Samuel Grzybowski est le fondateur de l’association Coexister, qui milite pour le dialogue interreligieux. Il répond aux accusations contre le collectif « Nous sommes Unis », créé à la suite des attentats du 13 novembre, et aux récentes demandes de démission du président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco. 
Qu’est-ce que le collectif « Nous sommes Unis ? »

Au départ, c’est un hashtag que nous avons lancé, dans la nuit de 13 au 14 novembre, avec quelques jeunes influents sur Twitter, dans l’optique de faire passer un message plus positif que #JesuisCharlie, moins assimilé aux victimes, et surtout ouvert à tous. Suite au succès phénoménal de ce hashtag, nous avons décidé d’écrire un texte que j’ai rédigé, dont le titre est également Nous sommes unisCe texte est tout à fait idéaliste, et certains lui ont reproché d’être niais ; je n’ai aucun problème avec cette accusation, parce que c’était presque volontaire ! Il se voulait très large et rassembleur pour des Français qui avaient décidé de refuser d’encourager la division. 

La tribune a circulé, et a été signée par des personnalités importantes comme Jean-Louis Bianco, Jean-Paul  Delevoye ou Christine Lazerges, et par des personnalités plus contestées,
comme Nabil Ennasriprésident du Collectif des Musulmans de France (CMF), ou Samy Debbah, président du Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF)Les 90 signataires – et je regrette particulièrement qu’on s’attarde aujourd’hui sur les individus les plus contestables
quand on voit le nombre de personnes qui se sont accordées sur ce message –, ont décidé d’engager les plus grosses organisations qu’elles représentent dans un collectif, qui
rassemble 
aujourd’hui 30 organisations.

Qu’avez-vous à répondre aux accusations qui ont été portées envers ce collectif ?

Je pense qu’il est particulièrement lâche et injuste que, dans une République, on mette au ban des citoyens estimés infréquentables, qui seraient victimes d’une excommunication laïque, sans procès ni droit de réponse. Je trouve inadmissible d’accuser des personnes qui n’ont pas la possibilité de se défendre – parce qu’elles n’ont effectivement pas les tribunes dont on dispose, à tous les niveaux. 

Deuxièmement, j’accepte tout à fait que les personnes contestées soient contestables – et je pense qu’elles le sont effectivement ! Je conteste moi-même l’attitude de Nabil Ennasriquant aux Journées de Retrait de l’Ecole (JRE), et celle du CCIF dans la transparence de ses chiffres, dans son ambiguïté à propos de l’antisémitisme, dans son obsession pour l’Etat d’urgence au moment où la radicalisation augmente. Mais tous ces désaccords ne m’empêchent aucunement de leur adresser la parole et de les fréquenter, ni de signer une tribune avec eux quand, sur ce texte, on est d’accord. S’il faut qu’on soit tous d’accord sur tout pour vivre ensemble, dans ce cas ça ne sert à rien de vivre ensemble, c’est impossible. Derrière cette querelle, il y a une profonde confusion entre l’unité et l’uniformité, qui est un véritable problème français. Partout où on veut créer du lien, on engage l’uniformisation pour masquer les singularités et les opinions particulières. 

Pensez-vous que derrière cela, deux conceptions de la laïcité s’opposent ?

Cette contestation des signataires est sans doute un prétexte pour accuser des personnes qui n’ont pas la même conception de la laïcité, effectivement. Manuel Valls, malgré ses attaques violentes contre Jean-Louis Bianco, n’a jamais dit explicitement qu’il avait une idée de la laïcité différente de celle de ce dernier… En revanche ceux qui le soutiennent, oui ! On les retrouve dans trois sphères : la sphère associative avec l’UFAL (Union des Familles Laïques) et des organisations franc-maçonnes comme le Grand Orient de Francela sphère politique avec Jean Glavany, Patrick Kessel et François Laborde, qui ont quitté l’Observatoire de la Laïcité, et la sphère médiatique avec Mohammed Siafoui, Caroline Fourestou Isabelle Kersimon. Toutes ces personnes ne partagent ni notre vision de la laïcité, ni celle de 1905 ! Elles sont en désaccord clair et affiché avec les principes d’Aristide Briand et des pères fondateurs. 

Sur quels principes en particulier vos opinions divergent-elles ? 

Sur le premier principe, celui de la séparation entre l’Eglise et l’Etat, nous sommes assez d’accord, même si ces personnes pensent que nous, nous le rejetons. Sur le principe de liberté de conscience, en revanche, nous ne sommes pas d’accord : au nom de cette liberté de conscience, les partisans du clan Sifaoui demandent de nouvelles lois sur l’université et l’entreprise pour interdire le port de signes religieux à des adultes éclairés et éduqués, et donc contrevenir sans état d’âme à l’article 18 de la Déclaration des Droits de l’Homme, qui garantit que chaque personne peut manifester sa religion en public ou en privé. 

Autre principe sur lequel nous nous opposons : le principe de neutralité, qui s’applique, dans la loi de 1905, à l’Etat et à tous ses agents. Pour les détracteurs de Jean-Louis Bianco, on parle maintenant d’une neutralité de l’espace public, qui renvoie la religion à la sphère privée. Mais cette neutralité de l’espace public n’existe pas aujourd’hui dans les papiers ! C’est d’autant plus choquant que Mohammed Sifaoui parle de neutralité de l’espace public dans sa pétition, et Elisabeth Badinter elle-même ! Elle est érigée en modèle de spécialiste intouchable, alors que rien n’atteste qu’elle a une formation sérieuse sur la laïcité, et qu’elle a elle-même parlé de cette fameuse neutralité de l’espace public qui n’existe ni dans la loi, ni dans la jurisprudence.