Ancien député vert au Parlement européen et président d’honneur de France Nature Environnement, Jean-Pierre Raffin a souhaité réagir au plaidoyer pour la chasse du Dr Emmanuel Jocteur-Monrozier, paru dans notre n° 10.

J’ai chassé et appris à chasser avec mon père et le maire de mon village d’une Bourgogne bocagère. Je ne chasse plus, non pour des raisons éthiques même si je comprends que l’on puisse y être opposé par respect du vivant, comme Théodore Monod que j’ai fréquenté. Je ne chasse plus à cause… des chasseurs ! J’ai rangé le Darne que m’avait offert ma grand-mère. J’ai abandonné la chasse lorsque j’ai constaté qu’elle changeait. Là où l’on chassait auparavant, en tenue ordinaire, avec quelques proches et un chien d’arrêt, était devenu courant le ratissage du terrain, en tenue camouflée, comme l’on m’avait appris à traquer le fellagha lorsque j’effectuais mon service militaire au delà de la Méditerranée. Et puis au fil du temps, j’ai vu peu à peu disparaître le petit gibier à poil et à plume « naturel », remplacé par des bêtes d’élevage lâchées peu avant l’ouverture. Les chasseurs n’étaient certes pas responsables de cette disparition. Je pense à l’inepte Dr Armand-Delille, introducteur de la myxomatose en 1952. Le lapin de garenne proche de chez moi, gibier favori de nos chasses, disparut quelques années après. Il n’est jamais revenu. La pression de la chasse sur le poil s’est reportée sur la plume. Déjà malmenée par des changements de pratiques agricoles, la plume n’a pas résisté au plomb. Force est de constater que les organisations cynégétiques se sont longtemps beaucoup plus préoccupées de développer des gibiers de substitution (animaux d’élevage) que du maintien de la qualité des milieux permettant la pérennité d’un gibier sauvage. Alors il m’a semblé plus utile de laisser de côté le fusil et de m’attacher à la sauvegarde des milieux en luttant notamment pour une agriculture et pour des aménagements du territoire (montagne, littoral, fleuves et rivières, etc.) respectueux de la diversité du monde vivant.

Je ne chasse plus, non pour des raisons éthiques même si je comprends que l’on puisse y être opposé par respect du vivant (…). Je ne chasse plus à cause… des chasseurs !

Et puis il y a les chasseurs en meute… Mes gènes sont associatifs mais d’associations où se réunissent librement des personnes mues par un projet commun. C’était le cas des associations de chasseurs, avant que le maréchal Pétain et son régime autoritaire ne vienne, par une loi du 28 juin 1941, imposer un système associatif à adhésion et cotisation obligatoires théoriquement contrôlé par un agent de l’état. Il en est issu un système faisant de la chasse un objet juridique, sui generis, exorbitant du droit commun, comme le faisait remarquer Jehan de Malafosse (1921-2013), grand historien du droit de l’environnement et chasseur lui-même.

Cette situation conduit à ce que les fédérations de chasseurs, bénéficiant d’un public captif, disposent de moyens financiers importants dont l’usage est parfois obscur et sur lesquels l’Inspection des finances (1986), l’inspecteur général Cailleteau (rapport 1997-1998) et la Cour des comptes (2000) se sont interrogés. M. Cailleteau écrivait : « Malheureusement de crainte, sans doute, des réactions des fédérations auxquelles l’adhésion et la cotisation obligatoires ont donné un potentiel d’influence considérable, les dernières évolutions n’ont été traduites dans le droit positif qu’avec de telles précautions que nous nous trouvons dans des situations juridiques ambiguës qui sont à l’origine d’un contentieux abondant ».

La Cour des comptes faisait un constat similaire : « L’État n’a pas choisi entre deux systèmes d’organisation dont l’un découle du texte de 1941 et l’autre de la nouvelle organisation mise en place en 1974-1975.

Si le choix était fait de renforcer l’autonomie des fédérations, chacune d’elles devrait être libre de fixer ses propres cotisations, dans le cadre de ses missions, et ces cotisations cesseraient d’être obligatoires, comme c’est le droit commun des associations.

Si, au contraire, le caractère obligatoire de ces cotisations est confirmé, l’État doit assumer pleinement son rôle et se donner les moyens juridiques, et administratifs, de définir limitativement le rôle des fédérations, d’ajuster les cotisations de chacune d’entre elle à sa situation particulière et de contrôler réellement l’emploi qui en est fait. Sur ce point, le projet de loi n’apporte aucune amélioration. » (Il s’agissait de la loi du 26 juillet 2000, qui effectivement n’a rien changé pas plus que celle de 2012)

Force est de constater que ce « potentiel d’influence » s’est bien souvent exercé pour bloquer des mesures de sauvegarde de la qualité des milieux nécessaire à l’ensemble de la faune sauvage. J’ai pu le vérifier au moment de l’élaboration et de la mise en œuvre de la loi de 1976 sur la protection de la nature, puis comme parlementaire européen lors de l’élaboration de la directive « Natura 2000 » de 1992 et comme scientifique lorsqu’il s’est agi de faire appliquer cette directive. Un certain groupe des 9, dont faisait partie l’Union nationale des fédérations départementales de chasseurs, en obtenait le blocage en 1996 par M. Juppé, premier ministre… Il a fallu la ténacité de Voynet, ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, et l’action des associations de protection de la nature pour que reprenne le processus.

Ce « potentiel d’influence » s’est bien souvent exercé pour bloquer des mesures de sauvegarde de la qualité des milieux nécessaire à l’ensemble de la faune sauvage.

Et puis l’on ne peut oublier la question des espèces migratrices dont la gestion ne peut-être qu’internationale. L’obstruction faite par certaines organisations cynégétiques à l’application de la directive relative aux oiseaux migrateurs (directive 1979), dont le Professeur Jean Dorst, ornithologue d’envergure internationale et directeur du Muséum national d’histoire naturelle, démontrait le bien fondé à Bordeaux en mai de l’année même de son adoption, atteste qu’il y a encore du chemin à faire pour que les proclamations sur le souci du maintien de la diversité du monde vivant sauvage se traduise dans les faits. Là aussi, j’ai pu mesurer comment s’exerçait le « potentiel d’influence » pour entraver la mise en œuvre de mesures de bon sens.

Et puis, lorsque récemment l’Union nationale des chasseurs s’oppose à ce que l’ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage) intègre l’Agence française de la biodiversité tout en revendiquant de faire partie de son conseil d’administration, je m’interroge sur la fiabilité d’un discours où bien des chasseurs affirment être les meilleurs défenseurs de la « biodiversité »…

Alors, comme l’on ne peut dissocier la chasse de ceux qui la pratiquent « en meute », tout en reconnaissant que certains d’entre eux ont un rapport au vivant sauvage que je partage, je suis heureux d’avoir abandonné le fusil pour l’œil, l’oreille, le nez et le toucher qui permettent, aussi bien, d’approcher et d’apprécier la diversité du monde vivant.