les pieds dans leur potager. Sur son tricycle, Félix montre le chemin vers l’église Saint-Pierre de Dreux. Comme le veut la tradition chez les Bès-Durano, le dimanche, c’est barbecue. Après la messe, petit tour chez le boucher pour acheter chipos et merguez, parce que oui, chez les décroissants, il n’y a pas de frigo !  Et on fait comment pour boire des bières fraîches du coup ? D’après Marianne, boire trop froid n’est pas bon du tout pour le ventre. Si je résume : on ne peut ni se laver les cheveux, ni boire de bières fraîches sur son yacht en été… De toute façon, je n’ai pas de yacht.

Comme le veut la tradition chez les Bès-Durano, le dimanche, c’est barbecue. Après la messe, petit tour chez le boucher pour acheter chipos et merguez, parce que oui, chez les décroissants, il n’y a pas de frigo !

Le café fini, dernière étape de notre jardin en trou de serrure : la plantation. Sous les conseils d’expert de Geoffroy, on sème melons, courges, capucines et haricots. Je plante une salade et des courgettes, je prends confiance en moi en me disant que j’ai la main verte. J’imagine qu’en rentrant, sur mon balcon d’un mètre carré, je vais pouvoir planter des tomates et du basilic et me faire des « petites salades girly ». Finis les plats Sodebo.

Retour : un jour ma vie aura du sens

18h : le week-end touche à sa fin, je suis épuisée, j’ai les cheveux sales, je me suis cassé un ongle et j’attends mon retour à la civilisation. J’embrasse Marianne, Gaultier, Félix et Noé et je cours à la gare pour être sûre de ne pas rester coincée chez les écolos un jour de plus. Le week-end se prolonge dans le train, grande discussion avec deux collègues de galère sur les vêtements. D’après elles, il ne faut pas acheter de vêtements chez Zara et H&M, mais plutôt chez Emmaüs ou dans les friperies (mot que je découvre). Je pense à la tête de mes potes du 16e arrondissement me voyant débarquer avec une chemise recyclée et une jupe du Moyen Âge. Je ne suis pas prête à une telle humiliation pour l’instant, mais le style vintage pourrait avoir de l’avenir, je vais donc réfléchir au concept. Une heure plus tard, arrivée à la gare Montparnasse, je monte dans un RER pour rentrer chez moi. Les gens me regardent bizarrement… Je comprends que je sens la campagne et que mon pantalon trop grand ressemble à un sac de terre.

20h30 :  arrivée chez moi, je fonce sur mon shampoing industriel « brillance intense » et mon gel douche à l’amande douce. Je suis heureuse. Mais pas seulement. En réalité pour une fois, il s’est passé quelque chose dans ma vie. C’était un peu plus qu’un week-end acrobranche. D’ordinaire, je fais attention aux choses qui me concernent immédiatement mais je ne me préoccupe jamais de l’impact de mes actes. J’ai vraiment une vie de merde.  Est-ce qu’il ne serait pas temps de s’y mettre, pour que ça change ?