Johannes et Mahaut Herrmann reviennent du Vatican où ils ont participé à des échanges autour du développement humain intégral. Témoignage.

Il s’en passe des choses au Vatican. Il s’en passe des choses dans la salle du synode, celle avec un grand écran et plein de micros. On n’y parle pas que d’affaires atroces. Il y est aussi question d’écologie. Il en est à ce point question, avec un tel souci d’associer les acteurs les plus ordinaires, les plus éloignés des ors des palais, que nous y retournions, du 7 au 9 mars, pour la deuxième fois en moins d’un an. Cette fois-ci, le défi relevé par le dicastère pour le développement humain intégral était plus impressionnant encore : « Religions and SDGs : contribution des religions aux objectifs de développement durable (Sustainable Development Goals, ou SDGs) de l’ONU pour 2030 ».

Une convergence des religions

Quelles religions ? Toutes celles qui sont suffisamment représentées, ancrées sur le terrain pour pouvoir peser dans le sens de ce développement humain intégral cher au pape François, au cardinal Turkson et à Bruno-Marie Duffé : celui qui n’oublie ni la justice sociale, ni la croissance spirituelle, ni le respect dû à la Création. Toute la vie, humaine et non humaine, a à voir avec notre propre développement : c’est notre lot d’espèce consciente, et comme telle, responsable de tout et de tous. Autrement dit : catholiques, réformés, juifs, musulmans, hindouistes, jaïnistes, sikhs, taoïstes, sans oublier les cultes premiers, représentés en l’occurrence par un responsable des cultes aborigènes d’Afrique centrale et l’extraordinaire chamane groenlandais déjà présent en juillet, lors du colloque LaudatoSi18. Avions-nous, croyants, un message spécifique à porter à l’ONU dans le domaine du développement durable et de ses « Cinq P » – People, Planet, Prosperity, Peace, Partnership ? Quel serait-il ? Tel était le programme.

Il est impossible de résumer ici la richesse culturelle et spirituelle, la diversité des intervenants, l’apport propre à chacun. Tout a commencé par un rappel de l’urgence écologique où nous sommes. Fait notable, la crise d’extinction est désormais systématiquement citée aux côtés du climat comme l’autre menace majeure. Il est vrai que la FAO elle-même a récemment signalé la perte de biodiversité comme un péril de premier ordre pour nos productions alimentaires. « Notre ponction sur la planète nous mène vers l’effondrement de nos sociétés, de nos civilisations » a rappelé Rene Castro Salazar, représentant de ladite FAO à ReligionsAndSDGs. Passé cet exposé tristement connu de tous, est venu le temps des points de vue propres à chaque religion, pour mieux découvrir et mettre en avant ce qui nous unit.

Pour une convergence des luttes

La formule célèbre du pape François « écouter le cri de la planète et des pauvres » trouve autant d’écho chez des Hindous comme Vandana Shiva ou Swami Agnivesh, en Islam comme chez le Sheikh Mohamed Abdou Zeig, David Rosen de l’American Jewish Comittee… Refuser qu’une culture de violence soit promue au nom de la quête de prospérité ; se souvenir que la Création divine est bonne, nous est confiée, et qu’il est suicidaire d’en trahir le plan sous prétexte de notre propre développement ; lier étroitement écologie et justice sociale ; ne laisser personne en arrière, en particulier les femmes et les pauvres ; mobiliser nos communautés sur des actions concrètes afin de se montrer des partenaires crédibles ; tels ont été les grands points autour desquels se sont retrouvés hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, croyants de tous horizons. La Journée mondiale des droits des femmes coïncidait avec l’une des journées du colloque : une occasion d’insister encore et encore sur la nécessité de leur rendre place et pouvoir partout où elles sont lésées. Soulignons d’ailleurs la parité plus que respectée parmi les intervenants et les participants.

Ils ne sont que 5% de la population, mais ils veillent sur 22% de la planète : comme lors de LaudatoSi18, les peuples indigènes ont été à l’honneur. Ils en savent plus long que nos smartphones sur ce que signifie le lien à la terre, au reste de la vie. Et sur l’humain ? « L’humanité, elle aussi, est un cercle, comme cet instrument », a expliqué le chamane Lyberth Angaangaq Angakkorsuaq, tenant à la main le large tambour traditionnel groenlandais. « Cela signifie que nous nous regardons tous. Aucun de nous ne tourne le dos à l’autre. C’est ainsi que nous devons nous comporter. » Avant d’ajouter : « ma famille est une famille de chamanes qui habite le même lieu depuis 5000 ans. J’ai 5000 ans ! Les chrétiens ne sont arrivés chez nous qu’il y a deux cents ans. Ils se sont mal comportés. Mais l’enseignement du Christ est quelque chose d’incroyable, d’extraordinaire. » Sachons tous, avant tout, nous connaître : « comment aimer mon prochain si je ne le connais même pas ? » Vœu pieux ? Pas vraiment, quand la phrase vient d’un porteur de projet de gestion durable de l’eau unissant Juifs et Musulmans en Palestine.

Le rôle primordial des croyants

De la démocratie locale à la finance éthique, de la gestion écologique des espaces dont les communautés religieuses sont propriétaires à une idée de « sabbat énergétique » proposée par un Juif orthodoxe, du simple au complexe, la conférence s’est efforcée d’explorer tous les domaines d’action concrète où les religions peuvent apporter, d’une part, leur force collective, d’autre part leur souci de justice, de respect de la dignité de toute personne humaine, et de tout le vivant non humain en tant que Création divine à nous confiée, loin de l’utilitarisme obtus. « L’heure est à l’action », ont martelé les intervenants ; « nous en sommes déjà à la Cop24 ; combien en faudra-t-il ? La catastrophe frappera avant ». Les organisations internationales ont lancé par leurs représentants de vibrants appels aux croyants à s’engager : comme tout être humain en ce temps, il nous faut apporter à la table ce que nous avons de meilleur et le partager.

« Que nos sagesses, nos ressources, nos traditions diverses soient comme une mer qui nous relie comme la mer sépare et relie aussi les continents », a conclu le cardinal Turkson.