Le week-end dernier, Johanness Herrmann, ornithologue de métier, est parti par les rues et les chemins à la recherche de drôles de bestioles dispersées tout autour de nous. Il en a trouvé des tas. Récit.
A l’heure où je vous parle, la rue est envahie de bipèdes brandissant devant eux leur smartphone, à la recherche d’animaux étranges dissimulés dans leur environnement quotidien, mais aussi plus loin, là où d’ordinaire ils ne vont jamais. Il paraît même qu’on ne trouve pas les mêmes en ville, dans la forêt et au bord de la mer. Qu’il en est d’herbivores et de carnivores, des rares et des communs.Il y a même dans le quartier un chasseur particulièrement suréquipé avec plusieurs smartphones maintenus par des perches à selfie, pour une vision panoramique.
Le week-end dernier, moi aussi, smartphone en main, je suis parti par les rues et les chemins à la recherche de drôles de bestioles dispersées tout autour de moi. J’en ai trouvé des tas ! Je me suis empressé de les capturer avec l’application spéciale et tout cela est apparu dans le classement qui réunit tous les adeptes de cette « chasse ». Par exemple, celui-ci s’appelle Cordulegaster boltonii et je l’ai trouvé dans le jardin.
Un peu plus loin, c’est Excubitor, ou plutôt la Pie-grièche écorcheur qui se laisse attraper par mes jumelles sur son buisson. Ou la bande des Saxicola – Tarier pâtre, Tarier des prés, et en famille s’il vous plaît. Parfois, il faut lever la tête et on voit décoller Pernis, la Bondrée apivore. Et bien souvent, parce que nous sommes sur les plateaux de Haute-Loire, milieux privilégiés, on a la chance de trouver le roi, je veux dire le magnifique Milan royal et ses rutilantes couleurs.
Les mains sales
Au bout du compte, en trois grosses journées de chasse quasiment concentrées sur une seule commune, je totalise 44 espèces différentes, et 112 observations enregistrées. Et vous savez quoi ? Tout ça sans réalité augmentée. Juste la réalité tout court. Celle qui existe encore pour quelque temps, et qui, à force d’être méconnue, passe inaperçue au profit d’un virtuel surimprimé.
Bien sûr, observer, identifier et noter les données de faune sauvage, c’est un petit peu plus compliqué que PokémonGo. D’abord, le smartphone ne vibre pas à proximité d’un animal. Il faut le trouver soi-même, avec ses yeux et ses oreilles. Et puis, surtout, ce n’est pas l’application qui vous donnera son nom. C’est à vous de l’identifier vous-même, et d’informer l’appli NaturaList (car c’est elle) que vous avez observé, au point où est localisé votre téléphone, deux Bondrées apivores occupées à batifoler de telle sorte que vous avez lieu de suspecter un nid tout proche. Après quoi, d’un clic de votre part, la donnée filera rejoindre la base en ligne appelée – en l’occurrence – faune-auvergne.org. Mais ça marche aussi s’il s’agit d’un Pic épeiche au bois de Vincennes ou d’une Chouette chevêche en Haute-Saintonge. Seul change le nom du site vers lequel le résultat de vos pacifiques chasses est transféré.
C’est plus compliqué, mais tout de même plus excitant. Il paraît qu’il y a dans les 750 espèces de pokémons. C’est une fois et demi plus qu’on ne compte d’espèces d’oiseaux en France métropolitaine, mais si vous ajoutez les mammifères, les papillons, les reptiles, les amphibiens, les libellules, les mantes, les abeilles, les cigales ou encore les ascalaphes, les pokémons font vite petit joueur à côté de la biodiversité, la vraie.
« Les asca quoi ? » Pas de panique, moi non plus je ne connaissais pas, avant d’en croiser. Voici donc l’ascalaphe soufré.
Plus excitant aussi, parce qu’une « obs » d’oiseau, ou de tout autre animal, c’est beaucoup plus qu’un clic : c’est savoir pourquoi elle est là, tâcher de voir si elle se reproduit – repérer de loin le nid ou les jeunes ; et la contempler, passer face à elle un moment qui n’appartient qu’à vous (et à elle). C’est la Gorgebleue qui chante sur un ajonc, insoucieux des passants; c’est le renard surgi d’un champ de blé, qui bondit après la perdrix qu’il traque et qui s’envole, mais trop tard, ses mâchoires claquent dans le vide ; ou les jeunes faucons qui attendent la becquée sur la collégiale, et tant d’autres.
