Limite s’associe au groupe de travail Laudato Si fondé en 2016 et qui réunit une trentaine de jeunes professionnels et un prêtre du diocèse de Paris pour réfléchir à l’écologie intégrale. Tout au long du mois d’août, Limite publie le résultat de leurs réflexions ainsi que leurs propositions. Aujourd’hui, le thème économie et finance.

Le Pape dans Laudato Si interroge notre intervention sur le monde, la manière dont nous l’organisons. Il nous invite à « (…) remettre en question les modèles de développement, de production et de consommation » (LS 138) devenus par certains aspects illisibles, irréalistes et injustes. Illisibles, car notre système économique et la maximalisation du gain semblent être désormais sans autre fin qu’eux-mêmes. Irréalistes, car ce modèle est guidé par l’idée d’une croissance infinie, « (…) supposant le mensonge de la disponibilité infinie des biens de la planète. » (LS 106). Injustes enfin, car à l’origine de grandes inégalités : les 1% les plus riches s’arrogent 48% de la richesse mondiale. À ce titre, « Les Évêques de NouvelleZélande se sont demandés ce que le commandement “tu ne tueras pas” signifie quand “20% de lapopulation mondiale consomment les ressources de telle manière qu’ils volent aux nations pauvres, et auxfutures générations, ce dont elles ont besoin pour survivre”. » (LS 95) écrit ainsi le Pape, selon qui «L’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde. » (LS 193).

« Ce qui est à moi… est à toi » : repenser les « communs » pour redéfinir le progrès

Ce constat appelle à une radicalité : « Le discours de la croissance durable devient souvent un moyen de distraction et de justification qui enferme les valeurs du discours écologique dans la logique des finances et de la technocratie (…) » nous prévient le Pape. « Il ne suffit pas de concilier, en un juste milieu, la préservation de l’environnement et le progrès. Sur ces questions, les justes milieux retardent seulement un peu l’effondrement. Il s’agit simplement de redéfinir le progrès. » (LS 194).

La critique du capitalisme libéral n’est pas nouveau dans l’Église. Ainsi, sa défense de la propriétéprivée a toujours été subordonnée au principe de la destination universelle des biens : « L’homme, dans l’usage qu’il en fait, ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à lui, mais les regarder aussi comme communes : en ce sens qu’elles puissent profiter, non seulement à lui, mais aussi aux autres. » (Gaudium et Spes, 1965). De même, dans Caritas in Veritate (2009), Benoît XVIprône une responsabilisation des acteurs privés, rappelant que la solidarité « (…) signifie se sentir tous responsables de tous, et ne peut être seulement déléguée à l’État » car « (…) séparer l’agir économique, auquel il reviendrait seulement de produire de la richesse, de l’agir politique, auquel il reviendrait de chercher la justice au moyen de la redistribution, est une cause de graves déséquilibres. »

La critique du Pape François est sévère. Or, sur ce sujet particulièrement, nous sentons une résistanceà interroger notre modèle économique. D’abord, parce que nous, citoyens aisés de pays développés, ensommes les grands gagnants.Ensuite, parce que très peu de personnes comprennent réellement sonfonctionnement : cette opacité tend à nous déresponsabiliser. Enfin, car il est difficile d’échapper auxhabitudes et au confort de la société de consommation.

Vivre pour travailler… travailler pour vivre ?

La conversion écologique consiste ici à interroger trois gestes fondamentaux par lesquels nous participons à l’édification du monde : notre manière de consommer, de gérer notre épargne, et de travailler.S’informer sur la manière dont ont été fabriqués les produits que j’achète, ou sur ce que ma banque fait réellement de mon épargne est une première étape pour sortir d’une passivité qui peut devenir coupable.

En outre, observons notre rapport à notre travail, qui n’est pas une occupation secondaire, mais le lieu privilégié de notre participation au monde, l’acte humain fondamental par lequel l’homme se réalise à l’image de Dieu. Quelle place a-t-il ? Est-ce que j’y recherche l’excellence ? M’arrive-t-il d’en goûter les fruits et de le confier dans ma prière ? « La fragmentation des savoirs sert dans la réalisation d’applications concrètes, mais elle amène en général à perdre le sens de la totalité, des relations quiexistent entre les choses, d’un horizon large qui devient sans importance. » (LS 110) regrette le Pape : suis-je capable de voir le sens de mon travail ? De l’inscrire dans un horizon plus large ?

De même, quel est mon rapport à la pauvreté ? « Vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres (…) et suis-moi. » dit le Christ (Mc 10). Comment est-ce que j’accueille cette parole de Dieu pour moi-même ? Quelles sont les raisons et éventuellement les peurs profondes derrière ma volonté d’accumuler ? « Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité. » (Gaudium et Spes, 1965) avance l’Église. Examinons les moyens concrets d’appliquer cette option préférentielle pour les pauvres. Suis-je à même de rester libre vis-à-vis de mes biens, de les mettre au service d’autrui, de les utiliser avec souplesse, de les laisser circuler ?

ÉCONOMIE & FINANCE – ET MAINTENANT, ON FAIT QUOI ?

Viser une consommation responsable

  1. Être attentif à l’origine de mes achats (quelles conditions de fabrication ?) / privilégier les achats responsables. Ex: entreprise éthique
  2. Déterminer ce qui est de l’ordre du nécessaire et du superflu : éliminer le superflu, et expérimenter, de temps en temps, de se priver du nécessaire
  3. Privilégier les circuits courts, notamment les produits « fabriqués en France » ou localement

Orienter son épargne

  1. Diriger son épargne vers des fonds éthiques, des projets d’ESS, via des intermédiaires comme La NefCrédit coopératifLe Cèdre éthique, label Finansol
  2. Demander à son banquier « conventionnel » des placements « durables » et l’obliger à offrir une totale transparence sur la destination réelle de son épargne
  3. Acheter des actions dans une entreprise en laquelle on a confiance et que l’on suit pour contribuer au financement de l’économie
  4. Pourquoi pas utiliser les monnaies locales

Introduire du sens et de la gratuité

  1. S’interroger sur la cohérence entre ses aspirations profondes et le sens de son travail. Ex : type de structure, vocation sociale, rythme
  2. S’interroger sur la pertinence des avantages en nature proposés au travail. Ex : voiture de fonction, téléphone
  3. Amorcer une réflexion « conversion écologique » avec des collègues de travail motivés
  4. Libérer du temps pour une activité bénévole. Ex : contrat de travail au 4/5e
  5. Mettre en place des dons aux associations
  6. Donner davantage à la quête et au denier du culte

Contribuer à la création de valeur

  1. Se lancer dans une aventure entrepreneuriale
  2. Chercher à faire son travail avec excellence

Si vous souhaitez vous joindre au groupe de travail Laudato Si : gt.laudatosi@gmail.com

Le groupe de travail Laudato Si réunit au cours d’une vingtaine de rencontres une trentaine de jeunes professionnels catholiques et un prêtre de Paris avec l’objectif d’enclencher une conversion à l’écologie intégrale. L’année se divise en quatre thèmes : médecine & transhumanisme, agriculture & ressources, économie & finance, et lien social & vie dans la cité. Chacun des thème est abordé en suivant une méthode en quatre temps : (1) s’informer et se constituer des repères de réflexion (2) rencontrer au cours d’un week-end des personnes travaillant dans ce secteur (agriculteur, médecin…), pour certains déjà convertis à l’écologie intégrale (3) identifier les leviers spirituels à la conversion personnelle (4) prendre des « résolutions » concrètes.