L’ancien député européen Jean-Pierre Raffin livre aux lecteurs de Limite son analyse de l’incurie macroniste en matière de lutte contre le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité. Pour les élections européennes, il ne voit qu’une liste à la hauteur des enjeux, celle du philosophe Dominique Bourg : Urgence Écologie.

 

« J’ai voté pour M. Macron aux dernières élections présidentielles tout comme pour un candidat de La République en Marche aux élections législatives qui ont suivi. J’étais un peu sceptique sur l’attitude du futur président sur les questions qui touchent à l’avenir de nos enfants et petits-enfants en matière de prise en compte du changement climatique et du maintien de la diversité biologique, « l’assurance-vie de l’humanité » comme l’écrivait l’écologue Robert Barbault et comme viennent de le rappeler la FAO, en février dernier, et les scientifiques et diplomates de 130 pays réunis à Paris, il y a quelques jours, à propos de la diversité biologique et des services écosystémiques (IPBES). Mais je pensais que son agilité d’esprit et sa jeunesse feraient qu’il comprendrait vite les enjeux en la matière. Et puis c’était le seul candidat à s’engager pour l’Europe. Le nombre des drapeaux bleus aux étoiles dans les réunions de campagne en témoignent.

Cependant, je ne voterai pas pour la liste Renaissance aux prochaines élections européennes car je ne vois pas en quoi cette liste serait performante au Parlement européen alors que la majorité présidentielle qui la soutient est incapable, au niveau  national,  d’affronter l’urgence  du changement climatique et du maintien de la dynamique de la diversité biologique, au-delà de discours prometteurs  contredits tant par la mise en place des  dispositifs  régressifs que par le déficit d’application de directives européennes précieuses.

Dans sa lettre aux Français du 14 janvier où il annonçait l’ouverture d’un débat national dont l’un des piliers serait la transition écologique, M. Emmanuel Macron, écrivait : « Je me suis engagé sur des objectifs de préservation de la biodiversité et de lutte contre le réchauffement climatique et la pollution de l’air ». Mais dans son intervention du 25 avril, M. Macron a réduit la transition écologique à la seule « urgence climatique » la renvoyant à un ambigu « conseil de défense écologique ». Exit la diversité biologique… Selon une certaine tradition française, plutôt que d’appliquer les lois et règlements qui existent, l’on préfère créer des commissions, des comités (théodules comme aurait dit le Général) ou  élaborer et voter de nouvelles lois sans se préoccuper de savoir si les lois précédentes sont appliquées…

Quelques exemples de la réalité d’aujourd’hui ?

En matière de pollution atmosphérique, la France n’applique pas la directive de 2008 relative à la qualité de l’air. Dans la vallée de l’Arve (Haute-Savoie), ce sont des associations qui ont dû, en 2018, attaquer l’Etat pour « carence fautive ». Quatre des cinq présidents de communautés de communes de cette vallée sont à leur tour intervenus en septembre 2018 pour dénoncer un plan de protection de l’atmosphère (PPA) présenté par la préfecture du département, nettement insuffisant par rapport aux enjeux. En matière d’utilisation des pesticides, la France n’applique pas la directive 2009 et les différents plans Ecophyto lancés ne conduisent pas à une diminution de leur usage.

La palinodie du refus d’inscrire l’interdiction du glyphosate en 2021 dans la loi sur l’alimentation et l’agriculture adoptée en 2018 malgré les promesses présidentielles montre le peu de cas fait tant de la santé de nos concitoyens que de la diversité biologique. Cela est d’autant plus scandaleux que des alternatives dans le domaine de l’agriculture existent. Et puis l’on ne peut s’empêcher de penser que certains de celles et ceux qui se sont opposés à l’interdiction de ce produit déjà sensibles aux pressions du ministre de l’Agriculture ont pu céder aux manipulations récurrentes de Monsanto comme pourrait le laisser supposer le fichage réalisé par cette firme récemment révélé.

Il est extravagant de constater le peu d’estime porté par nos gouvernants actuels pour l’agroécologie prônée depuis des décennies par Marc Dufumier qui, au travers d’une expérience à l’échelle mondiale, montre que l’on peut sortir du modèle agricole dominant.  L’on voit donc mal comment les élus de Renaissance seraient à même de participer à une rénovation positive de la PAC conduisant à privilégier une agriculture respectant la santé de nos concitoyens,  les systèmes agraires  des  pays  dits « en développement » et la diversité biologique non humaine.

En Marche contre la diversité biologique

En matière de diversité biologique la majorité présidentielle ne respecte que partiellement les directives européennes relatives à la faune sauvage : tir d’espèces en déclin (comme le Grand tétras), tir de migrateurs en période prénuptiale, capture d’oiseaux avec des moyens non sélectifs (glu). Cela vaut d’ailleurs à la puissance publique condamnation sur condamnation du Conseil d’Etat et recours auprès de la Cour de Justice européenne. Nos gouvernants qui affirment haut et fort que nous sommes un état de droit sont les premiers à le transgresser. Il faut cependant reconnaître l’aspect positif de l’abandon du projet aéroportuaire de Notre Dame des Landes que l’on doit à la pugnacité de M. Nicolas Hulot.  Mais que dire des aménagements destructeurs programmés dans le contournement autoroutier de Strasbourg,  le projet Europa City ou les défrichements du Center Parc de Roybon en Isère autorisés grâce à des manipulations de M. Travers, ministre de l’Agriculture ?