Souvent, la prospection déçoit. C’est le risque de passer des heures au soleil pour rien ou de pleurer la disparition d’une colonie d’hirondelles ou d’un marais. C’est aussi l’occasion de découvertes, qui déboucheront sur un sauvetage ; autrement dit, l’occasion d’agir.
Et puis, bien sûr, vos données sont beaucoup plus qu’un jeu : relues, validées, elles serviront à protéger vos découvertes, histoire que vous puissiez continuer à « jouer » et vos enfants aussi. Et vos petits-enfants.
Bref : la prospection naturaliste ressemble à la chasse aux pokémons, mais en vachement mieux. Et pourtant nous ne sommes que quelques milliers en France – et encore – à traquer les pokémons à plumes (à poils, à écailles et autres). C’est tout de même dommage. Bien dommage de se ruer dans la « réalité augmentée », augmentée de factice, d’illusoire, de bidon, sans voir qu’il y a matière à s’émerveiller bien davantage dans la réalité tout court. Du moins tant que nous en prenons soin.
C’est sûr, PokémonGo, c’est l’assurance d’avoir toujours quelque chose à trouver, toujours du neuf, un dosage soigneusement programmé de frustration et de gain, d’échec et de nouveauté. Tout cela, la biodiversité ne vous le garantit pas, ou plutôt elle ne vous le garantit plus, et ce n’est pas sa faute. Souvent, la prospection déçoit. C’est le risque de passer des heures au soleil pour rien ou de pleurer la disparition d’une colonie d’hirondelles ou d’un marais. C’est aussi l’occasion de découvertes, qui déboucheront sur un sauvetage ; autrement dit, l’occasion d’agir.
Mais non, ne sombrons pas dans la leçon « cessez de jouer, agissez ». Observer la Nature, c’est d’abord l’occasion, sans cesse renouvelée, de s’émerveiller. S’il vaut mieux rechercher le Milan royal que Piafabec, c’est d’abord parce que c’est beau, un Milan royal. Puisqu’un jeu vous a redonné le goût de sortir et de fureter n’importe où dans « votre environnement », regardez : c’est drôlement plus beau sans écran.
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Un mot : merci 🙂
Je regrette, je suppose tout comme vous, que nos contemporains regardent plus souvent des écrans que des visages ou des paysages. Mais je déplore aussi cette opposition, cette dichotomie entre « nature » et « technologie » lorsqu’elle est de l’ordre du réflexe idéologique plutôt que de la réflexion.
Opposer, comme le fait cet article, la « chasse » aux insectes/animaux sauvages et la chasse aux Pokémon n’a pas grand sens. L’un n’empêche nullement l’autre, au contraire. On peut, lors d’une expédition à la rencontre de bestioles, chasser aussi des Pokémon ; et on peut également, lors d’une chasse aux Pokémon, faire une pause, lever les yeux de son écran et en profiter pour (re)découvrir l’endroit, sa faune et flore.
Je comprends qu’on puisse être piqué-e au vif en voyant des tas de gens se ruer dehors non pas pour profiter d’une météo clémente, sentir le soleil et le vent, et (re)découvrir la nature, mais pour jouer avec une application de chasse de créatures virtuelles.
Néanmoins, comme en toutes choses ou presque, il faut voir au-delà : Pokémon Go a redonné le goût de sortir, flâner ? Profitons-en pour ACCOMPAGNER le mouvement et PROPOSER d’autres activités en extérieur, rien ne sert de les COMPARER ou de les OPPOSER.
Par ailleurs, l’expérience dont vous témoignez et l’univers des Pokémon ne sont pas si éloignés : Satoshi Tajiri, considéré comme « le créateur » des Pokémon, vouait une passion aux insectes lorsqu’il était enfant, à tel point qu’il était surnommé « Dr Bug » 😉
Bref : je continuerai à photographier des coccinelles en train de pondre (https://la-bonne-fee.blogspot.fr/2012/07/photos-poses-vegetales.html), et à chasser des Pokémon (https://twitter.com/LBF_LaBonneFee/status/758741898001428480?lang=fr) 😀