Il est d’autant plus facile de critiquer la société du spectacle que celle-ci se renforce en faisant un spectacle de sa propre critique. Che Guevara est depuis longtemps un produit dérivé aussi prisé que Dark Vador. Les sweats à capuche Guy Debord sont arborés par les lecteurs des Inrocks. La revue Limite n’échappe pas à cette « tendance » (le marketing de la dénonciation du marketing), et je dois l’avouer, les débats furent assez houleux, durant l’été, pour savoir s’il convenait ou non d’offrir aux nouveaux abonnés un string François d’Assise (en toile de jute tissée main, le format « string ficelle » ayant été élu, non par goût du sexy, mais par volonté du « strict minimum », tel que peut le concevoir une politique concrète de la décroissance, et aussi parce que les fils de saint François s’appellent localement les Cordeliers).

La revue Limite n’échappe pas à cette « tendance » (le marketing de la dénonciation du marketing), et je dois l’avouer, les débats furent assez houleux, durant l’été, pour savoir s’il convenait ou non d’offrir aux nouveaux abonnés un string François d’Assise

Il faut admettre que le François d’Assise se vend bien, partout dans le monde, et très au-delà des frontières de l’Église visible. Saint Bonaventure eut beau le présenter d’abord comme un alter Christus – le premier stigmatisé de l’histoire – vite on l’a débarrassé de sa Croix au nom de l’ « harmonie naturelle ». Son rouge sang tire désormais vers le rose. On peut à présent le camper en précurseur des alternatifs à barbe fleurie aussi bien que des industriels voués aux green-techs, en inventeur d’une charité antispéciste encourageant les baisers langoureux avec son caniche, en saint patron de l’écologie intégrale, bien sûr. Le voici qui pose près de Bouddha plutôt que d’Innocent III. Le végétarisme du loup de Gubbio l’intéresse plus que le salut de l’âme de M. Seguin.

Nous sommes là dans cet effet de récupération typique et difficilement parable. Devenir marchandise est la rançon du succès. Cela arrive à tout le monde. Et, néanmoins, il se pourrait que le franciscanisme ait joué dans ce processus un rôle pas tout à fait accidentel. N’a-t-il pas imprégné les mentalités européennes ? Se peut-il, alors qu’on voit le Poverello dans tant de vitrines, que son auréole n’alimente pas les loupiottes de l’enseigne ? C’est la thèse un peu gênante que je voudrais avancer ici : la spiritualité franciscaine, un peu déformée, sans aucun doute, a contribué au développement du consumérisme.

C’est la thèse un peu gênante que je voudrais avancer ici : la spiritualité franciscaine, un peu déformée, sans aucun doute, a contribué au développement du consumérisme.

François d’Assise apporte une réponse prophétique à la « destruction créatrice » du premier capitalisme. Deux scènes de sa vie semblent sur ce point particulièrement importantes, qui se retrouvent dans les admirables fresques de Giotto : la deuxième et la cinquième, à savoir le « don du manteau » et le « renoncement à tout bien terrestre ».

Dans la première, le fils du riche marchand Pietro Bernadone se trouve face à un pauvre – pas n’importe lequel : un chevalier désargenté. C’est à lui, au creux de cette vallée de l’Ombrie, devant ce cheval qui baisse la tête, qu’il donne ce manteau pourpre. François a l’air d’un drapier qui fait tâter sa belle étoffe. Il ressemble à papa, sauf qu’il ne procède pas à une vente, mais à une aumône, comme celle que font les enfants avec la menue monnaie prise à leurs parents. (…)

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