Icône d’une modernité jamais avare en récupération intéressée, quasi canonisé dans certaines expositions officielles, devenu une sorte de trésor culturel national, Guy Debord n’en finit cependant pas de nous parler, de faire entendre le message d’un homme révolté par la dictature de la « raison » marchande. Portrait d’un combattant de la société du spectacle !

Si sa voix parvient encore à nous émouvoir et à mettre à bas, au détour d’une prose limpide, l’impérialisme des lieux communs dominants, c’est tout simplement parce qu’elle est, malgré tous les détournements sémantiques dont on essaye de l’affliger, la vérité même d’un travail, sans cesse renouvelé, de discernement et de dissidence. Certes, quelques esprits chagrins ne manqueront pas de dauber cruellement sur une démarche qui fait trop souvent la part belle à un marxisme classique, voire ossifié ; écho étrange et obsolète des débats houleux qui agitèrent le microcosme « gauchiste » dans les années précédant 68. Il ne faut jamais l’oublier : Debord fut bien un jeune homme de son temps, un intellectuel engagé « de gauche » cherchant, à chaque instant, à ouvrir la voie à un renversement de l’ordre capitaliste. Il suffit de parcourir son grand texte de 1967, La société du spectacle, pour saisir combien cet ancien lettriste apôtre de la fin de la séparation de la vie et de l’art s’inscrivait dans une dynamique révolutionnaire somme toute classique.

UN ESPRIT LIBRE AU TEMPS DES DOGMES…

Mais s’en tenir à cette lecture superficielle, ce serait passer à côté de ce qui fait de l’inventeur du situationnisme un penseur à part dans la galaxie des grands transgresseurs de toujours : sa capacité à déjouer tous les complots de la rigidité conceptuelle, à n’être jamais là où on l’attend, bref à faire du surgissement de la « vraie vie » le ressort intime d’une révolte jamais close sur elle-même. C’est ainsi que, sans jamais se départir, tel un Ellul, de son allégeance à un Marx certes peu à peu revisité, il prit progressivement ses distances avec ce qui avait nourri sa jeunesse d’avant-garde : une forme de modernisme naïf mâtiné de dérive poétique. Au fil des années, celui qui, dans un cri bouleversant soutenait que « nous vivons en enfants perdus nos aventures incomplètes », appareilla pour la haute mer de la dénonciation de la part maudite de la civilisation moderne. Déjà présente dans quelques saillies de La Société du spectacle – et plus encore dans Les Commentaires de 1988 – celle-ci prit bientôt le visage d’une critique tous azimuts des dégâts d’une «pensée calculante» sapant les fondements mêmes de toute société. Poussée jusqu’en son ultime incandescence, la société du spectacle ne peut en effet qu’engendrer une ruine foudroyante de ce qui nous institue en tant qu’humains, êtres de parole et d’histoire. Le monde de zombies transhumanistes qui nous est aujourd’hui promis par une certaine littérature n’est que l’assomption d’une domination marchande s’emparant de tous les secteurs de nos vies, mêmes les plus secrets.

LA BARBARIE DE LA SOCIÉTÉ DU SPECTACLE

C’est dans les Inédits récemment publiés aux Éditions de l’Échappée que l’on repère le mieux ce basculement virulent vers une forme aiguë d’anti-progressisme, d’anti-modernisme… baptisé un peu vite par ses détracteurs de « réactionnaire ». Ce dernier Debord – un Debord sombre s’avançant vers sa nuit – s’en prend parfois avec une violence radicale aux vaches sacrées de ce que l’on appelle désormais le libéralisme culturel.

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