Prendre soin de la diversité biologique et de la santé de nos concitoyens c’est mettre en œuvre une analyse des effets possibles de tel ou tel aménagement, de telle ou telle installation. C’était l’objet, notamment, de la procédure d’étude d’impact due à la loi  de juillet 1976, intégrée ensuite  dans la loi Bouchardeau de démocratisation des enquêtes publiques (1983) puis la loi  Barnier  de renforcement  de la protection de l’environnement (1995.).  Ces lois ont été peu ou mal appliquées, voire dévoyées par rapport à l’esprit qui avait animé les législateurs. Peu à peu  les enquêtes publiques sont devenues des simulacres de consultation. Les propos du ministre de l’environnement M. Barnier en 1993 : « je regrette le manque de transparence des enquêtes publiques et je ferai en sorte que dans les années qui viennent, elles ne soient plus des alibis faute de quoi les gens n’auront plus confiance et on ne pourra plus rien faire dans le pays » sont devenus réalités. Le nombre des enquêtes publiques est passé de 9098 en 2013 à 5860 en 2017, leur champ d’application ayant été, par ailleurs, régulièrement rogné à coup de décrets. Mais c’en était encore trop pour l’actuelle majorité. Un décret du 26 décembre 2018 vise à supprimer les enquêtes publiques pour les remplacer par de simples consultations sur internet ne permettant aucun contact direct entre les maîtres d’ouvrages et les citoyens. Un comble au moment même où est prônée « une participation citoyenne plus active, une démocratie plus participative »…

Urgence, écologie !

Alors je voterai pour liste « Urgence écologie » conduite par Dominique Bourg. Ses convictions écologistes s’expriment dans de nombreux écrits et dans ses enseignements depuis plusieurs décennies. Elles ne sont pas liées à un subit intérêt que certains autres candidats manifestent, tout d’un coup, maintenant qu’une bonne part de l’opinion publique se dit concernée par les questions d’environnement et que  les plus  jeunes  descendent dans la rue pour manifester leur ras-le-bol de l‘inertie  de nos gouvernants.

La liste « Urgence écologie » est soutenue par Antoine Waechter, ce responsable qui fit, lors des élections européennes de 1989, émerger une écologie politique qu’il ne voulait, à juste titre, ni « de droite », ni « de gauche ». C’était d’ailleurs un objet de scandale pour les partis politiques installés regardant d’un mauvais œil ce trublion provincial qui ne sortait ni de Sciences Po, ni de l’ENA, ni de l’Inspection des finances et autres machines à fabriquer les membres du club des responsables politiques dits « sérieux ».

La liste « Urgence écologie » comporte Sébastien Nadot, député exclu du groupe LREM en 2018 pour ne pas avoir voté le budget 2019, qu’il jugeait insuffisant en matière de transition écologique et de justice sociale, ce en quoi les faits lui donnent raison. De plus, il s’efforce, malgré l’obstruction de la majorité présidentielle, de provoquer la constitution d’une enquête parlementaire sur l’utilisation d’armes françaises dans le conflit yéménite, armes qui tuent de nombreux civils dans cette guerre atroce où les pétrodollars rendent sourds et aveugles nos gouvernants.

La liste « Urgence écologie » est soutenue par Delphine Batho, ancienne ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie limogée de son poste, en 2013, par M. Hollande pour avoir eu le courage de dénoncer un projet de budget malingre et le manque de courage du gouvernement d’alors.

Un philosophe pour une Europe nouvelle

Dominique Bourg, tête de liste, s’inscrit dans la dynamique, d’un rapport de l’ONU de 1968 intitulé « L’homme et ses écosystèmes ; l’objectif d’un équilibre dynamique avec le milieu satisfaisant les besoins physiques, économiques, sociaux et spirituels ». Ce sera l’un des éléments constitutifs de la notion de développement soutenable élaborée en 1981 dans la Stratégie mondiale de l’Union internationale pour la Conservation de la Nature et de ses ressources (UICN). C’étaient en quelque sorte des prémices à l’encyclique du Pape François, Laudato si’. Ce n’est pas pour rien que Dominique Bourg a été l’un des deux laïcs invités à s’exprimer devant la Conférence des Évêques de France à Lourdes en 2010 sur le thème de l’écologie. Mais ce qui m’intéresse tout particulièrement dans sa personnalité et son aptitude à conduire, en équipe, un projet européen, c’est sa qualité de philosophe. Elle lui permet de disposer d’une vision ample dépassant les seuls aspects « techniques », de dépasser les solutions simplistes. On voit combien depuis la largeur de vue des fondateurs de la construction européenne son fonctionnement s’est réduit à celui d’une machine mercantile mue par des égoïsmes figés dans des frontières d’un autre âge. L’on ne peut oublier que ce sont les gouvernants, dont les nôtres, qui ont fabriqué cette machine quitte à se défausser ensuite lorsqu’elle ne marche pas bien. Qui a nommé, président de la Commission européenne, un José Manuel Barroso dont le moins que l’on puisse dire est qu’il n’est pas un modèle d’intégrité à offrir aux jeunes générations, pas plus d’ailleurs que Jean-Claude Juncker, champion de l’optimisation fiscale ? Où est l’esprit ?  Où est le dépassement des carcans nationaux lorsque les obstacles qu’ils soient écologiques, c’est à dire environnementaux et humains, ne peuvent  être  franchis qu’en transcendant les barrières ?  « Unis dans la diversité » n’est-elle pas la devise de l’Union européenne ? Force est de constater que bien des gouvernants de ses Etats membres pensent plus à exacerber les diversités qu’à les unir en excipant de particularismes exclusifs.

Alors pour une Europe nouvelle, celle, en fait, qui soit la réelle héritière des Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi, Jean Monnet et Robert Schuman, il faut des personnalités nouvelles qui ne soient pas marquées par  les clivages  idéologiques des partis traditionnels. »