Se préoccuper d’écologie sans remettre en cause notre système techno-économique, jongler avec des oxymores tels que la « croissance verte » et le « développement durable », ou encore se voiler la face en masquant le désastre écologique par une « propagande verte ». Telle est l’impossible schizophrénie que dénonce Simon Charbonneau.

Il y a déjà presque quarante ans, dans un de ses derniers ouvrages intitulé ironiquement Le Feu vert, mon père anticipait les réponses au désastre écologique devenu visible d’abord dans les pays dits développés, en prévoyant la venue d’une époque où, après le temps des faux-semblants qui est celui de la récupération de la critique écolo, viendra celui des choix politiques brutaux dictés par la nécessité. Il semble qu’en ce début du XXIe siècle, nous sommes en passe d’y arriver !

Mais, pour l’instant, tout continue comme cela a commencé au début des années 1970, avec la naissance en 1971 de l’écologie officielle illustrée par la création du ministère « de l’impossible » (dixit Robert Poujade). Avec aussi la naissance balbutiante du mouvement écologique, incarné par la multiplication des associations de protection de l’environnement, et celle du parti politique des Verts. Et ceci sans réflexion préalable à l’action, malgré l’annonce de la publication du fameux rapport Meadows posant pour la première fois la question subversive des limites de la croissance qui a tant de mal à émerger sur le plan politique, tant au plan national qu’au plan international.

Cela fait donc au moins deux générations qui vivent une situation schizophrénique, où d’un côté tout continue comme avant (business as usual), alors que de l’autre c’est l’accélération de la dégradation. Tout continue comme avant, mais avec une accélération de la congestion automobile, de l’urbanisation consommatrice d’espaces agricoles et boisés (voir le dossier du « Triangle de Gonesse »), de la multiplication des infrastructures de transports terrestres, de l’expansion du trafic aérien et de celle de l’agriculture intensive consommatrice d’eau, etc… Et tout cela avec ses multiples conséquences négatives, tant sur la condition humaine que sur notre habitat terrestre.

Cela fait donc au moins deux générations qui vivent une situation schizophrénique, où d’un côté tout continue comme avant (business as usual), alors que de l’autre c’est l’accélération de la dégradation.

Mais aujourd’hui, cette continuité ravageuse s’accompagne d’une « propagande verte » censée nous faire croire que les mondes politiques et économiques s’occupent sérieusement des problèmes en cours d’accumulation, comme l’a montré en 2015 la grand-messe planétaire de la COP21. De là, des exercices rhétoriques permanents du type « développement durable » ou, pire, « croissance verte », et plus récemment « transition », ou encore « économie circulaire » qui sont infligés à l’opinion par les médias avec la complicité évidente des organisations écologistes officielles. Et tout cela s’accompagne d’une autocensure médiatique généralisée chaque fois qu’il s’agit de faire passer des messages un peu radicaux disant la vérité au public sur le destin dramatique de l’humanité moderne. La place faite à l’objection de croissance dans le débat politique est là pour le montrer ! L’incroyable omerta qui affecte en particulier le monde de la culture concernant tout le courant critique de la croissance économique et, au-delà, de l’expansion technoscientifique alimentant le système industriel a quelque chose de saisissant pour un esprit lucide.

Cependant là où le déni est certainement le plus fort, c’est au sein de l’oligarchie qui ne voit pas d’avenir autre que dans la perpétuation du système technico-économique dans lequel nous vivons et que nous alimentons par notre mode de vie. Nos campagnes sont-elles en déshérence ? Nous allons les sauver par l’introduction de nouvelles techniques dites alternatives, telles que la méthanisation, ou encore le photovoltaïque et les éoliennes. Pour ceux d’entre nous qui cultivons une conscience du caractère dramatique de la situation en cours, l’aveuglement et la surdité de cette catégorie sociale sont d’autant plus forts que celle-ci s’emploie depuis des années à diffuser autour d’elle une propagande destinée à rassurer le reste de la société en prétendant travailler à résoudre le problème, alors qu’elle ne fait que l’aggraver ! Comment échapper aux menaces multiples de désastre ? Tout simplement en accélérant le développement dans tous les domaines tant que cela est possible financièrement et techniquement. Pédaler dans le sens de la pente, voilà ce qu’elle aime ! Dans notre pays, la régression de multiples dispositifs protecteurs du droit de l’environnement le démontre abondamment dans la mesure où la politique suivie depuis quelques années consiste à faire sauter toutes les entraves juridiques à la croissance et à l’innovation. C’est ainsi que l’on a multiplié les possibilités de dérogations en matière d’aménagement par le biais des autorisations préfectorales de destruction des biotopes et d’espèces protégées. Comme dans le domaine social, la dérèglementation « libératrice de la croissance » ne peut pourtant qu’aggraver la situation ! Günther Anders avait raison en caractérisant l’âme moderne par la « honte prométhéenne » vis-à-vis des pouvoirs que la technique a pu donner à l’homme !

Cependant là où le déni est certainement le plus fort, c’est au sein de l’oligarchie qui ne voit pas d’avenir autre que dans la perpétuation du système technico-économique dans lequel nous vivons et que nous alimentons par notre mode de vie.

De là cette situation quasi schizophrénique où nous nous retrouvons aujourd’hui en train d’assister à une aggravation du désastre écologique, face auquel nous sommes obligé d’affronter les pouvoirs en place, comme dans le triangle de Gonesse ou dans le bocage de Notre-Dame-des-Landes. Comment alors envisager l’avenir si « le futur triomphe » (groupe Oblomov) ? Compte tenu des changements actuels, on peut envisager deux scénarios possibles : soit l’accélération des tendances lourdes du système avec sa capacité à persévérer dans son être, mais alors avec le prix des désastres écologiques en cours. Et à ce stade, on peut imaginer la naissance d’une écocratie planétaire rendue possible grâce à l’internet et au numérique, la résolution des problèmes écologiques étant envisagée par un surcroît de moyens technoscientifiques dont la géo-ingéniérie est un exemple. Dans cette voie, ce serait le règne d’un totalitarisme numérique parfait, mais qui se heurtera forcément aux limites de la terre et à la patience des hommes d’une manière ou d’une autre. Ou alors la venue d’une période chaotique et violente, en raison du développement de mouvements d’opposition se revendiquant de la décroissance et recrutant au-delà de la classe moyenne, mouvements qui se heurteront fatalement aux aliénés de la consommation et aux fanatiques de la croissance par l’innovation technoscientifique. De ce point de vue-là, on peut imaginer des formes de guerres civiles larvées se multipliant à travers le monde en même temps que les désordres climatiques, avec en prime la raréfaction des ressources en eaux indispensables à la survie des populations.

Sans se laisser aller à ces anticipations angoissantes, en attendant, nous avons tous aujourd’hui obligation de résistance consciente et tragique découlant de notre devoir de vérité.

Notre terre est toujours belle et il y fait encore bon vivre si nous le voulons !

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