Le 7 novembre 2019, le projet d’Europacity a été officiellement abandonné. L’occasion de revenir sur un projet contre-nature avec cet article publié en mars.

Hier, le mardi 12 mars, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annoncé l’annulation du plan local d’urbanisme de Gonesse qui devait permettre la destruction de champs de blé pour que sorte de terre un complexe de loisirs, Europacity. Ce projet démesuré est le fruit de la collaboration de Ceetrus, la branche immobilière d’Auchan, avec le chinois Wanda. Une nouvelle victoire pour les opposants au projet qui se rassemblaient il y a trois semaines dans le onzième arrondissement de Paris pour faire connaître leur alternative à la toute-urbanisation. Retour sur les interventions marquantes de ce rendez-vous que Limite n’a pas raté.

Les Terres de Gonesse sont idéales pour l’agriculture, non pas conventionnelle, mais bel et bien en respect des principes de l’agro-écologie. Voilà le message essentiel que tenaient à transmettre le Collectif qui porte un projet alternatif : Carma.  Le sol de ces terres est constitué de ce qu’on appelle des « limons du plateau », ils comptent parmi les plus fertiles du bassin parisien puisqu’ils produisent entre 90 et 100 quintaux par hectare. Toutefois, ce sont des sols sensibles exposés à l’érosion à cause du vent et de la pluie. Le projet CARMA permettrait de convertir 280 ha en agro-écologie, une mesure plus que nécessaire à l’heure où les citadins prennent de plus en plus conscience de l’impact écologique des produits, même les plus basiques, de leur alimentation quotidienne. Avec le projet Europacity, le grenier de Paris est menacé de destruction…

Le projet d’Europacity, insensé, insensible

Jacqueline Lorthiois, urbaniste, socio-économiste, écrivaine et réalisatrice emploie une subtile métaphore pour expliquer son approche de l’emploi : « C’est l’histoire de M. Europacity et de Mme Main-d’Oeuvre. Et c’est surtout l’histoire d’un mariage arrangé au cœur d’un système patriarcal où Mme Main-d’Oeuvre n’a pas son mot à dire. Monsieur lui écrit de belles promesses, imprimées en des milliers d’exemplaires sur un beau papier glacé avec de belles photos. Mais en réalité, M. Europacity ne souhaite rien d’autre que de faire main basse sur la dot de la mariée ! » Cette mise en scène est simple mais efficace, on rit mais jaune. Elle demande une dissolution du mariage au nom de trois principes : les emplois créés ne seraient cantonnés que dans un champ de 80 métiers (sur 10 000 recensés en France) et feraient donc appel à une main d’œuvre extérieure. En outre, les projets localisés au nord du bassin dans des zones interdites à l’habitat sont déjà trop nombreux et ont déjà prouvé leur mauvais rendement (Aéroville, Paris Nord 2…). Enfin, en ce qui concerne la ligne 17 (intrinsèquement liée, du reste, à Europacity), 5 gares sur 6 de la partie Nord du projet sont prévues dans des zones où on ne compte aucun habitant à 800 mètres à la ronde.

Un projet CARMA pour rompre la destinée néo-libérale

Marc Dufumier, ingénieur agronome, explique que le projet CARMA se fonde sur des énergies renouvelables à l’infini : l’énergie alimentaire contenue par les plantes provient essentiellement des rayons du soleil. Au-delà des considérations consommables, une couverture végétale maximale permettrait de protéger le sol face à l’érosion. Et la nature est si bien faite que les cultures protègent ainsi leur propre garde-manger : le sol regorge de substances nutritives, c’est-à-dire de sucre, d’amidon, de lipides… Pour croître et s’épanouir, les végétaux ont également besoin de CO2 et, bonne nouvelle (pour une fois), le CO2 est largement suffisant dans l’atmosphère terrestre pour qu’on n’ait pas de souci à se faire pour nos plantes ! En ce qui concerne les besoins en eau, la plantation de haies pour faciliter l’infiltration et limiter le ruissellement des précipitations est aussi au programme du projet CARMA. La quantité d’eau ainsi récupérée permettrait de stocker les réserves d’eau suffisantes jusqu’au mois d’août. L’azote que l’on trouve massivement dans l’humus pourrait peut-être même permettre de remplacer peu à peu les gaz russe et norvégien employés jusqu’à présent. Certes, il s’agit d’un projet ambitieux qui demande une certaine exigence de travail, mais qui ne saurait aller sans la création intensive d’emplois, ancrés dans le paysage et durables, eux aussi !

