Indépendamment de ses revendications ponctuelles, d’ailleurs assez disparates, le mouvement des gilets jaune pose plusieurs questions fondamentales, notamment d’ordre démocratique. Pour Frédéric Dufoing, derrière la taxe carbone, mesure économiquement, socialement et écologiquement injuste, se manifeste un malaise réel vis-à-vis des institutions politiques des démocraties représentatives.
Le contrôle populaire des impôts, fondement démocratique
Par leur hostilité viscérale à la taxation – qui a permis à de nombreux commentateurs d’une culture douteuse de comparer le mouvement à des jacqueries « médiévales » (alors que les révoltes fiscales paysannes sont essentiellement modernes, locales et bien souvent mêlées à des revendications religieuses et coutumières) – les gilets jaunes rappellent aux technocrates élus et à leurs administrations que la démocratie est d’abord née de la volonté de contrôler le prélèvement et l’usage des impôts par l’État, et que, donc, la question du consentement ponctuel, concret, direct à l’impôt est toujours à l’ordre du jour des décisions populaires. Ni l’assiette d’un impôt (ou d’une taxe), ni ce sur quoi elle porte, ni sa logique, ni – last but not least – son usage et ses objectifs, ne peuvent être soustraits du débat public. Toute forme d’arbitraire, d’incohérence et d’injustice dans ce domaine n’a jamais pu être acceptée par une quelconque population.
(…) Les gilets jaunes rappellent aux technocrates élus et à leurs administrations que la démocratie est d’abord née de la volonté de contrôler le prélèvement et l’usage des impôts par l’État, et que, donc, la question du consentement ponctuel, concret, direct à l’impôt est toujours à l’ordre du jour des décisions populaires.
Une taxe inéquitable
Or, la taxe sur le diesel est, telle quelle, incompréhensible, même du point de vue écologique. D’abord, elle est inéquitable, donc injuste : prendre à tout le monde le même pourcentage sur des produits de consommation inélastique (dont on ne peut pas se passer) sans tenir compte du revenu et de la situation (notamment la vie en zones rurales) de ceux qui consomment, de surcroît sans possibilité d’alternative est rigoureusement scandaleux. Qu’un ouvrier ou un employé en CDD, dont le salaire stagne depuis bien longtemps, paie la même somme qu’un patron d’entreprise (et parfois plus si l’on tient compte qu’il doit se déplacer davantage et souvent sans remboursement des frais) est inacceptable, surtout passé un certain seuil à partir duquel la taxe grignote trop avant ses revenus déjà limités. Elle est d’autant plus inéquitable que, par contre, la taxation des revenus financiers, des bénéfices des entreprises, l’ISF, l’investissement dans la lutte contre la haute fraude fiscale, etc. n’ont cessé de baisser ou, dans certains cas, n’ont jamais vraiment existé ou ont carrément disparu.
(…) par contre, la taxation des revenus financiers, des bénéfices des entreprises, l’ISF, l’investissement dans la lutte contre la haute fraude fiscale, etc. n’ont cessé de baisser ou, dans certains cas, n’ont jamais vraiment existé ou ont carrément disparu.
Une taxe inefficace
Ensuite, cette taxe est censée atténuer les externalités, c’est-à-dire au moins partiellement réduire les problèmes posés par la consommation du produit qu’elle grève, soit en en réduisant la consommation, soit en utilisant ce qu’elle rapporte pour remplacer le produit ou éliminer la situation qui amène à sa consommation. Le diesel a un effet indéniablement négatif sur la santé et sur l’environnement. Concernant la santé, une partie de ce que rapporte cette taxe est judicieusement investie dans les soins de santé (mais pour quel résultat, finalement ? Des soins donnés à des cancers inguérissables ?) ; par contre, on est en droit de se demander ce qu’une telle taxe a changé dans le domaine écologique : a-t-elle permis le développement de transports en commun ? D’énergies moins polluantes et moins nuisibles pour le climat ? Un renouvellement et une redistribution des activités économiques ainsi que des modes d’habitation sur le territoire ? A-t-elle au moins modifié le comportement des consommateurs ? Même pas, puisqu’ils n’ont aucune alternative, puisque la logique économique libérale appliquée depuis la fin des années soixante-dix diminue les investissements dans les services publics et augmente le fret et les concentrations économiques qui vident ou étranglent des territoires entiers. Pourquoi faudrait-il accepter une taxe qui appauvrit les pauvres et ne changera rien au système économique qui mène notre civilisation – peut-être même notre espèce – au suicide ?
Pourquoi faudrait-il accepter une taxe qui appauvrit les pauvres et ne changera rien au système économique qui mène notre civilisation – peut-être même notre espèce – au suicide ?
