Avant tout, d’un être humain. D’une jeune personne de dix-sept ans, suédoise, autiste Asperger, c’est-à-dire ce qu’on appelle une forme « d’autisme de haut niveau », extrêmement inquiète pour son avenir et celui de son espèce en raison du dérèglement climatique dont les manifestations s’enchaînent un brin, ces temps-ci.

De quoi le phénomène Greta Thunberg est-il le nom ?

Avant tout, je crois, d’une lame de fond née avec les marches pour le climat, les Coquelicots, et plus encore Extinction Rebellion : une mobilisation de plus en plus nombreuse de citoyens sensibilisés, inquiets et décidés à exiger de leurs élus qu’ils prennent enfin les urgences écologiques à bras le corps. Depuis le temps que tombent les études, les chiffres, les faits aussi, rien d’anormal. L’étonnant est plutôt que cela vienne si tard. Une mobilisation de mesdames, messieurs et mesdemoiselles Tout Le Monde, pour un sujet qui touche tout le monde ; une mobilisation de jeunes, quand c’est d’avenir qu’il s’agit : faut-il vraiment s’en ébaubir ? N’avons-nous pas assez rabâché notre souci des générations futures ? « Nos enfants nous accuseront ! » Voilà qu’ils le font au présent, les monstres. A qui la faute ? Greta Thunberg est d’abord la pointe de cet élan. Il ne serait pas sérieux de l’omettre.

Mais elle est aussi la preuve d’un recours, nouveau, peut-être spontané à l’origine, à la méthode de la figure emblématique de la part des écologistes. Nouveau, surtout à nos yeux bien français ; car nos voisins britanniques, espagnols ou scandinaves ont l’habitude de voir les causes se doter de figures de proue, notamment les membres des familles royales. Le prince Charles vient d’ailleurs de rappeler aux chefs d’Etat du Commonwealth quelques vérités bien senties sur le sujet du climat.

Le problème de la figure emblématique, c’est qu’elle n’est jamais parfaite. On a vu Greta se laisser aller à consommer en douce un repas ensaché sous plastique. Elle ne sourit pas très droit. En fouillant dans son passé, on trouvera sans aucun doute, un jour, un cadeau de Noël pas écologique du tout sous le sapin de ses cinq ans, ou quelque chose dans le genre.

Ne riez pas. Certains en sont à lui faire des procès en simplisme sur la base d’une… punchline de Libé à son sujet. « Sa pensée tient en une ligne »… Scoop : un titre, c’est court. Oui, monsieur de La Palisse,

Si vous aviez lu l’article,

Vous eussiez lu plusieurs lignes.

Passons sur les attaques sur le physique ou, pis, sur l’autisme, vite déformé en « retard mental » ou « preuve qu’elle ne peut pas penser par elle-même ». On est là au fond du sordide.

C’est qu’elle n’y connaît rien ! D’ailleurs elle a 17 ans ! On va quand même pas changer le monde à cause d’une gamine manipulée de 17 ans.

On est surtout à cent soixante sur l’autoroute du « regarder le doigt au lieu de la lune ».

Dites. Le réchauffement global et son origine anthropique ne sont pas sortis, un jour en 2019, des tresses de Greta. Cela fait à peu près quarante ans que les scientifiques les plus calés nous alertent, et en prime, la réalité commence à dépasser leurs prévisions. Qu’il s’agisse de la banquise aux deux pôles (monsieur « le réchauffement c’est terminé » Allègre, on ne vous entend plus très bien… êtes-vous dans un tunnel ?), du permafrost, des événements climatiques extrêmes et de plus en plus fréquents, tout est là : il faut sérieusement se rouler en boule sous le fauteuil de son bureau climatisé pour l’ignorer. Et que nous dit Greta ? D’écouter les scientifiques et d’enfin tenir compte de leurs études, de leurs publications, de leurs avertissements, et des faits qui s’accumulent de semaine en semaine, et confirment le pire des prévisions.

