Sortir la Grosse Bertha ne sert plus à rien. C’est un réarmement spirituel qu’il nous faut.

Le général De Gaulle n’a pas vu que son appel du 22 juin nous livrait désarmés aux pieds d’un esclavage commun à celui des nazis, en beaucoup plus pernicieux parce qu’habillé de la joie de vivre à la Hollywood,  celui de la technique  et de la technologie. Son analyse de la défaite militaire de la France est celle d’une infériorité mécanique,et non pas d’un effondrement moral. Et s’il espère réveiller l’âme de la France, c’est au moyen des chiffres, en bon cartésien :

« Il nous reste les gigantesques possibilités de l’industrie américaine. Les mêmes conditions de la guerre qui nous ont fait battre par cinq mille avions et six mille chars peuvent nous donner, demain, la victoire par vingt mille chars et vingt mille avions. »

42-cm M-Gerät Dicke Bertha en batterie.

 C’est le même aveuglement qui empêcha à nos dirigeants d’anticiper la chute de l’empire soviétique, autrement surarmé qu’en 45. Alors que cela constituait justement la preuve a posteriori de la cause réelle de la chute d’Hitler. La résistance morale d’une poignée d’hommes et de femmes désarmés d’un côté, l’affaissement moral des nazis de l’autre. Jusque dans les camps où l’insouciance heureuse des tortionnaires était  même symptôme de mort spirituelle que dans le rêve américain. Dans ces camps où l’humanité en sa nudité radicale triomphait de toutes les servitudes, dans des gestes inouïs d’héroïsme caché, mécaniquement parlant : dérisoires, hygiéniquement parlant : pathologiques.

Marie-Claude Vaillant Couturier, la grande égérie du communisme, sauva au péril de sa vie mon arrière-grand-mère – obscure résistante catholique de droite- de la chambre à gaz. Amitié à la vie à la mort.  Toutes deux survivront. Pour moi,ce sont elles qui ont triomphé d’Hitler. Précisément pour moi,ce bébé joufflu, trente ans plus tard, sur les genoux paralysés de son arrière-grand-mère. Parce que ce sont elles qui m’ont transmis, qui continuent de m’apprendre le bon goût de la vie et de l’amitié. Elles et les infirmières suédoises qui ont soigné à la petite cuillère mon arrière-grand-mère de 25 kilos, et les  bénévoles de la Croix Rouge, qui lui ont offert un cahier et un crayon sur lequel elle notait les menus de son lent retour à la vie.

L’arme nucléaire a banni  l’âme du peuple américain, son usage l’a pulvérisée sur toute la planète

Certes, sur le moment, tout laissait penser que c’était la supériorité en armes et la plus grande fraîcheur des corps de GI’S qui avait eu raison des armées nazies.  Mais la décolonisation de l’Inde,  les guerres d’Indochine, d’Algérie, la chute de l’Apartheid, auraient dû nous faire comprendre la cause réelle de la force libératrice des peuples : leur vitalité spirituelle. L’arme nucléaire a banni  l’âme du peuple américain, son usage l’a pulvérisée sur toute la planète et dans l’espace, où les Américains en cherchent depuis sans fin les poussières, contaminant le monde de leur maladie.

De Gaulle a cru qu’il pouvait opposer un mécanicisme moral à un mécanicisme immoral, que tout dépendait de l’homme qui guide les chars et les avions. Quand la mécanique est aveugle et broie également tous les corps dont les âmes crient vengeance.

Il n’était pas davantage justifié de torturer les Algériens que les résistants, de trahir nos Harkis que nos Juifs. Aujourd’hui de tuer des civils en Afghanistan ou en Syrie qu’aux Etats-Unis ou à Nice.  Pour provoquer davantage encore les consciences : c’est même tyrannie qui écrase des migrants sur nos autoroutes du Nord que des Français sur la promenade des Anglais.

Par la technique, nous sommes tous des conscrits dans cette guerre mondiale de la machine contre l’homme, de la technologie contre la vie.

Certes le chauffeur bouleversé d’avoir renversé un Afghan  est innocent du sang versé,  et tous deux sont victimes collatérales de nos guerres néocoloniales. Quand le terroriste de Nice se pose en acteur sanguinaire de ces guerres. Certes les intentions individuelles n’ont rien à voir. Mais nous jouons tous dans la même pièce, nous sommes tous rouages d’un même mécanisme broyeur universel. Et le triomphe de la machine sur la vie est le même.

Une jeune exilée meurt sur la rocade d’accès au port

Lorsque je monte dans mon auto,  je deviens de facto une arme de destruction.  Une arme qui participe  à détruire la nature, et qui à tous moment peut ôter la vie d’êtres humains.  C’est cela qui,dès lors que nous sommes au volant, explique le changement de comportement.  Un terroriste est celui qui utilise cela pour orienter la machine à tuer selon la stratégie militaire de son clan. Mais, par la technique, nous sommes  tous des conscrits dans cette guerre mondiale de la machine contre l’homme, de la technologie contre la vie.

Une vie est une vie et ne se calcule pas, mais en retrouvant sa nudité première chacune d’elle peut participer à  sauver le monde.

N’est-ce-pas ce que nous révèle le Christ, lui sans aucun pouvoir d’oppression,  prêcheur aux mains nues ? En mourant comme un criminel, abandonné de ses hommes inutilement armés, n’a-t-il pas,  selon les chrétiens, brisé la machinerie tragique de la mort ? De l’avis de tous révolutionné à jamais le cours de l’Histoire ? N’est-ce-pas ce qu’il enseignait, qui opposait aux dons d’argent coloassaux des influents l’obole dérisoire d’une pauvre veuve, s’inspirant sans doute des paroles mêmes du Magnificat ?

L’imperceptible fiat d’une humble servante renverse les puissances de ce monde et renvoie toute leur industrie à leur néant.

 

 

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