L’échec de la démocratie dite représentative
Les autres questions que soulève le mouvement des gilets jaunes sont politiques. En effet, quelle est la légitimité d’un responsable politique qui applique une mesure qui n’était pas prévue dans son programme, c’est-à-dire dans ce qui est censé avoir justifié son élection ? Et puis, quelle légitimité a ce même responsable politique qui a été choisi par un quart seulement de la population (le score de Macron au premier tour) et a été élu par un mécanisme (le deuxième tour) qui ne permet plus un choix, mais le force ? Quelle légitimité a un parlement composé d’une majorité qui a, elle aussi, bénéficié d’un mécanisme institutionnel, d’un calcul mécanique (l’option majoritaire qui caractérise le système français), et non pas d’un choix populaire ? Autrement dit : un représentant représente-t-il vraiment le peuple s’il n’a qu’un quart de la population qui accepte ce qu’il veut et les valeurs qu’il porte, qu’il incarne ? Et ne faut-il pas qu’un représentant soit légalement tenu de faire ce qu’il a proposé et strictement ce qu’il a proposé, c’est-à-dire qu’il soit soumis à un mandat impératif ? Au fond, n’est-on pas arrivé avec Macron au bout de l’absurdité de la logique représentative qui fait que, finalement, c’est l’exécutif qui fait tout (les lois, les décrets d’applications, les arbitrages) sans contrôle effectif et sans volonté continue du peuple ? Et, en cette époque #MeToo où le consentement devient – à juste titre – une question essentielle, ne devrait-on pas se demander si le consentement à la loi est si différent du consentement sexuel : ne doit-il pas être, lui aussi, clair et circonscrit dans ses moyens et ses fins, et surtout continu ?
- LE LIBÉRALISME CONTRE LE TRAVAIL - 05/30/1998
- GILETS JAUNES, DÉMOCRATIE DIRECTE ? - 05/30/1998
- L’UNION EUROPÉENNE : LE MONOPOLE DES LIBÉRAUX CONTRE LES PEUPLES ET LE BIEN COMMUN - 05/30/1998
Même quand le président applique une mesure de son programme, il se peut que la majorité soit opposée à cette mesure spécifique, même si elle a voté pour ce candidat. Car lors d’une élection le peuple ne peut choisir qu’entre quelques programmes. Il prend celui qu’il juge être le moins pire, ce qui n’implique pas une adhésion à chaque point du programme. Il faut donc introduire un véritable référendum d’initiative citoyenne pour que le peuple puisse décider sur des sujets spécifiques.
Sur la démocratie directe :
https://lesamisdebartleby.wordpress.com/2018/11/29/gilets-jaunes-gascons-%E2%80%AFmacron-demission%E2%80%89-oui-et-apres%E2%80%89%E2%80%AF/
https://collectiflieuxcommuns.fr/?Gilets-jaunes-la-democratie-en-germe
Je suis assez perplexe à la lecture de cet article. Je ne vois pas en quoi l’augmentation des taxes sur le diesel est inéquitable. Tout d’abord, cet augmentation est le résultat de l’alignement des taxes sur le diesel sur celles de l’essence. Pendant des décennies, le diesel a été favorisé par rapport à l’essence, alors que rien ne justifiait cela sur le plan environnemental ou sanitaire. Certes, le diesel émet moins de gaz à effet de serre, mais en contre partie, il émet des particules fines et des oxydes d’azote dangereuses pour la santé. L’essence aussi, dans des proportions différentes. Entre les deux carburant, l’écologie, c’est plutôt de choisir celui qui correspond le plus à notre utilisation (petits ou grands trajets). Ensuite, cette taxe est juste, puisqu’elle applique le principe du pollueur-payeur : plus on roule, plus on pollue et plus on paie. Difficile de faire plus simple et plus juste. Le bonus-malus, par exemple, devrait pour moi être supprimé, car il pénalise les véhicules plus pollants, sans tenir compte de l’utilisation de ceux-ci : quelqu’un qui roule très peu dans un véhicule plus gourmand en carburant va au final polluer moins que quelqu’un qui fait des dizaines de milliers de kilomètres par an dans un véhicule plus sobre. Enfin, votre argumentaire sur l’aspect social des choses ne tient pas dans la mesure où des alternatives existent : personne n’est obligé de rouler beaucoup. On peut aller travailler en train, en bus ou en métro. On peut faire le choix d’aller vivre pas trop loin de son boulot pour ne pas devoir faire de nombreux kilomètres chaque jour. On peut choisir un boulot où l’on travaille de la maison certains jours. On peut covoiturer avec des collègues. On peut choisir un véhicule fonctionnant au CNG (gaz naturel). Ce ne sont pas les solutions qui manquent. Par contre, je suis d’accord sur un point : l’argent récolté dans ces taxes dites environnementales doit être investi dans le développement des alternatives (transports en communs, subsides aux entreprises qui favorisent le télétravail ou le covoiturage) et dans la dépollution. La cause environnementale nous concerte tous et, comme le dit Aurélien Barrau, aucun combat n’a de sens si nous perdons celui contre le dérèglement climatique.
Nicolas, je vais vous répondre par un exemple : imaginons un type qui gagne 2000 euros par mois net, un autre 10000 euros par mois net, si tous deux ils achètent pour 1000 euros un produit avec une TVA à 21%, vous ajouter 210 euros; le type qui gagne 10000 euros, il perd 1000 euros plus 210, or pour les les 210 ne représentent qu’une partie minime de son revenu; celui qui par contre gagne 2000 euros avec 1000 en moins, les 210 sont une ENORME partie du revenu qui lui reste pour vivre. C’est CA l’inéquité. Prendre le même pourcentage ou la même somme à des gens qui ont des revenus différents, c’est INEQUITABLE, et cela défavorise nécessairement le plus pauvre. Un impôt ou une taxe inéquitable doit frapper différemment des revenus différents.
Euh équitable, pardon !
Démocratie directe, ok ! Que pensez-vous alors de la proposition de mise en place du Référendum d’Initiative Citoyenne ?