Les dernières semaines l’ont encore montré, l’Etat et la démocratie réelle sont inconciliables, il faut en prendre parti. Falk van Gaver a pris le sien : la démocratie contre l’Etat.

Les  quelques terroristes qui ont sévi ces dernières semaines ont davantage influencé la politique intérieure et extérieure de la France – et partant de l’Europe et du monde – que l’ensemble des citoyens français depuis longtemps. Ces terroristes ont surmonté l’impuissance politique commune à tous les citoyens français par le recours au terrorisme : c’est d’ailleurs ce que le recours au terrorisme, arme des faibles, permet – passer de l’impuissance politique à la surpuissance symbolique à effets concrets – donc à la puissance politique – avec une caisse de résonance médiatique démesurée et assurée.

Dans ce duel entre terroristes et État pour la puissance politique, la population est seulement prise en otage, impuissante, réduite à implorer ou réclamer la protection du gang dominant, l’État, contre les petites frappes rivales qui viennent la violenter. Elle en est réduite à voter « populiste » en attendant, peut-être, comme le membre du Parti socialiste, militant de la Ligue des droits de l’homme et des Verts, Richard Durn naguère au conseil municipal de Nanterre, à flinguer « ses » élus.

La réponse au terrorisme, ce n’est donc pas plus d’Etat, de police, d’armée – c’est-à-dire, au final, encore plus d’impuissance politique populaire, personnelle et collective à mesure même que la puissance étatique augmente – mais au contraire plus de puissance politique populaire, personnelle et collective, directe. Bref, non pas l’Etat, mais la démocratie réelle, directe, concrète, populaire.

« Allons-nous nous asseoir sur notre tas de cadavres en accusant et implorant encore l’État, le gouvernement – notre Dieu en ce monde ? »

Et maintenant, quoi ? Allons-nous nous asseoir sur notre tas de cadavres en accusant et implorant encore l’État, le gouvernement – notre Dieu en ce monde ? Demander plus d’Etat, plus de police, plus d’armée, plus de contrôle, plus de sécurité ? Et de moins en moins de démocratie ? Ou allons-nous enfin donner congé – s’il le faut, par une démonstration de force populaire, par une guerre populaire d’usure contre tout gouvernement – pour incompétence et abus de puissance ? Et enfin, nous prendre en main, passer à l’auto-gouvernement ?

Fonder, enfin, véritablement la démocratie, une démocratie digne de ce nom – gouvernement du peuple, pour le peuple et surtout par le peuple, car c’est là le plus important. Un gouvernement qui n’est pas un gouvernement par le peuple n’est pas un gouvernement du peuple, quand bien même se targuerait-il d’être un gouvernement pour le peuple.

Nous le voyons de plus en plus clairement, nous vivons dans une caricature, une parodie, une contrefaçon de démocratie. La démocratie représentative n’est qu’une représentation de démocratie – au sens théâtral. Le système représentatif n’est que le paravent de l’oligarchie et son système de légitimation symbolique.

Loin de l’optimisme progressiste qui est le l’éthos et le pathos de nos pseudo démocraties modernes, une démocratie authentique est une démocratie à l’antique, c’est-à-dire une démocratie tragique – dont l’éthos est, avant tout, tragique, réaliste, prudent et résolu à la fois, dont les vertus majeures sont la mésotès, le sens de la mesure, et la sophrosyné, la grande prudence, le sens des limites, de la finitude, de la mort contre toute hybris, toute démesure, et évidemment le courage et la justice, indispensables à la défense de la liberté et de l’égalité des hommes – et dont le pathos sera plutôt pessimiste voire catastrophiste qu’optimiste et progressiste.

Une démocratie militante, combative également, toujours « en armes » en quelque sorte, remettant la liberté sur l’agora, au centre de la place publique, renouant avec la « liberté des Anciens », liberté publique, liberté collective, liberté politique réelle face à laquelle le libéral Benjamin Constant promouvait la « liberté des Modernes », liberté privée, liberté individuelle, liberté économique surtout. Une démocratie de combat, une démocratie agonique et antagonique donc, c’est-à-dire réellement politique comme l’a défini Julien Freund, conflictuelle, offensive et défensive, prompte à « couper des têtes » et faire tomber les puissants – une démocratie agonistique comme la défend Chantal Mouffe[1], une démocratie qui serait en quelque sorte à la fois gramscienne et schmittienne, hégémonique et souveraine, c’est-à-dire, encore, authentiquement politique. Une démocratie décisive, décisionnaire, qui sache décider et trancher. Décision populaire. Volonté populaire. Souveraineté populaire.

« Faire en sorte que tout citoyen assume plusieurs fois dans sa vie des mandats politiques publics »

Mais pour cela elle doit être une démocratie réelle, c’est-à-dire directe – et avant tout locale, de quartier, communale, municipale, puis cantonale, départementale, régionale, nationale enfin – selon le principe d’un strict fédéralisme partant de la base avec une autonomie démocratique totale de chaque degré à commencer par le plus proche, le niveau communal – et pourquoi pas avec des assemblées également continentales et mondiales selon le principe d’un strict confédéralisme par le bas. Avec donc des assemblées populaires à tous les niveaux, depuis le quartier jusqu’à la nation, le continent ou le monde, constituées d’élus choisis par tirage au sort parmi les citoyens, avec des mandats courts, responsables, révocables, non cumulables, non renouvelables ou non successivement renouvelables (afin d’assurer un remplacement régulier des assemblées, si bien que tout citoyen aura exercé au moins une fois et de préférence à de nombreuses reprises des mandats politiques publics) avec une indemnité décente – correspondant au salaire minimum ou au maximum au salaire moyen ou médian du pays.

Une démocratie radicale, conseilliste, assembléiste et référendaire – toutes les lois, toutes les décisions quelles qu’elles soient votées par les conseils et assemblées à quelque niveau que ce soit devant être ratifiée par voie référendaire par la population concernée. Population qui pourrait déposer des motions et proposer des référendums d’initiative populaire de manière courante et régulière.

Démocratie vigilante, méfiante, jalouse envers tout pouvoir non populaire, tout détournement et accaparement de pouvoir. Réappropriation populaire, directe, du pouvoir de décision sur nos existences – et avant tout de notre liberté politique confisquée.

Démocratie populaire donc – tautologie, redondance sur laquelle il est nécessaire d’insister : toute démocratie réelle ne peut être que populaire – sous peine de n’être qu’une ploutocratie élective. Et nous y sommes, hélas.

Nous ne voulons pas plus d’État, plus d’oligarchie, plus d’indéboulonnable technocratie, nous voulons au contraire moins d’État, et autant que possible pas d’État du tout, et plus de démocratie.

Falk van Gaver

[1] Chantal Mouffe, Agonistique : penser politiquement le monde, Beaux-Arts de Paris éditions, 2014

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