Lorsque nous l’avions interrogé pour notre prochain numéro (en librairie le 15 janvier), Jean-Marie Pelt était déjà très fatigué. Depuis hier, mercredi 23 décembre, l’un des plus grands écologistes de France, chrétien d’origine lorraine, est mort. « Il y a des secteurs où il faut une décroissance absolue, nous avait-il confié, inquiet des désastres écologiques qui nous menacent ». Face au libertarisme de certains écologistes, il prônait « une méta-écologie qui intègre la spiritualité ». Voici notre portrait hommage du maitre, mort à 82 ans. Par Johannes Herrmann.

Ils nous quittent un à un, les grands précurseurs de l’écologie, ces grandes figures qui, au cœur même du progrès technique triomphant, avaient, les premiers, osé une parole à contre-courant.
Après Jean Bastaire, parti en août 2013, c’est Jean-Marie Pelt qui a refermé la porte, au seuil de Noël.
Jean-Marie Pelt, quelque part, c’est un peu un Jean Bastaire qui serait devenu célèbre.
Son nom était familier de toutes les conférences, de toutes les émissions. C’était, de formation, un botaniste : voilà qui vous campe un personnage. Le botaniste, c’est, bien sûr, un scientifique ; quelqu’un qui étudie, classe, vous étourdit de noms latins qu’il s’exclame avec ravissement, soudain penché sur quelque herbe bizarre, quelque fleur tarabiscotée. C’est le scientifique de terrain par excellence ; celui qui sait non seulement nommer les plantes, mais encore où on les trouve et pourquoi. Car il faut une complexe alchimie d’eau, de sol, de climat, de lumière et de bon voisinage avec d’autres espèces pour parvenir à ce résultat de la plante qui germe, croît et s’épanouit.
Ainsi Jean-Marie Pelt, féru de botanique, de phytosociologie, de pharmacopée ancienne aussi, était-il par excellence naturaliste et écologiste de terrain : celui qui sait observer et comprendre le délicat et infini réseau que tisse le vivant autour de nous.

Dans ce réseau, il savait voir et comprendre d’innombrables relations bien plus complexes et positives que l’abrupte et brutale « lutte pour la vie » décrite par Darwin. La symbiose, la co-évolution, le commensalisme, les échanges, la coopération sont autant – voire davantage – présents dans la biosphère que la compétition sauvage. Pour Jean-Marie Pelt, la vision du monde vivant incomplète, amputée, qu’offre le darwinisme a modelé nos principes économiques, notre capitalisme : persuadés que le meilleur ne sort que de la compétition, nous avons jeté aux orties, comme de niais oripeaux, la solidarité, l’équité, l’assistance au plus faible et engendré un système sans merci, devenu fou et barbare.

Il se trouvait ainsi aux premières loges pour constater les plaies béantes qu’infligeait au vivant pareille vision du monde : le prix à payer pour notre « progrès ».

« Il paraît chaque jour plus évident que la croissance économique ne se poursuit qu’au prix d’une décroissance écologique, tout comme une tumeur cancéreuse ne s’alimente qu’au détriment de l’organisme qu’elle épuise : dans les deux cas, le bilan final est désastreux. » (L’Homme renaturé)

C’est en 1977 qu’il écrivait ces lignes, qui n’ont pas pris une ride. Mais qui l’a entendu ?

Scientifique, Jean-Marie Pelt était aussi chrétien. Et sa vie durant, il a lutté contre la stérile opposition science-foi, tout comme il a réfuté l’accusation tarte à la crème de Lynn White, qui voyait dans le christianisme la source de tous les maux écologiques. Il fondait son combat dans la science, mais réfutait le scientisme matérialiste, où il voyait une dérive dangereuse et totalement infondée. Non seulement les chrétiens n’étaient pas moins écologistes que les autres, mais même ils se devaient de l’être davantage. Pour lui, la Genèse est un mythe fondateur d’une morale, d’une éthique ; et celle-ci s’accomplit absolument dans l’Evangile, qui renverse la loi du plus fort pour instaurer celle du plus faible. Aussi voulait-il, comme Jean Bastaire, mobiliser les chrétiens. Par l’appel à la solidarité, à l’équité, au souci du faible, à l’amour.
« Quand on lit l’Evangile, je vous défie de trouver la moindre idée de domination de qui que ce soit sur quoi que ce soit. L’Evangile, par excellence, c’est le service et non pas la domination. (…) L’Eglise a toujours le grand souci de protéger la vie, et voilà qu’elle est maintenant invitée à protéger la vie individuelle, mais la vie de toute l’humanité, de toute l’espèce. » (Conférence prononcée au congrès de Pax Christi, 2007)

Connaissant, ô combien, à quel point cette protection de l’espèce passe par celle du reste de la biosphère, mais aussi par la lutte contre l’empoisonnement général par les pesticides, le danger des déchets nucléaires, de l’épuisement des ressources… Jean-Marie Pelt appelait ici à fonder dans l’enseignement de la Bible une conversion écologique. Il l’appelait de ses vœux et en voyait, dans les années 2000, les premiers fruits, bien qu’il en déplorât le caractère tardif.

Il avait connu le vieux Théodore Monod, lui aussi, un naturaliste, un savant « à l’ancienne » et profondément chrétien, abattu par ce qu’il voyait, par ce que commettait l’homme par manque d’amour. Jean-Marie Pelt appelait – et il le redisait encore fin 2014, lors du colloque « Sauver la Création » de la Conférence des évêques de France – à une éthique pour l’écologie, une éthique universelle, autour de laquelle tous auraient pu se mobiliser : pour la vie, pour l’homme, pour la génération future – non pas les abstraites générations futures au pluriel, mais celle qui va immédiatement nous succéder, là, et devoir régler l’ardoise de toute la dette écologique que nous avons creusée pour elle.

Pour Jean-Marie Pelt comme pour Théodore Monod, l’avenir de notre espèce, sa survie à l’échéance d’un siècle, passerait par une écologie intégrale enracinée dans la seule chose qui ne passe pas : l’amour de Dieu. Alors, les vieilles et stériles oppositions homme-nature, développement-protection, seront dépassées, transcendées, et nous aurons une chance d’en réchapper.
Jean-Marie Pelt était, enfin, un homme d’espérance. Il nous faut, disait-il, refuser le fatalisme, le désespoir, mais croire que tout peut changer si nous agissons.

Je ne l’ai jamais, à proprement parler, rencontré ; simplement entendu lors de deux conférences. La dernière, c’était, justement, lors de ce colloque de la Conférence des évêques de France, il y a un peu plus d’un an, quand tout bruissait des rumeurs d’une prochaine encyclique. On courait le risque de s’enfermer, disait-il, dans deux postures : celle du sage audible par tous, ou celle du prophète casse-pieds. Dans les deux cas, pour des raisons différentes mais symétriques, on n’existe pas, on n’est pas écouté et le message ne passe pas. Aussi faudrait-il être les deux à la fois : humble, à l’écoute, mais sans pour autant se dénaturer ni renoncer.

Tel est le flambeau qu’il nous transmet, à notre génération.