Face au désir d’enfant, la solution technique est tentante. Prélèvements d’ovules, FIV, surveillance médicale renforcée : on ne sous-traîte la grossesse qu’à grand renfort de seringues. Et cette hyper technicisation de la grossesse créé plus de drames qu’elle n’en résout. Reportage en Thaïlande, où nous avons rencontré Pattaramon, triste victime d’un imbroglio éthique qui n’aurait jamais dû être possible.

« Pattaramon
 n’est pas une vache ! »

La grand-mère de Pattaramon se redresse d’un coup sec : « Pattaramon n’est pas une vache ! » Sa colère est un cri :
« L’un des deux bébés était handicapé. Alors ils ont demandé à Pattaramon de l’avorter, après sept mois de grossesse ! » Par son « non » catégorique, la famille Chanbua s’est opposée à
la fois à l’agence de fertilité et aux parents « d’intention », un couple australien infertile. Pattaramon a 24 ans, elle est thaïlandaise. Un petit garçon de 2 ans tente de lui grimper sur les épaules. De l’énergie, il en a. Gammy est bien plus blanc que la femme qui l’a porté. Ses yeux sont tirés : il est atteint de trisomie 21.

Pattaramon vit à Chonburi, capitale d’une province située à 100 km au sud-est de Bangkok, dans une imposante bâtisse de deux étages. L’entrée de la maison est cachée par un petit commerce tenu par la grand-mère de Pattaramon : un véritable capharnaüm. Des bataillons de personnages mythiques et de nains de jardin thaïlandais sont alignés : des Bouddhas et des Vishnus, des serpents appelés Nagas. Pour entrer 
dans la maison, il faut traverser la boutique. Paumes contre paumes, Pattaramon se courbe et me salue. Gammy l’imite : « Sawadee ! »

C’est au septième mois de sa grossesse que Pattaramon comprend qu’il y a un problème. Elle voit débarquer un homme, Antonio, qu’elle n’avait jamais vu auparavant. La quarantaine, blanc de peau, probablement américain, elle découvre qu’il est l’un des patrons de l’agence de fertilité qui l’a embauchée. Il lui annonce que l’un des enfants qu’elle porte est trisomique et qu’elle doit l’avorter.

« Les médecins voulaient injecter un produit dans le ventre de Pattaramon pour tuer Gammy », s’offusque Pichaya, la grand-mère. Pour interrompre le développement de l’un des fœtus malades, on aurait pratiqué une Interruption Sélective de Grossesse : une injection létale in utero. La mère aurait alors poursuivi sa grossesse et accouché d’un bébé vivant et d’un bébé mort. Pichaya ne décolère pas : « L’agence et les médecins nous ont dit la vérité le plus tard possible. Pipah, la jumelle de Gammy, aurait pu mourir si Pattaramon avait avorté de Gammy plus tôt. Dès le début, ils savaient que Gammy était malade. » Pattaramon écoute sa grand-mère. Elle ne réagit pas. « Cet enfant, c’était le mien. Il avait sept mois. J’ai eu pitié. »

« Je n’avais rien à perdre »

Tout a commencé en 2013 quand elle voit tomber cette annonce sur son fil d’actualité : « Poste à pourvoir immédiatement. Réservé aux femmes. Rémunération élevée : 300 000 baht (11 000 euros). » Ses yeux s’écarquillent. L’émetteur
 de l’annonce est inconnu, le contenu du job n’est pas précisé. Peu importe, elle a besoin d’argent. Pattaramon et son mari, Nid, doivent 100 000 baht (3 700 euros) à l’usurier du quartier. En Thaïlande, l’endettement des ménages est vertigineux : 85% du PIB en 2015. Le couple gagne seulement 15 000 baht (555 euros) par mois. « Ce n’était pas suffisant pour assumer notre quotidien, avec l’éducation des enfants qui coûte 3 000 baht par semestre », rappelle la mère de famille. Jusqu’à sa GPA, elle a travaillé dans leur petit commerce de rue à Chonburi. Sa mère, enceinte à l’âge de 14 ans, l’a abandonnée à la naissance. « Ma mère est morte en prison en 2011. Elle était incarcérée pour trafic de drogues… » Les confidences de Pattaramon s’éteignent, avant de reprendre : « Mon rêve de petite fille, c’était de devenir pâtissière. Mais aujourd’hui, j’aimerais surtout apprendre l’anglais pour pouvoir parler avec Pipah sans traducteur. » Pipah, c’est la sœur jumelle du petit Gammy. Elle vit à Bunbury, en Australie, avec ses parents d’intention David et Wendy Farnell. Depuis le jour de l’accouchement, en décembre 2013, Pattaramon ne l’a jamais revue.

Un mois après le dépôt de sa candidature, Pattaramon est contactée par l’agence de fertilité. Son dossier est retenu. Son CV a été étudié ainsi que les deux photos qu’elle a trans- mises : de la tête aux pieds, elle est observée à la loupe. La photo de ses deux petits enfants confirme que…

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