Rien d’autre. Elle ne se prétend pas scientifique. Lui demander de vérifier les équations du GIEC est stupide. Elle ne vise pas le pouvoir mondial. Elle ne donne d’ordres à personne, n’invente rien, et ne revendique pas de divinisation pour elle-même. Greta Thunberg n’est que le porte-parole du moment des scientifiques las de voir leurs rapports caler les fauteuils et les jeunes effarés de voir leurs aînés leur promettre un avenir sombre, sans lever le petit doigt pour y remédier. Lui reprocher de n’être pas, personnellement, une climatologue chevronnée, ou se plaindre « qu’on n’a pas le droit de la critiquer », faire mine de « s’inquiéter pour elle, il faut la protéger » est tout simplement hors sujet. C’est même, très souvent, une diversion de très mauvais aloi.

Greta Thunberg, dit-on, serait « manipulée » et « instrumentalisée », et c’est même Reporterre qui le dit ! Oui, mais Reporterre s’inquiète de la voir manipulée non par des idéologues extrémistes adeptes du « retour à la bougie », mais par… le capitalisme vert. Les spécialistes du dormez-tranquilles-braves-gens-les-entreprises-s’occupent-de-tout, il suffit de baisser les impôts et les laisser faire. Les rois du greenwashing. Autrement dit, tout ce qu’apprécient les spécialistes de la minimisation, voire de la négation de la crise climatique. Greta Thunberg n’est pas trop radicale : elle ne l’est pas assez !

Il est légitime de se demander si le recours à la figure emblématique est vraiment utile à la cause, au vu du tollé qu’il suscite de la part d’opposants trop heureux de trouver ici une cible commode. Il est plus facile d’accuser Greta Thunberg de prendre l’avion – quand bien même ce serait faux – que de vérifier les calculs du GIEC ou de l’IBPES. Mais le stade est atteint où c’est la critique du phénomène Greta Thunberg qui est récupérée, au profit du négationnisme écologique le plus obtus. Les grands médias bruissent de tribunes Gretacritiques se plaignant, comme de juste, « qu’on n’a pas le droit de critiquer Sainte Greta » : air connu. On n’a jamais tant tendu le micro à ceux qui se disent réduits au silence. Ainsi le mécanisme de la figure emblématique s’est-il totalement retourné : il est devenu difficile d’énoncer simplement ce fait que l’existence d’un réchauffement climatique global, d’origine surtout anthropique, fait consensus chez les scientifiques, sans mentionner une seule fois le nom de Greta Thunberg, sans se faire renvoyer au rang de disciple des nouveaux gourous et de leur nouvelle icône inattaquable Greta, et autres amabilités.

Avec la même outrance, on conclurait aisément que la critique de l’inattaquable Greta est devenue inattaquable.

Pendant ce temps la planète cuit et les insectes tombent comme des mouches.

Quand Greta montre la sécheresse, qui ne veut pas se déranger regarde ses tresses.

Ça n’empêche pas les vignes et les sapins de griller sur pied, les records de chaleur de tomber plus vite que ceux des montants de transfert dans le foot, et ce n’est pas pour « obéir au nouveau gourou vert » qu’on plante des arbres à tour de bras en Inde ou en Ethiopie.

Si vraiment l’on est allergique au « phénomène Greta »,

Si vraiment, on veut « la protéger »,

C’est très simple.

Il suffit, au lieu de l’écouter, de l’imiter.

Il suffit de parler climat, pollution, perte de biodiversité. Il suffit de relayer à notre tour le même message qu’elle. Il suffit de relayer comme elle les alertes des scientifiques, de s’informer, de comprendre. Alors, nous n’aurons pas besoin de sa figure pour interpeller nos maîtres. Nous ne défilerons pas derrière elle, mais à ses côtés pour notre avenir commun, notre espérance commune : une Terre vivable pour tous.

Nous ne devrions pas avoir à nous cacher derrière une jeune fille Aspie à tresses.

Vu l’amour immodéré des Aspies pour l’exposition sociale (je vous laisse creuser le sujet par vous-mêmes), il est hautement probable qu’elle n’attend que ça : qu’au lieu de se focaliser sur elle, on se focalise sur le message qu’elle relaie. C’est lui, et lui seul qui compte.

Nous ne devrions pas nous demander si c’est à elle d’agir. Elle le fait parce que nous ne le faisons pas. Elle ouvre la voie parce que nous restons en arrière.

Si ça nous gêne, c’est simple. Portons-nous en avant nous aussi.