Présentée par le gouvernement comme une mesure environnementale, la taxe carbone est perçue comme un racket hypocrite par de nombreux Français qui s’apprêtent à manifester bruyamment leur colère. Cette jacquerie d’un nouveau genre, celle des gilets jaunes, est-elle pour autant anti-écologique ? Faut-il alors choisir entre les jaunes et les verts, les bobos à vélos et les prolos en auto ?

Moins de caisses et de passages en caisse ?

Appels de phares, saluts amicaux et klaxons : bonne ambiance sur les rocades cette semaine. Une victoire au foot, peut-être ? Non, le mouvement des « gilets jaunes » qui proteste contre la taxe carbone et se chauffe pour sa première grosse journée de blocage samedi 17 novembre.

Arborez le fluo derrière votre pare-brise, et vous pourrez prendre part à cet élan de camaraderie sur les ronds-points, de chaleur humaine sur les parkings de supermarchés. Des centaines de groupes se sont constitués dans toute la France, un mouvement social spontané, peu structuré, démarré sur les réseaux sociaux, à coups de pétitions et de vidéos en ligne. Ce samedi 17 novembre, les gilets jaunes organiseront des blocages de la circulation, avec la sympathie de l’opinion. Les grands axes et les centres commerciaux devraient être les plus touchés. Dans une version enfin populaire de la « journée sans voiture », tous pourront fraterniser avec leurs voisins sur les barrages, ou bien rester chez eux et cultiver leur jardin en profitant de l‘air pur. Le chiffre d’affaires d’Auchan en prendra un coup. Un bel élan collectif, moins de caisses et de passages en caisse : on voudrait pouvoir applaudir.

Sauf que les gilets jaunes protestent, en premier lieu, contre l’augmentation des prix des carburants. Dans un contexte de montée durable des cours du pétrole et de pression fiscale sur les carburants, le gazole s’est renchéri de 20 % depuis le début de l’année. C’est une hausse programmée de quelques centimes par litre de la taxe TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) qui a fait cristalliser le ras-le-bol. « On n’est pas des vaches à lait ! », protestent nombre de nos concitoyens, inquiets de l’érosion de leur pouvoir d’achat.

Faut-il défendre la TICPE, bon petit soldat de la transition écologique, contre un mouvement populiste myope et irrationnel ?

Et là, le partisan de l’écologie intégrale se met à tousser sérieusement. Le carburant cher, c’est bien, ça, non ? Fiscalité écologique, incitation vertueuse, sortir du tout-voiture, on n’est pas pour ? L’affaire rappelle la débâcle de l’écotaxe poids lourds, mesure indéniablement écolo et préparée de longue date, votée à l’unanimité par le parlement, mais victime du soubresaut de court terme des bonnets rouges, sur un fond confus d’indépendantisme breton et de crise de l’agro-alimentaire. Faut-il défendre la TICPE, bon petit soldat de la transition écologique, contre un mouvement populiste myope et irrationnel ?

Hors de la voiture, point de salut ?

Mais voilà, on n’arrête pas la voiture comme on arrête la cigarette, petit plaisir coupable qui devient trop cher, addictif mais superflu. Dans la France rurale et périurbaine, il y a tous ceux qui ne peuvent pas, vraiment pas, se passer de leur voiture pour aller travailler, faire leurs courses, accéder aux services élémentaires, école, poste, médecin, etc., au prix d’un lourd budget auto. Plusieurs décennies d’urbanisme et d’aménagement du territoire ont construit ces espaces où rien n’est possible sans automobile. Siphonnage des centres-villes par la subvention massive aux zones d’activité de périphérie,  démantèlement des services publics de proximité, prêts à taux zéro fléchés vers la construction pavillonnaire, sous-investissement dans les transports collectifs, abandon du réseau ferré secondaire : les pouvoirs publics ont organisé et incité l’adoption d’un mode de vie dépendant de la station-service, surtout par les classes moyennes et modestes. Quand l’État augmente la fiscalité des carburants, il frappe d’abord les prisonniers d’une impasse qu’il a, dans une large mesure, construit lui-même. On peut comprendre qu’ils se rebiffent et crient au racket.

Dans la France rurale et périurbaine, il y a tous ceux qui ne peuvent pas, vraiment pas, se passer de leur voiture pour aller travailler, faire leurs courses, accéder aux services élémentaires, école, poste, médecin, etc., au prix d’un lourd budget auto. Plusieurs décennies d’urbanisme et d’aménagement du territoire ont construit ces espaces où rien n’est possible sans automobile.

Un racket hypocrite, en plus. La politique écologique de ce gouvernement oscille entre mollesse et imposture, tout dévoué qu’il est à la croissance et à la consommation. Le voilà soudain qui invoque l’écologie, la main sur le cœur, pour défendre une mesure impopulaire. Certes, augmenter les taxes sur les carburants permet, à moyen terme, d’en faire baisser la consommation, ce qui est un objectif louable et indéniablement vert. Mais à qui fera-t-on croire qu’il ne s’agit pas d’abord de renflouer le trésor public ? En jouant l’alibi vert contre ce mouvement social, en désignant la transition énergétique comme cible à la vindicte populaire, le gouvernement démontre qu’il se fiche complètement de l’écologie. Au lieu de susciter une adhésion large à ce qui doit être un véritable projet de société, voilà l’écologie enrôlée dans une rhétorique de division, les jaunes contre les verts, les bobos à vélo contre les prolos en auto.

Alors ce samedi, on fait quoi ? Du vélo, évidemment, même sur les nationales, les ronds-points et les rocades, et devant les hypermarchés. Et, si on ne peut vraiment pas se passer de bagnole, dès lundi, avec nos nouveaux amis jaunes, on covoiture !