Dominique Potier, député PS de Meurthe-et-Moselle, est un des membres de la mission d’information commune sur le foncier agricole. Après avoir travaillé 25 ans dans l’agriculture, son expérience lui permet d’affirmer qu’aujourd’hui, l’Etat a abandonné la législation sur le foncier. Il souhaite mettre à égalité, dans la Constitution, le bien commun et la liberté d’entreprise, comme l’indique le titre du rapport parlementaire auquel il a participé : « La terre, un bien commun à partager et à protéger ». Il défend également le projet CARMA, y voyant un moyen efficace de montrer que le principe de non-destruction des terres peut et doit primer sur leur artificialisation et leur accaparement.

Jean-Yves Souben, vice-président du Collectif pour le Triangle de Gonesse, souligne toutefois que, malgré le rejet de la réforme du PLU de Gonesse, tout n’est pas gagné puisque le Ministère de la cohésion des territoires reste favorable à Europacity. En outre, il est évident que la modification simplifiée du PLU compte bien sur la construction de la gare de Gonesse qui, quant à elle, est toujours autorisée. Cette gare fait partie du projet de Paris Grand Express (projet de réseau de transport public composé de quatre lignes de métro automatiques autour de Paris, et de l’extension de deux lignes existantes) et constituerait un des arrêts de l’éventuelle ligne 17. Mais l’autorisation de poser les rails n’a pas encore été accordée, la nouvelle gare de Gonesse devrait être construite au beau milieu de ce qui est actuellement un champ, la ZAC (Zone d’Aménagement Concerté) concernée par le projet Europacity a été décrétée d’utilité publique avant même d’être officiellement constituée comme ZAC… Rien ne semble tourner rond en fin de compte, tandis que le projet CARMA est l’opportunité de remédier à des nécessités locales.  Cette part du territoire, comme le remarquent Julien et Steven, deux jeunes membres du collectif « Nous Gonessiens », est déjà très engorgée et « les emplois promis par les meneurs du projet d’Europacity, comme les autres, passeront sous le nez » des habitants. Étienne Ambroselli, avocat en droit de l’environnement, explique que la construction du Paris Grand Express n’est que « le cheval de Troie de l’urbanisation ». Il défend ainsi la préservation des terres de Gonesse, et s’est notamment illustré dans la « lutte potagère » menée par le Collectif pour le Triangle de Gonesse qui, grâce à des semeurs volontaires, a investi une des parcelles tant convoitées.

Ainsi, il est évident que le projet Europacity, outre son impact néfaste pour l’environnement, représente un gros risque de voir s’accroître les inégalités face à l’emploi ainsi que de finir d’étouffer des territoires pourtant pleins de promesses pour l’avenir.

Le projet CARMA oppose à celui d’Europacity une vision réaliste et une analyse fine des besoins et des potentialités des terres de Gonesse.

En effet, en permettant une étroite collaboration entre les Gonessiens, des ingénieurs agronomes, des élus, des avocats, des agriculteurs, des artistes engagés, CARMA propose une re-création du lien social, d’un cadre de vie respectueux de l’environnement, et une sortie de la course à la compétitivité effrénée. Il s’agit donc d’un projet dans lequel l’écologie intégrale se retrouve à tous les niveaux, où nous n’avons rien à perdre mais, au contraire, tout à gagner !